L'éditorial

     Rennes a mis le théâtre aux premières loges. À y réfléchir, c’est curieux qu’une Maison de la culture genre Malraux se soit métamorphosée en théâtre (TNB). Il fallait l’inventer: Rennes l’a fait il y a 20 ans (pour de bonnes raisons, évidemment). Comme si cette ville affichait l’équation: culture = théâtre. Tout un symbole.
    Cette remarque est juste pour sourire et amener à pointer une autre curiosité locale. Rennes qui aime le théâtre traîne des pieds pour en construire, des théâtres. Cela remonte à loin. Pendant des siècles le Rennais devait se contenter de la salle du jeu de paume pour écouter Molière et Racine ! Dans ce numéro Marie-Claire Mussat rappelle cette carence prolongée. Imaginez, c’est comme si on allait assister à Pirandello au stade de la route de Lorient. La grande ville intellectuelle de l’Ouest a attendu la moitié du 19e siècle pour s’offrir enfin un vrai théâtre. Et comme par hasard, plus personne ne l’appelle « théâtre » mais « opéra », conformément à sa vocation purement musicale, désormais. La vraie grande salle moderne de théâtre, celle actuelle du TNB, n’a éclos qu’en 1969. Et on en est resté là, alors que l’agglomération a entre temps gagné des légions d’habitants.
    Cette histoire de salle ne s’arrête pas là. Si l’on en parle ici avec un peu d’insistance, c’est qu’un cri unanime nous a frappé le tympan en confectionnant ce dossier « théâtre ». « On manque de salles », « on manque de lieux », pour accueillir le fabuleux foisonnement des 80 compagnies qui ont ici élu domicile. On manque de salles pour absorber tous les spectateurs qui se pressent aux guichets. Au départ, on flaire dans cette doléance un parfum de revendication corporatiste. Mais à regarder les chiffres, force est d’admettre la réalité du problème: le risque d’une fuite des talents, une stagnation du public, cela à l’heure où aucun projet de construction ne se pointe à l’horizon. « L’agglomération rennaise est sous-équipée » si on la compare aux agglomérations de même importance, affirme même un représentant du ministère de la Culture. Si l’on sort de la ville centre, on voit que les équipements sont inégalement répartis sur le territoire et que les vrais lieux de programmation théâtrale se comptent sur les doigts d’une main. Est-ce qu’une politique culturelle métropolitaine offensive ne serait pas en mesure de résoudre cette question?
    Cette insuffisance immobilière est au fond un paradoxe pour une ville-théâtre qui grâce à son TNB a le privilège de jouer dans la cour européenne. Rayonnement garanti. Notoriété élevée. Le top de la création contemporaine se fait et se voit à Rennes. La foule est au rendez-vous. Les applaudissements couvrent sans problème les quelques sifflets. Le prestigieux vaisseau amiral de la rue Saint- Hélier ne doit pas faire oublier le bouillement théâtral rennais. Celui des 80 compagnies professionnelles, celui des 100 troupes amateurs dispersées sur la Métropole.
    Amateur/professionnel! Si ce vieux clivage à la fois technique, social et culturel est toujours de mise, chacun salue les multiples passerelles qui, au fil des ans, relient ces deux univers par exemple au gré d’ateliers « sans maître ni élève ». L’heure est à la mise en commun. Les frontières s’estompent partout: elles deviennent poreuses aussi entre le théâtre stricto sensu et des expressions comme le cirque, la marionnette, le conte ou la danse. Ce métissage des genres va aussi de pair avec un nouveau rapport – moins solennel – entre l’acteur et le public. Dans les quartiers et les villages de nouvelles approches se font jour : une relation plus modeste se noue dans des lieux inattendus et restreints (cafés, granges). Avec pour résultat d’enchanter la vie.
    Et de pouvoir affirmer que le théâtre à Rennes a encore de très beaux jours devant lui.