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Dossier
#11
Petit commerce, la rupture est consommée
RÉSUMÉ > Jusqu’aux années 1970, les commerces alimentaires reflétaient la vitalité sociale du quartier. Aujourd’hui, ils se comptent sur les doigts d’une main et les consommateurs ont déserté. Les futurs aménagements ne laissent pas présager le retour d’un « esprit village » autour des échoppes.

« Il y avait de l’animation dans les rues, à l’époque. Rue de Quineleu, on comptait trois épiceries, une crémerie, une poissonnerie, etc. Quand je sortais de l’atelier SNCF, je remontais la rue Pierre-Martin jusque chez moi en m’arrêtant dans chaque boutique pour faire mes courses. » Marguerite Ollive, en grande discussion avec ses collègues, eux aussi cheminots à la retraite, recense les anciens commerces alimentaires du quartier.
Ils s’attardent surtout sur des lieux emblématiques, savent même donner les noms des commerçants et connaissent une partie de leur vie. Ils se rappellent par exemple d’André Ferron, l’ancien traiteur du 47, rue de Riaval : « Les personnes âgées allaient tous les midis chercher leur plat chaud chez lui. Ils discutaient beaucoup. S’il ne les voyait pas pendant deux jours, il se faisait du souci. Les cheminots s’y rendaient aussi. Maintenant, ils ont du mal à trouver à manger, donc pour le déjeuner, ils amènent leur gamelle. »

Dans une étude réalisée pour la Ville de Rennes en 1999, les auteurs décrivent cette sociabilité développée autour des magasins : « Jusque dans les années 1960, ces quartiers étaient constellés de commerces de proximité qui possédaient une fonction utilitaire et sociale importante. » Ils relèvent également qu’entre 1936 et 1999, le nombre de commerces alimentaires a chuté de trente-cinq à cinq. Aujourd’hui, seules les rues de Nantes et Saint-Hélier, ainsi que les boulevards Clemenceau et Pompidou, qui délimitent le quartier, sont assez bien pourvus en commerces. Ils captent la clientèle de passage, sur le chemin entre la maison et le travail. « Mais, les habitants des nombreuses petites rues des secteurs de Sainte-Thérèse et des Sacrés-Coeurs en sont relativement éloignés », lit-on dans une étude de la Caravane des quartiers. Au coeur du quartier, parfois, une enseigne tranche avec la succession continuelle des maisons. « Il y a trente ans, il y avait six boucheries dans le secteur. Aujourd’hui, nous sommes la dernière », précise la gérante de la boucherie Texier, boulevard Jacques-Cartier. Ernest Gérard, président du comité de quartier, ajoute : « Autour de la rue Ginguené, il y avait au moins cinq épiceries ; il n’en reste plus qu’une ». Une boucherie-crémerie qui, vérification faite, a fermé définitivement il y a quelques semaines.
Les commerces sont vieillissants – la boucherie-crémerie n’a pas survécu à la demande de mise aux normes de la part des services sanitaires – et les commerçants ont du mal à revendre une fois la retraite venue, notamment en raison des coûts de succession souvent élevés. « Le boulanger qui veut ouvrir préfèrera aller dans le centre, car il sera plus identifiable, surtout qu’on ne sait pas ce que va devenir le quartier dans les prochaines années », indique Yannick Salmon, urbaniste à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Rennes et spécialiste des évolutions de la consommation. A la boucherie Texier par exemple, on juge que la clientèle « n’est plus aussi fidèle qu’avant ».
Les consommateurs ont ainsi déserté le quartier au profit du centre commercial Alma ou des Trois Soleils, situés respectivement au Sud et au Nord du quartier. Entre les deux, Sud-gare fait figure de « no man’s land commercial », selon une formule de Loïc Jézéquélou, responsable de l’Observatoire de la CCI. Gisèle, 50 ans, raconte : « Je vais rue Saint-Hélier ou dans le centre-ville en transports en commun, ou sinon je prends la voiture pour aller dans les centres commerciaux. Je vais toutes les semaines au marché Sainte-Thérèse. Pour l’instant je peux me déplacer, mais quand je serai vieille, ce sera autre chose. » Marguerite, 84 ans, fait appel à la famille : « Mon fils m’amène en voiture à la Poterie, à l’hypermarché. »

En fait, les consommateurs sont « multiplexes », dit-on à la CCI : ils font les trois quarts de leurs courses dans les grandes surfaces. Le reste est réservé aux achats d’appoint dans les petits commerces. Selon le portrait social issu de la Caravane des quartiers d’octobre 2010, la moitié d’entre eux place dans ses priorités l’amélioration des commerces de proximité. Ils souhaitent une épicerie peu chère et avec des horaires d’ouverture élargis. Pierre Benaben, urbaniste à Rennes Métropole, souligne toutefois leur comportement contradictoire. Il s’adresse aux consommateurs : « Ne venez pas demander maintenant ce que vous n’avez pas su soutenir en temps et en heure ! » Pour lui, le problème réside dans le fait que le quartier est monofonctionnel : « Il n’a pas d’activité génératrice d’emplois, pas de bureaux, d’équipements structurants qui permettraient d’avoir des consommateurs en journée. Ça ressemble à une cité dortoir. »
« La morphologie du quartier n’est pas non plus propice à la rencontre, renchérit Yannick Salmon. Il faut donner aux gens la possibilité de se voir pour que cette zone devienne une vraie alternative au commerce extérieur, et tel qu’il est, il est trop dense, il n’est pas fait pour. » Christelle peut en témoigner : il y a onze ans, elle tenait une boulangerie dans une petite rue non loin de l’église. Face aux clients peu nombreux, elle a repris il y a quatre ans Les Délices des Sacrés-Coeurs, à quelques mètres de là. Plus visible à l’angle des rues Palissy et Ginguené, sa nouvelle boulangerie attire une clientèle fidèle, « surtout grâce aux écoles situées à proximité ». Mais ce n’est qu’un exemple isolé.

La solution serait de redynamiser le quartier par le commerce, pour ne pas en faire un « quartier dortoir ». Lénaïc Briéro, élue du quartier Sud-gare, donne des précisions concernant l’aménagement de la Zac Alma : « On aimerait une petite épicerie avec des cellules commerciales de type boulangerie, boucherie, autour de la place Jacques-Cartier, à la sortie du métro. On a lancé un appel d’offres. Un boulanger et une brasserie sont intéressés. » Carrefour City s’est également manifesté auprès de la CCI pour une implantation proche de la station Jacques-Cartier. L’épicerie serait livrée en 2014, le reste des commerces à l’horizon 2018. Le but est de « recréer un esprit village place Jacques-Cartier ».
Ce projet est-il compatible avec les attentes des habitants ? « La boulangerie du boulevard Jacques-Cartier, c’est déjà trop loin pour moi », se désole Marguerite, qui habite rue du Père-Maunoir. On peut imaginer que les futurs commerces de la Zac Alma feront encore moins son affaire. L’intérêt d’un commerce de proximité est de pouvoir s’y rendre à pied.
La solution serait d’installer un pôle commercial dans le coeur de chaque ancien village de Sainte-Thérèse et des Sacrés-Coeurs. « Il n’y a pas de volonté politique dans ce sens, selon Yannick Salmon. À l’avenir, on peut penser que les projets privilégieront les grands axes qui mêleront commerce de flux pour les consommateurs de passage et commerce de destination pour les habitants du quartier. D’ici à ce que les commerces s’implantent, le quartier aura de toute façon complètement changé de configuration. » Et l’identité de Sud-gare ne passera sûrement plus par le commerce de proximité.