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Dossier
#11
RÉSUMÉ > À sa création, il y a vingt ans, cette association remettait en cause l’usage et la qualité des espaces publics. Aujourd’hui, Rennes-Jardin se concentre essentiellement sur le jardinage. Pour ses adhérents, cette tradition reste un élément important du maintien de leur cadre de vie.

Entre la fontaine et l’épouvantail, un lièvre et une tortue en résine donnent à ce jardin de la rue Jean-Baptiste- Barré des allures de fable. Troisième prix du concours des pavillons fleuris de Rennes en 2010, Fernand Truet, ancien ouvrier thermicien, passe le plus clair de son temps à bricoler et s’occuper de ses plantes. Un loisir qui le passionne tellement que l’homme fait profiter les adhérents de Rennes-Jardin de son expérience. Depuis vingt ans, cette association du quartier Sainte-Thérèse organise des activités de découverte et d’apprentissage. Opérations « Jardins ouverts », démonstration de taille, échanges de boutures et même vendanges : « Les idées ne manquent pas pour préserver l’esprit convivial du quartier », résume Roselyne Joubin, sa présidente.
Rennes-Jardin n’hésite pas non plus à défoncer des trottoirs à coups de burin pour y planter des fleurs. L’initiative fait sourire mais traduit des préoccupations urbanistiques. Depuis sa naissance, l’association se bat pour végétaliser les espaces publics. Cette démarche, pionnière en France, dépasse la simple recherche esthétique. L’association défend un urbanisme respectueux de la nature et de l’identité des riverains.

C’est pour défendre la propriété d’un voisin défunt, menacée de destruction, que le mouvement a été créé en 1991. Jardinier de profession, l’homme n’aurait pas apprécié que l’on touche à son lopin de terre pour y construire un immeuble. L’opposition se structure alors en association. Bernard Godffroy, l’un des initiateurs du projet, se souvient de cette période : « Il y avait une spéculation sur le quartier. Des propriétaires achetaient pour louer. Des jardins étaient supprimés pour construire de nouveaux immeubles… Nous devions réagir. » Les habitants de Sainte-Thérèse se mobilisent et invitent les élus à venir constater la nécessité d’une protection de l’existant.
Et l’existant, ce sont bien sûr ces pavillons, souvent anciens, qui émaillent le quartier, et ces jardins, fierté des riverains. « C’est un quartier ouvrier cheminot, où les gens avaient un savoir-faire du jardin, poursuit Bernard Godffroy. Notre rôle, c’est de conserver cet esprit de village. » En quelques semaines, les tracts et le porte-à-porte mobilisent plus d’une centaine d’adhérents, dont Pascale Loget, future conseillère municipale, qui sera la première présidente de l’association. Cette force permet à Rennes- Jardin de mener des actions coup de poing, comme les plantations d’arbres en 1995. Alors que deux maisons sont détruites pour laisser passer la future ligne de métro, l’association plante ifs, merisiers et troènes en toute illégalité sur les deux cents mètres carrés de terrain en friche. La mairie laisse faire et va même jusqu’à modifier le plan d’occupation des sols. Première victoire des jardiniers. Mais Rennes-Jardin voit grand. Le groupe de riverains, à l’étroit dans ses espaces privatifs, s’intéresse aussi au domaine public. Jeunes ou vieux, actifs ou retraités, ouvriers ou avocats… ils appartiennent au quartier comme celui-ci leur appartient, ce qui semble une raison suffisante pour se le réapproprier de façon militante. Çà et là, les adhérents fleurissent rues, trottoirs, pieds de murs, et surtout s’interrogent sur l’urbanisation croissante. « Les opérations de végétalisation sont l’occasion d’attirer l’attention du public sur les projets qui menacent l’identité pavillonnaire du quartier », explique Roselyne Joubin.

Parmi les projets urbanistiques chahutés par l’association : la Zac Alma et notamment les situations humaines qu’engendrent les démolitions de propriétés. En 2010, la présidente exprime, dans la lettre annuelle de l’association, l’insatisfaction et le dépit des adhérents face au départ de certains habitants, et à la dégradation de leur cadre de vie.
Qu’il s’agisse d’aménagement de la Zac Rabelais-Rouault, du devenir de la prison Jacques-Cartier, des demandes de crèches, de parcs ou du stationnement, l’association se fait entendre auprès de la mairie avec qui elle a parfois des rapports tendus. « L’asso a été très active dès le départ, ce qui a gêné la mairie, déclare Bernard Godffroy. Notre but n’est pourtant pas d’interdire les immeubles. C’est dans l’ordre des choses qu’un quartier bouge, évolue. C’est vrai que notre démarche est politique et écologique, mais nous n’avons pas d’étiquette. La finalité n’est pas de faire de la politique. » Claudine Costiou, une adhérente, confirme : « Sans Rennes-Jardin, on serait couvert d’immeubles. Mais cela reste une association. »

Pourtant, les jardiniers engagés éprouvent depuis quelques années des difficultés à s’imposer comme relais efficace des habitants. Au bureau de l’association, si on rappelle que Rennes-Jardin a été influente, on s’accorde à dire que son poids en matière d’urbanisme auprès de la mairie est aujourd’hui insignifiant. Les responsables pointent du doigt les conseils de quartier : « Ces conseils sont arrivés pour gérer les associations qui avaient trop de poids. C’est une arme qui a bien fonctionné puisqu’ils ont un peu démobilisé tout le monde. » En prenant en charge les revendications du tissu associatif, ces conseils auraient supplanté l’action d’associations comme Rennes- Jardin qui luttent pour la promotion d’une identité collective. « Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans une démarche d’accompagnement, avec ces opérations autour du jardin », déplore Bernard Godffroy, qui n’exclut pas de voir Rennes-Jardin revenir à ses premières amours.
Un goût de l’engagement qui pourrait resurgir avec le projet EuroRennes jugé « un peu utopique » par Roselyne Joubin : « Le groupe de travail auquel nous participons est plutôt un groupe d’information. Mais il y a une mauvaise communication de la part de la mairie. » Les jardiniers de Sainte-Thérèse soulignent l’absence « d’humain » du projet. Celui-ci ne tiendrait pas suffisamment compte de la qualité de vie chère au quartier. La présidente prévient : « S’il n’y a pas d’îlots d’apaisement, de vie commune, on va connaître les nuisances et l’hostilité des grands ensembles.»