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Dossier
#37
RÉSUMÉ > Rennes fait partie de la vingtaine de collectivités françaises à disposer d’un Bureau des temps. Cette dénomination intrigante abrite une petite équipe spécialisée dans l’étude des temporalités urbaines. Ses observations permettent d’orienter les prises de décisions des élus, en matière d’aménagement, de déplacement ou d’emploi. Retour sur une expérience singulière reconnue au niveau national.

     Cela fait maintenant 13 ans que le temps a son bureau à Rennes. Ou plutôt, les temps, tant les temporalités sont désormais plurielles. Bien que n’étant pas une invention purement rennaise – les premiers sont apparus dans les années 1990 en Italie – le Bureau des temps est né de la volonté du maire de l’époque, Edmond Hervé, qui avait rédigé un rapport parlementaire sur le temps des villes. À cette occasion, il s’était passionné pour l’initiative lancée quelques années plus tôt par des mouvements féministes italiens qui souhaitaient mieux connaître et prendre en compte les rythmes des temps de travail féminins dans les services municipaux. À Rennes, le Bureau des temps consacre d’ailleurs ses premières études à la question de l’emploi à temps partiel des agents d’entretien des bureaux de la Mairie. L’idée de départ relève d’un constat évident mais longtemps resté tabou : à l’époque, les femmes de ménage qui nettoient les locaux administratifs interviennent soit très tôt le matin, soit très tard, avant ou après leurs occupants. Conséquence directe, elles subissent des horaires très contraignants : prise de poste à l’aube ou au crépuscule compliquant la vie familiale, intervalles de plusieurs heures d’inactivité forcée entre deux interventions…

      Après une étude de terrain faisant clairement apparaître ces contraintes temporelles, le Bureau des temps a contribué à imaginer une nouvelle organisation facilitant l’intervention des personnels d’entretien aux heures normales de bureau. Outre une réelle amélioration des conditions de travail pour les personnes concernées, il en a découlé une plus grande reconnaissance de leur métier. Longtemps invisibles, ces femmes font désormais partie de l’environnement de travail quotidien des agents de la mairie. À la clé, de l’aveu même des principaux intéressés : une meilleure considération professionnelle et une indéniable amélioration du rythme de travail, beaucoup moins parcellisé que dans le système antérieur.  

     Cet exemple est désormais bien connu des Rennais, car il est systématiquement associé à l’évocation de l’histoire du Bureau des temps. Treize ans plus tard, cette structure est-elle toujours aussi utile ? Pour Katja Krü- ger, adjointe (PCF) au maire de Rennes et déléguée aux temps de la ville, la réponse ne fait aucun doute. « C’est un outil assez unique à l’échelle d’une agglomération comme Rennes Métropole [le Bureau des Temps concerne à la fois la ville et l’agglomération]. Il permet de donner de la visibilité et de l’importance aux questions de temporalités et d’égalité, dans une logique complètement transversale », souligne l’élue, qui se consacre exclusivement à cette délégation, preuve à ses yeux du « choix politique » ainsi réalisé… À ce titre, Rennes fait partie du réseau national Tempo Territorial, qui réunit une vingtaine de structures similaires dans l’Hexagone.

     Le Bureau des Temps, animé par Évelyne Reeves, comprend une petite équipe de spécialistes qui peuvent intervenir sur des études très variées pour mesurer l’impact sur les temps de la ville d’une décision d’aménagement ou d’organisation. Et ces domaines sont nombreux, à l’échelle d’un quartier, d’une administration ou d’un service de transports, par exemple. Sollicité à titre d’expert, comme un tiers neutre, le Bureau des temps contribue à éclairer la réflexion des élus et des techniciens, sans prendre le pas sur la décision politique finale. Dans le champ de la mobilité, notamment, il a travaillé sur la question complexe de la saturation du métro aux abords de la station de Villejean le matin aux heures de pointe. La solution retenue a consisté, après négociation avec l’Université Rennes 2, à décaler les horaires des cours du matin à la faculté pour réduire cette fameuse « hyperpointe » et lisser les déplacements. Un bilan détaillé de cette expérience est d’ailleurs en cours de réalisation, afin de tirer les enseignements de la démarche et envisager de nouvelles applications, notamment dans la perspective de la deuxième ligne de métro en cours de construction.  

     Les embouteillages chroniques sur la rocade rennaise sont également étudiés à la loupe. « Nous cherchons actuellement à identifier les différents générateurs des flux au rond-point de la porte de Longchamps sur la rocade nord, en discutant notamment avec les entreprises implantées dans cette nouvelle zone d’activités, pour connaître précisément leurs horaires et leur proposer d’éventuels aménagements », explique Katja Krüger, convaincue que « face au temps, il n’y a jamais une solution unique. Il faut de la négociation, du compromis pour améliorer les situations ».

     Le Bureau des Temps peut également éclairer les choix d’aménagement urbains, à l’heure de l’implantation de tel ou tel service ou commerce dans un nouveau quartier, par exemple. La réalisation d’une carte des distances piétonnes à l’échelle des principaux pôles métropolitains devrait permettre de disposer de données objectives sur les distances « marchables » dans la ville (lire page 13). « Ce projet illustre parfaitement la transversalité dont je parlais à l’instant, souligne la déléguée aux temps de la ville. C’est un outil qui permet aux élus de voir où il est possible de créer des pôles de proximité, en identifiant les zones peu ou mal desservies. Mais je souhaite aussi que les habitants eux-mêmes puissent y avoir accès, pour mieux connaître leur environnement actuel ou futur ».  

     En cette rentrée 2015, le Bureau des Temps planche sur la question sensible de l’accessibilité des services publics, et l’amplitude horaire les mieux adaptées aux nouveaux rythmes des habitants. « Attention, prévient Katja Krüger, à ne pas tomber dans le piège de la ville 24h/24 ! Les services accessibles à toute heure pénalisent aussi les femmes, qui sont majoritairement les salariées en première ligne dans ce type de fonction ». Autre enquête en cours, en lien direct avec les premiers travaux du début des années 2000 : l’évaluation du temps de travail et du temps partiel dans les services publics locaux, à la Ville, à Rennes Métropole et au centre communal d’action sociale (CCAS). Objectif : disposer de données fiables et actualisées sur ce temps partiel, subi ou choisi. On le voit, les questions de temporalité sont au cœur de la fabrique de la ville. Au niveau national, le débat sur l’ouverture des magasins le dimanche dans le cadre du vote de la loi Macron a défrayé la chronique ces derniers mois, montrant au passage la très forte sensibilité à la dimension symbolique attachée à ce jour singulier. À Rennes, le dernier festival des Tombées de la Nuit, en juillet, s’est conclu par l’annonce de l’organisation à partir du printemps 2016, d’une « saison des dimanches » pour animer la ville le septième jour (voir pages 32 et suivantes). Le Bureau des temps a été associé à la démarche, en recensant les propositions existantes, ainsi que tous les lieux accessibles le dimanche à Rennes et souvent méconnus ou négligés. « Le dimanche, le temps s’écoule différemment, c’est un temps plus familial, moins marchand, moins contraint aussi par des horaires de début ou de fin d’activité », note Katja Krüger. Car le rapport au temps est aussi une affaire de culture. Pour l’élue, d’origine allemande, il est normal de s’arrêter aux passages piétons, et tout à fait inconcevable de courir dans les escalators du métro ! En découle peut-être une perception différente des temporalités urbaines, plus apaisée.   

     Et le numérique, dans tout cela ? Les nouvelles applications mobiles modifient-elles la perception temporelle de la ville, à l’image de Ren Circul’, qui donne en temps réel la carte des travaux ou la disponibilité des places de stationnement ? Elles facilitent évidemment le quotidien des possesseurs de smartphones, mais il ne faut pas oublier tous ceux qui ne sont pas équipés de ces mobiles de dernière génération. Notamment les seniors, qui pourtant, seraient les premiers intéressés à connaître l’existence d’un banc public sur le trajet piéton qu’ils envisagent de réaliser !

Afin de partager ce type d’information avec le plus grand nombre, un projet de signalétique urbaine est en cours de finalisation, afin d’indiquer les temps de parcours piéton pour atteindre tel ou tel monument ou point d’intérêt dans la ville. Si l’on sait qu’il y a un parc ou un espace vert à cinq minutes à pied, on sera peut-être plus enclin à s’y promener. Et puis à Rennes, ville de conférences, le temps fait toujours recette, en témoigne le succès du cycle des Jeudis du temps, organisés aux Champs libres. Prochain rendez-vous, cet automne, autour des temps du sport dans la ville. Pas forcément pour battre un record de vitesse !