L'éditorial

     Pourquoi parler aujourd’hui des immigrés ? Parce qu’ils représentent un Rennais sur dix. Parce qu’à Rennes un étudiant sur huit est étranger. Parce qu’ils appartiennent à la réalité vivante, à la vitalité réelle de cette ville. Qu’ils participent de ce que l’on appelle la « diversité ». Qu’ils « font » la cité tout autant qu’ils l’habitent.
    Une autre raison aussi : les Rennais semblent parfois découvrir l’existence des migrants à côté d’eux, comme le note la sociologue Anne Morillon. Elle rappelle pourtant que l’immigration à Rennes est une vieille histoire (lire page 11). Raison de plus pour ramener en pleine lumière ces migrants un peu négligés.
    Il y a une immigration paisible dont au fond on parle peu. Elle existe presque naturellement dans le tissu de la ville, elle « ne pose pas de problème ». Les immigrés qu’ils soient Marocains, Turcs, Algériens ou Portugais, se sente en majorité plutôt bien à Rennes. Ce qui ne veut pas dire que leur rupture avec le pays d’origine n’est pas vécue comme une souffrance ainsi qu’en témoignent les migrants interrogés par le Musée de Bretagne dans le cadre de son exposition « Migrations » (lire page 43).
    Sans doute sont-ils nombreux à l’instar de Fatima, originaire du Maroc et vivant à Maurepas depuis longtemps, à pouvoir s’exclamer (lire page 5) : « J’ai de la chance d’être dans un pays comme celui-ci. Il faut arrêter de lui taper dessus sans arrêt. » Ou bien de Dr Mohamed Ben Hassel, originaire d’Algérie, nous confiant qu’en trente ans d’exercice de la médecine, il n’a jamais subi à Rennes la moindre discrimination ni entendu de remarques racistes (lire page 18) Mais cette vision positive des migrants et de l’accueil rennais est comme contredite brutalement depuis quelques années par un autre aspect, plus événementiel, requérant l’urgence: la réalité des demandeurs d’asile, des réfugiés, des sans papiers, des sans toit, des mineurs étrangers. Un sort cruel, un droit pas toujours respecté, des hébergements insuffisants, des politiques fluctuantes, des situations de misère, des associations solidaires et fort remuantes, des administrations jugées inhumaines… Ce sont aussi des images difficiles à accepter : celle du centre de rétention de Saint-Jacques ou bien celle des files d’attente aux guichets de la préfecture.
    Ces situations ne peuvent laisser indifférent. Très relayée par les médias, l’agitation en vient à escamoter l’autre réalité du paysage migratoire. Mais il faut bien l’admettre, les dernières années ont vu croître et se concentrer à Rennes la migration douloureuse : ainsi le nombre de demandeurs d’asile a-t-il augmenté de 40 % entre 2009 à 2010 en Ille-et-Vilaine. De même, le nombre de mineurs immigrés étrangers s’élève aujourd’hui à 450 dans le département alors qu’ils n’étaient que 5 en 2000 !
    En dépit des mobilisations, c’est un sentiment d’impuissance qui prévaut. C’est aussi le passionnel et l’agressivité qui risquent de prendre le dessus. Comme dit Bernard Hennequin, en charge depuis très longtemps des demandeurs d’asile (lire page 59) : « la question de l’immigration rend tout le monde fou ».