L'éditorial

     Le logement social est un défi sans cesse recommencé. Le défi ne consiste pas seulement à construire des logements agréables, durables, pas chers permettant de loger les gens selon leurs moyens et selon leurs besoin, il consiste plus largement à bâtir « la cité » : si possible équilibrée, harmonieuse, sans ghetto…
    Un geste ardemment politique, qui fait partie de la mission des décideurs politiques pour peu qu’ils aient la volonté d’imprimer au territoire une logique sociale qui l’arrache aux seules forces du marché, du profit ou de la spéculation. Du logement, on va beaucoup parler à Rennes en ce mois de septembre. La ville accueille du 22 au 24, le congrès de l’Union sociale de l’habitat qui réunit toutes les sociétés d’Hlm publiques ou privées du pays. Dix mille congressistes sont attendus pour ce grand rendez-vous annuel de ceux qui oeuvrent dans le domaine de l’habitat social.
    Évidemment, ce n’est pas un hasard si l’Ush a choisi la capitale bretonne. Rennes est souvent citée en exemple pour sa politique de l’habitat. Beaucoup envient un « système » à l’oeuvre depuis des décennies. Au point que l’on a pu parler d’un « modèle rennais ». Ce dossier de Place Publique tente de cerner cette notion un peu floue, un peu intuitive, que les acteurs de notre Métropole ne revendiquent qu’avec prudence, modestie oblige.
    Mais personne ne conteste que Rennes joue depuis longtemps un rôle de « laboratoire social ». Elle a souvent inventé, en tout cas toujours appliqué précocement des dispositifs qui se sont ensuite généralisés. Nous en dressons une liste – non exhaustive- dans un premier article (page 7) : locaux collectifs résidentiels, commission d’attribution de logement, fonds d’impayés de loyer…
    Ce que soulignent nos interlocuteurs, c’est que toutes ces améliorations reposent sur une faculté réelle (et rennaise) de se mettre autour d’une table pour discuter ensemble et trouver la meilleure solution, sans que les clivages politiques, catégoriels ou géographiques ne viennent perturber l’action.
    L’une des idées-force du « concept rennais » est exprimée par Guy Potin (page 9), le viceprésident de Rennes Métropole délégué à l’habitat, quand il parle d’approche « systémique ». Autrement dit, une démarche globale qui ne sépare pas le logement social du reste. La politique de l’habitat, c’est un tout où tout se tient. Ce n’est pas qu’une succession de programmes immobiliers. L’élu reprend un adage de l’abbé Pierre : « une politique de l’habitat qui ne serait que pour les pauvres ne serait qu’une pauvre politique ».
    L’autre élément incontournable quand on parle de politique de l’habitat, c’est la durée. Cela ne se fait pas d’un claquement de doigt. Il faut du temps, beaucoup de temps pour faire aboutir idées et projets dans ce domaine. D’ailleurs si Rennes a toujours une petite longueur d’avance, c’est bien parce que la ville a démarré très tôt son processus de réflexion et d’engagement en faveur du logement des plus démunis. Nous avons ici une histoire très ancienne qui a enclenché une culture locale dont les édiles actuels sont les héritiers. Faut-il remonter jusqu’au docteur Toulmouche qui en 1849 étudia pour s’en indigner les taudis du quartier de la rue de Brest ou encore à Armand de Melun, député d’Ille-et-Vilaine, qui dans ces années-là fit voter une loi, la première, sur le logement ouvrier ?
    Une chose est sûre, dès l’institution des Habitations à bon marché (Hbm, ancêtre des Hlm), Rennes était sur les rangs. Benjamin Sabatier raconte cette histoire (page 19) sans oublier de brosser le portrait de quelques figures majeures de cette aventure du logement, personnages à qui la ville doit beaucoup mais dont les noms restent méconnus en dehors du cercle des spécialistes, nous voulons parler des Charles Bougot, Oscar Leroux, Guy Houist (page 24).
    La véritable explosion du logement social à Rennes, c’est l’après-guerre. Il y avait pénurie et la démographie galopait. La municipalité centriste d’Henri Fréville (1953-1977) fut une grande bâtisseuse. Durant ces Trente Glorieuses, elle fait émerger les grands ensembles : Maurepas, Villejean, la Zup Sud… Quand la gauche arrive, en 1977, tout en s’inscrivant dans une certaine continuité, elle relance la politique de l’habitat considérée comme une priorité. Dans une interview (page 27), Edmond Hervé rappelle que l’un ses premiers actes fut d’étendre le périmètre de l’intervention foncière. A Rennes l’habitat est l’affaire de la mairie, on veut maîtriser le sol et la construction, quitte à se faire taxer de dirigiste. L’ancien maire rappelle les trente Zac, la politique de réhabilitation (Cleunay), les logements sociaux là où il n’y en avait pas (centre-ville), les nouveaux quartiers voués à la mixité (Longchamps, Poterie), l’extension de cette politique à l’ensemble des communes jusqu’à cet aboutissement que fut le Programme local de l’habitat de 2005 qui concerne les 37 communes de Rennes Métropole.
    L’aptitude à discuter ne veut pas dire que tout le monde soit d’accord. Ainsi les promoteurs habitués à jouer le jeu de cet urbanisme contraint expriment sur certains points leurs désaccord, surtout en ces périodes de crise. C’est le cas ici de la représentante de ces promoteurs, Véronique Bléas-Moncorps (page 32).
    L’une des questions qui se posent pour l’avenir est de savoir quels logements construire à l’heure du développement durable ? Jacques Gefflot, un architecte rennais impliqué dans habitat social (page 35) détaille les nouveaux paramètres : il s’agit de redonner une « identité forte » aux immeubles réhabilités aussi bien que de construire du neuf avec le souci de la lumière, de la ventilation, de la couleur, de l’insertion dans le paysage… Au sein du relatif consensus rennais, des actions comme celles du Dal (Droit au logement) quand il plante des échardes dans un système bien rodé, ne sont pas loin d’apparaître comme incongrues. L’affaire du squat de Pacé, le « plus grand squat de France », occupé depuis le printemps par 250 migrants, fait partie de ces « grains de sable » où la colère le dispute à l’impuissance. Si Rennes a mis en place des réponses dans ce domaine, force est de reconnaître qu’elle n’a pas réponse à tout (page 41). D’un autre côté, il faut écouter Bernard Lacharme (page 45), le délégué de la Fnars (associations de réinsertion sociale) rappeler que le nombre de recours Dalo (droit au logement opposable) est très faible en Ille-et-Vilaine, de l’ordre de vingt par an, ce qui est le fruit, estime-t-il, d’un système d’attribution de logements juste et attentif. Tout cela sonne évidemment d’une manière très positive. Ce n’est pas une raison pour se reposer sur ses lauriers. Parmi les questions restant ouvertes, il y celle de la « ville-archipel », ce modèle urbain qui fait de Rennes une ville sans banlieue, mais reliée à des communes-îlots baignées dans la verdure ? Le coût, environnemental et financier, des déplacements quotidiens, ne rend-il pas caduque cette douce utopie ? Non, répond ici Emmanuel Couet, le vice-président de Rennes-Métropole, délégué à l’aménagement (page 47) Le polycentrisme n’est pas mort. Il s’agit de réinventer d’autres formes urbaines plus denses. Et la métropole rennaise n’est pas en reste sur ce sujet.
    La vraie vision de la « vraie vie », loin des généralités forcément lénifiantes, c’est auprès des « usagers » du logement, les locataires eux-mêmes, qu’il faut aller la chercher. Là, autant d’itinéraires, de situations et d’appréciations que de personnes. Nous en avons rencontré six pour clore ce dossier (page 51). Il ne s’agit évidemment pas d’un « échantillon représentatif », scientifiquement établi. Il s’agit simplement d’une parole d’habitant. L’habiter étant ici à entendre au sens plein du terme.