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Dossier
#37
RÉSUMÉ > À Rennes Métropole, les marcheurs auront bientôt leur carte. Le Bureau des temps développe en effet le prototype d’un outil original : « une carte des temps piétons ». Cette première à l’échelle d’une agglomération permet de visualiser, en les objectivant, les temps d’accès à pied à tout un panel de commerces et de services disponibles dans les quartiers rennais ou dans les communes métropolitaines.

     La marche offre beaucoup d’avantages parfois sous-estimés. « Se déplacer à pied est démocratique et égalitaire, économe, bon pour la santé, le lien social et l’environnement », énumère Catherine Dameron, chargée de mission au Bureau des Temps de Rennes et Métropole. Pour acheter son pain, déposer ses enfants à l’école, se rendre au parc voisin ou à la médiathèque… le réflexe voiture, illusion de temps gagné, finit par distordre la perception de terrain des habitants, voire des décideurs et aménageurs. Pour autant, le temps d’accès aux services reste l’un des critères déterminants du choix de localisation des habitants, comme en témoignent les enquêtes réalisées lors des salons Habitat dans l’agglomération rennaise.

Dans ce contexte, connaître le degré d’accessibilité piétonne à un « panier » de commerces et de services pour les usagers qui habitent ou habiteront un territoire donné, représente un réel atout en termes d’aménagement. En clair, il s’agit bien de rendre visible et lisible « le territoire vécu » des habitants et de promouvoir les modes doux de déplacement. Au premier chef, la marche, cette libre circulation que connaissaient parfaitement nos aînés qui empruntaient, en terre gallèse, rotes, viettes ou autres vaes, pour cheminer à pied le plus rapidement possible de la campagne à la ville. En langage contemporain urbain, après la 2D et la 3D, voici que l’on évoque la 4D !

Le temps est désormais cité comme la quatrième dimension de l’aménagement, explique Catherine Dameron : « Le temps permet de prendre en compte le mouvement dans la ville, avec la question centrale des usages, mais aussi la ville en mouvement, son évolution sur le long terme ».  

Les outils américains, source d’inspiration

     Pour mener à bien ce projet de cartes des temps piétons, lancé en 2014, le Bureau des Temps a suivi l’exemple de démarches menées aux États-Unis. En 2007, une société privée a développé un premier outil Internet, repris par les agents immobiliers, le Walk Score. Cette application permet d’attribuer une note à chaque logement repéré, en fonction des distances aux commerces et services de proximité. En 2011, une autre plateforme collaborative Walkonomics fut lancée pour répondre aux critiques formulées par des urbanistes. Certains avaient en effet souligné les lacunes du système Walk Score qui ne prend en compte ni l’accessibilité liée à la sécurité, l’état de la chaussée, le jalonnement ni les aménités tels la beauté et le calme du cheminement. Autre exemple qui a inspiré le Bureau des temps, celui de la Ville de Portland (Oregon) dont le PBOT (Portland Bureau of Transportation), a établi des cartes d’accessibilité de son territoire à pied et à vélo et qui étudie l’orientation de son plan général d’urbanisme à l’horizon 2030, en fonction de ces paramètres.  

     Afin de réaliser une représentation cartographique 4D de ces temps de « marchabilité », le Bureau des temps a pris appui sur le SIG, Système d’information géographique, et confié la mise en œuvre à des étudiants de Master 2 SIGAT (Systèmes d’information géographique et aménagement des territoires) de l’Université Rennes 2. La méthode élaborée croise les temps d’accès par zones isochrones1 afin de déterminer les aires géographiques accessibles à partir d’un point donné en une durée maximale. Une pondération attribue des points, en fonction de la rapidité d’accès à pied. Cette analyse multicritère se traduit par un indice d’accessibilité représenté par un code couleur sur la carte métropolitaine, de très élevé à très faible. Pour cette étude, cinq catégories de services ont été retenues : les pôles commerciaux favorisant le lien social ; les services éducatifs, sportifs, sociaux ou culturels ; les points d’accès aux transports en commun ; les espaces verts. La carte finale déclinable en fonction des critères recherchés (espaces verts, commerces, écoles, etc.) présente le niveau d’accès ou l’intensité d’accès aux services, sur une échelle de carreaux de 50 mètres de côté. Plus l’accessibilité est satisfaisante, plus les couleurs sont chaudes. Par exemple, la couleur jaune détermine l’accès en cinq minutes à un petit nombre de services ou commerces, ou encore l’accès en 15 minutes à un grand nombre de commerces et de services. À signaler : cet outil perfectible ne prend pas encore en compte les communes récemment arrivées dans le giron de Rennes Métropole, à savoir Laillé et les communes de la communauté de communes de Bécherel.    

Garantir l’égalité d’accès aux ressources

      Que permet de comprendre un tel outil ? « En croisant l’accessibilité à la densité de population, on remarque que la localisation de la population correspond à des espaces où l’accessibilité de l’offre est globalement bonne », constate Catherine Dameront qui note de faibles niveaux d’accès aux services en bordure des centres-bourgs, là où de nombreuses opérations attirent souvent une population nombreuse, mais les bons scores obtenus dans les quartiers bénéficiaires du Contrat de ville. Un point positif ! Autant de constats qui semblent enfoncer des portes ouvertes : « Il s’agit bien pour nous d’objectiver ces portes ouvertes », insiste Catherine Dameron, convaincue du potentiel de cette démarche. Un tel outil doit pouvoir contribuer à l’aide à la décision des élus et des urbanistes, dans un souci de cohésion sociale et d’égalité d’accès aux ressources. « Par exemple, on peut envisager de compléter et renforcer une offre de services ou encore vérifier que chaque habitant bénéficie à proximité de son domicile d’un espace vert ou d’un accès à une promenade, de polarités de quartier et d’un réseau de transports en commun satisfaisant ».

     En phase d’étude du projet urbain 2030, les élus ont souhaité que cette approche du temps soit intégrée dans la réflexion globale. Pour le grand public, de telles données pourraient, à terme, déboucher sur des applications numériques qui conforteront ou infirmeront l’acquisition d’un logement. « Avec un tel outil, on pourrait aussi faire évoluer le choix d’un mode de transport par l’usager », note Catherine Dameron. Les déplacements, on le sait, sont le plus souvent liés à la routine, sans optimisation des ressources existantes. Ces outils devraient permettre de modifier les habitudes, en favorisant la prise de conscience qu’à pied, ce n’est finalement pas si loin !