L'éditorial

     On croyait tout connaître de la Grande Guerre, la boue, les tranchées, les offensives meurtrières, les bandes molletières et le bleu horizon. Et voilà qu’en cette période de commémoration du centième anniversaire du début des hostilités, on se prend à redécouvrir ces pages d’histoire avec un intérêt renouvelé. Il faut l’avouer : en décidant, il y a quelques mois, de consacrer un dossier exceptionnel à Rennes et la Grande Guerre, le comité de rédaction de Place Publique ne s’imaginait pas quelles richesses il allait trouver, grâce à l’implication d’une équipe d’historiens locaux conduits avec passion et rigueur par l’universitaire Yann Lagadec. Ces spécialistes ont su nous aider à prendre la mesure de la singularité de Rennes, « ville de l’arrière », et qui vécut pourtant durant quatre ans au rythme quotidien de la guerre.
    Par sa situation géographique, en effet, la capitale de la Bretagne vit passer les troupes venues de tous les régiments de la région et qui montaient au front en transitant par sa gare. En sens inverse, elle accueillit de très nombreux blessés dans ses lycées et édifices publics transformés en hôpitaux temporaires. Dotée d’un important arsenal qui emploiera à la veille de l’armistice près de 14 000 salariés, dont de nombreuses femmes, la ville jouera également un rôle décisif dans l’effort de guerre.
    C’était il y a un siècle. Certains lieux ont disparu (casernes, arsenal…), d’autres se sont métamorphosés à la faveur de l’urbanisation. Mais pourtant, c’est bien Rennes et les Rennais que l’on retrouve, couleur sépia, à travers les nombreuses illustrations publiées dans nos pages. Certaines sont d’ailleurs inédites, à l’image de ces dessins du front de Camille Godet, dénichés par hasard il y a quelques années par le professeur Denise Delouche. Nous la remercions chaleureusement d’avoir accepté de publier pour la première fois dans Place Publique ces fragments de carnets d’un grand peintre rennais injustement oublié.
    Travail de mémoire, encore, que celui réalisé par Georges Guitton. Poursuivant son enquête sur la Libération de Rennes, il raconte comment le quotidien clandestin de la Résistance, Défense de la France, sera imprimé sur les rotatives de Ouest-France dès la libération de la ville, en août 1944. Et il revient sur la personnalité de Pierre Herbart, ce « dandy qui libéra Rennes » sous le pseudonyme de Le Vigan, (voir Place Publique #29) pour tenter d’expliquer pourquoi la ville n’a jamais accordé à ce grand écrivain la place qui aurait dû être la sienne dans la mémoire collective.
    C’était il y a soixante-dix ans. Quelques témoins de cette époque sont encore là pour raconter cette sombre période. L’intérêt suscité par cette « histoire à hauteur d’homme », notamment chez les jeunes générations, prouve s’il en était besoin, que la mémoire permet de préparer l’avenir.
    De mémoire, il en est également question lorsqu’on s’intéresse au patrimoine. Dans le grand entretien de ce numéro d’été, Dominique Irvoas-Dantec, directrice du tourisme au sein de la nouvelle structure Destination Rennes, explique comment concilier tourisme urbain, vieilles pierres et initiatives événementielles. En cette période de vacances, de nombreux touristes français et étrangers vont découvrir Rennes et sa région. Parmi eux, peut-être, des familles de vétérans qui reviendront sur les lieux héroïques de leurs pères pour les célébrations de la libération de la ville, le 4 août.
    Les années qui viennent s’annoncent riches en commémorations de tous ordres. Non par nostalgie d’un passé révolu ou crainte d’un futur incertain. Mais parce que, et c’est la conviction de notre revue, la mémoire partagée participe de la construction de la cité. Bonne lecture et bel été !