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Dossier
#11
RÉSUMÉ > L’église des Sacrés-Coeurs, qui fut pendant longtemps un symbole indissociable de l’identité du quartier, a grandement perdu de son rayonnement. À l’occasion de la célébration de son centenaire, seuls les plus anciens se sont déplacés pour rendre hommage à une paroisse davantage tournée vers le passé que vers l’avenir.

Dix heures du matin, rue de Villeneuve. Dans le froid de ce dimanche de mars, tout demeure immobile autour de l’église des Sacrés-Coeurs. Les devantures des magasins sont habillées de gris, certaines fermées pour un jour, d’autres pour toujours. Un couple apparaît au coin de la rue, endimanché. À sa suite, deux autres silhouettes se dessinent, bientôt suivies d’un flot de fidèles cheminant en direction de l’église. Habituellement, cet édifice néo-gothique, coeur du quartier de Villeneuve, n’accueille pas la messe le dimanche. Seulement, ce matin là, les habitants sont invités à célébrer l’un de leurs symboles.
Édifiée en 1911, la paroisse des Sacrés-Coeurs fête son centenaire. Entourée de pavillons et des quelques petits commerces qui subsistent, on l’imagine mal dans un autre environnement. Pourtant, à l’origine, elle prenait place au milieu des champs dans un quartier qui n’était encore connu que pour ses fermes et sa prison. Elle obligeait alors ses rares paroissiens à une longue marche pour venir y affirmer leur foi. Dans les années qui suivront, l’église donnera au quartier du Sacré-Coeur (ancien nom de Villeneuve) un nom, un lieu de rassemblement et une identité. Une école est construite, les maisons se multiplient, l’espace prend vie autour de la paroisse. Pendant des décennies, croyants et laïcs s’y retrouveront et célébreront ensemble leur faubourg devenu quartier. Un quartier fortement marqué depuis ses origines par une identité cheminote issue du voisinage de la gare. Si, d’après le père Lecoq, en charge de la paroisse, certains cheminots « voulaient bouffer du curé », beaucoup d’entre eux se rendaient régulièrement à la messe le dimanche.
 

Une majorité d’anciens dans l’église

En 2011, l’église n’a plus la même aura. Ce 6 mars, pourtant, près de six cents personnes sont présentes, assises sur les bancs ou debout, dans les bas-côtés. L’édifice, fermé pour rénovation en 2009 et rouvert en décembre dernier, est paré pour le cérémonial qui l’attend. Les fidèles se serrent en rang d’oignons pour pouvoir assister à l’arrivée de l’archevêque de Rennes, Monseigneur Pierre d’Ornellas. Après une oraison retraçant l’histoire commune de la paroisse et du quartier, il convient que « fêter le centenaire de l’église des Sacrés-Coeurs, c’est finalement célébrer celui du quartier ». Dans l’assemblée, les têtes approuvent. Une femme, accompagnée d’un groupe d’amis, témoigne : « Cela fait trente-six ans que j’habite ici. J’ai vécu des moments très forts aux Sacrés-Coeurs... Ça fait quelques temps qu’on ne va plus à la messe toutes les semaines, mais on voulait absolument venir, on savait que ce serait une grande fête. »
Le père Joseph Lecoq poursuit la célébration en prononçant, à son tour, un discours-hommage. Il déclare : « Célébrer un centenaire invite à faire mémoire du passé, à regarder le chemin parcouru, à évoquer des noms, des visages, des évènements multiples et variés, qui ont façonné notre histoire paroissiale ». Son allocution, pourtant, ne sombre pas dans le simple éloge du passé. Il est profondément empreint d’un espoir qu’il veut faire partager. « Les champs et les prés ont disparu : immeubles, pavillons et maisons, écoles et collèges, casernes, commerces et ateliers, rues, avenues et boulevards ont rempli l’espace. On traverse même la ville en métro ! En 2011, l’an 1911 paraît si loin ! » Les fidèles écoutent attentivement, sous la grande voûte boisée de l’édifice. L’homme a le charisme du prêcheur ; il conclut, main levée : « Cette belle centenaire nous invite à regarder vers demain ». La salle applaudit, poliment. Une salle composée presque exclusivement d’anciens.

L’influence de l’église dans le quartier, comme partout ailleurs, décline d’abord dans les années 1960 avant de s’effondrer vingt ans plus tard. Danielle Roulleau, membre de l’association du centenaire de l’église des Sacrés-Coeurs et auteure d’un ouvrage retraçant l’histoire du bâtiment, explique cette évolution : « Le rapport à la foi a réellement changé dans le quartier au cours des années 1970. Avant, tout était extériorisé, la fête des Sacrés-Coeurs en juin, était la fête du quartier tout entier. »
Après la messe, un « verre de l’amitié » est servi dans l’école voisine par l’association du centenaire. Les différents acteurs qui ont aidé à la rénovation de l’église se relayent sur l’estrade pour un discours. Essayant de se faire une place dans la salle bondée, Cécile, professeur dans l’enseignement privé, glisse discrètement : « Dans le quartier, il y a plus d’enterrements que de mariages, c’est sûr ! La population change peu à peu, tout de même. Ce n’est plus le village d’antan. »
« La société a logiquement évolué », continue Danielle Roulleau, évoquant le Concile Vatican II, mai 1968, et la perte d’influence de l’église dans la société. « Puis, les commerces ont fermé dans les années 70 et 80, poursuit- elle. Le quartier s’est comme endormi pour de nombreuses années. Il y a alors eu très peu de nouvelles constructions. » Le quartier Sud-gare est celui qui compte la proportion la plus élevée d’habitants de plus de 60 ans. Matthieu Auffort, adjoint à l’animation à la direction de quartier Villeneuve, confirme cette impression d’espace situé en dehors des dynamiques de la ville. « En termes d’urbanisation, cette zone du quartier de Villeneuve ne change pas beaucoup en comparaison avec les quartiers environnants. C’est même assez incroyable. »

« Les jeunes veulent des concerts, pas des églises »

D’après Danielle Roulleau, les jeunes du quartier ne pensent plus les Sacrés-Coeurs comme un marqueur de leur identité territoriale. Elle estime que l’église doit faire évoluer ses activités si elle veut aider à transmettre la mémoire du quartier aux nouvelles générations. « Les jeunes accordent une grande importance à la culture, ils veulent plus de moyens, des concerts, des musées. Pas des églises. Ce sont des gens instruits qui arrivent, des jeunes fortunés. Si l’église proposait ce genre d’activité, elle attirerait plus de monde. »
Dans un quartier amené à changer rapidement du fait des aménagements urbains à venir, tels le projet Euro- Rennes ou la Zac de la rue de l’Alma, les populations les plus âgées s’inquiètent. Pourtant, si la messe connaît une baisse importante de fréquentation, l’église est maintenue en vie grâce à l’action des chrétiens qui s’investissent dans la vie associative du quartier. « Beaucoup de pratiquants sont toujours présents dans les associations, les maisons de quartier ou les services de visite à domicile », soutient le Père Lecoq.
Venu remercier les organisateurs de la cérémonie, à l’instar d’Henri Fréville cinquante ans auparavant, le maire de Rennes Daniel Delaveau indique que la logique urbaine actuelle appelle à regarder au-delà du « village » : « Dans ces quartiers qui se sont originellement construits autour de paroisses, ces églises comptent énormément. Surtout ici. Elles nourrissent le tissu associatif. Mais ces quartiers changent, c’est la logique de la métropolisation, inévitable aujourd’hui. »