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Histoire & Patrimoine
#12
Yves Lemoine
(1898-1958), le dernier architecte de la ville
RÉSUMÉ > Yves Lemoine (1898-1958) est connu à Rennes comme l’architecte municipal qui succède à Emmanuel Le Ray en 1932. Formé à l’École régionale d’architecture de Rennes, Lemoine a Le Ray comme professeur, puis devient son adjoint de 1928 à 1932 et enfin prend sa succession au moment de son départ à la retraite. Ses réalisations les plus connues sont la maison Odorico et l’immeuble Tomine, mais on lui doit aussi l’école Oscar-Leroux, l’ancien Institut de géologie, les Nouvelles Galeries (aujourd’hui Galeries Lafayette) et de nombreuses HLM.

     Issu d’une famille de négociants, Yves Lemoine est né à Rennes . Il passe une partie de son enfance à Cancale où son père fut un temps gérant de la criée. Peu avant la Grande Guerre, il est interne au lycée de Rennes (Emile-Zola aujourd’hui) où il reçoit un prix en « dessin d’imitation ».
     En 1916, devançant l’appel, il s’engage et participe aux combats comme artilleur. En 1920, il intègre la nouvelle École régionale d’architecture, dont il devient le massier3. C’est à cette occasion qu’il noue une forte et durable amitié avec Albert Hec (1900-1965). L’architecte de la Ville, Emmanuel Le Ray, remarque le jeune Lemoine et le missionne pour différents travaux à un moment d’intense activité pour l’atelier. En parallèle, il travaille pour l’entrepreneur Robert Novello, implanté sur le mail, dont il aurait dessiné les plans de la maison en 1925.
     Il obtient son diplôme d’architecte le 6 juin 1928, et, dès le 1er août, il est nommé architecte-adjoint de la ville de Rennes, poste créé pour lui, sous la direction d’Emmanuel Le Ray, qui souhaitait être secondé.

La collaboration avec Le Ray entre public et privé

     Ce sont deux forts caractères qui travaillent alors ensemble. Au regard des réalisations produites entre 1928 et 1932, la plus grande partie peut être attribuée à Yves Lemoine. C’est le cas du commissariat couplé au bureau de la foire-exposition boulevard Magenta (aujourd’hui Maison de la consommation et de l’environnement) et de la première école construite par Lemoine, le groupe scolaire Carle-Bahon. Si sur ces programmes, la main de Le Ray est encore présente pour les volumes et les matériaux employés, une tendance plus moderne est toutefois perceptible dans le traitement des baies du bureau de la foire-exposition. L’influence de Le Ray se fait par la suite de plus en plus discrète, comme dans la crèche de la rue Papu, programme remanié par Lemoine.
     Paradoxalement, avant la guerre, ce n’est ni à la Ville, ni à l’Office municipal d’habitations à bon marché (HBM) que Lemoine doit ses plus belles oeuvres, mais à la commande privée. Ainsi, il réalise avec Emmanuel Le Ray, entre 1928 et 1932 quai Duguay-Trouin, dans un Art déco dépouillé, les Nouvelles Galeries, un édifice que l’on peut rapprocher de la Chambre de Commerce, inaugurée en 1936 place Honoré-Commeurec. Au même moment, Yves Lemoine réalise l’immeuble de la place du Calvaire, couplé à l’ancien cinéma Le Royal (1931-1933), aujourd’hui disparu. Dans cet édifice, il se libère du joug de son maître pour fournir une oeuvre personnelle, épurée et d’une grande maîtrise, deux qualités qui vont caractériser son style à partir du début des années 1930.
     Un des plus beaux témoignages de cette époque est sans doute l’immeuble Tomine (3, avenue Janvier), une des oeuvres les plus abouties de Lemoine pour laquelle il s’inspire des immeubles de luxe parisiens de Michel Roux-Spitz. Non loin de là, rue Joseph-Sauveur, Lemoine dessine les plans de la maison Odorico entre 1939 et 1940 et apporte un beau témoignage d’une architecture moderne utilisant des formes géométriques et harmonieuses.

     Yves Lemoine est moins à l’aise dans les petits programmes publics construits à l’économie, là où son prédécesseur excellait. Comme architecte de la Ville, il fait les frais du contexte défavorable des années 1930 et de la Seconde Guerre mondiale qui met un frein aux nombreux projets du maire François Château.
     Durant cette période, son oeuvre majeure, aujourd’hui détruite, est l’école de Filles de la rue Pierre-Legrand (1937-1941), ancienne école d’application de l’Ecole normale d’instituteurs. Le dessin du logement de la directrice et du corps d’entrée de l’école montre une grande maîtrise et une maturité. C’est un ouvrage moderne par ses formes arrondies et ses toits en terrasse tout en conservant quelques éléments d’ornements Art déco.
     Au même moment, inspiré par l’art du 18e siècle, il propose pour le rez-de-chaussée du pensionnat de jeunes filles du Thabor une série d’arcades rappelant celles de la place du Parlement toute proche qu’il réaménage entre 1936 et 1937.
     En parallèle, en tant qu’architecte des Hospices civils, il dessine les plans de l’actuel centre Eugène Marquis (1932-1936). L’édifice offre un traitement sobre et rationnel des volumes et des espaces. Lemoine y mêle plusieurs influences et se rapproche de ce qu’il a réalisé pour le ministère des Anciens combattants, avec l’école de rééducation Jean-Janvier (1936), qui présente un plan identique et un même traitement des ouvertures et des volumes.
     Au milieu des années 1930 Lemoine est influencé par le classicisme structurel d’Auguste Perret, comme en témoigne l’ancien Institut de géologie, rue du Thabor (actuelle présidence de l’Université Rennes 1) construit entre 1939 et 1940.

L’après-guerre, les dernières années

     Après la Seconde Guerre mondiale, les conditions de la commande ont changées. Face à l’immense chantier de la reconstruction, plusieurs architectes sont nommés (Lefort, Arretche…). Néanmoins, les attributions de l’architecte de la Ville ne sont pas modifiées, et, malgré l’énormité de la charge, il conserve ses différentes fonctions. En 1951, il accepte même un poste d’enseignant à l’École régionale d’architecture (comme professeur de théorie) que dirige son ami de toujours Albert Hec. Il est aussi président du syndicat des architectes d’Ille-et-Vilaine, et président du Conseil de l’Ordre (1957).
     Pour la Ville, il réalise alors l’extension de la faculté des Sciences en 1953 (l’actuelle Inspection académique), construit ou agrandit de nombreuses écoles maternelles et primaires. Il utilise souvent le béton sablé pour orner portes et ouvertures, comme à l’école Oscar-Leroux, où les logements de fonctions des deux directeurs (écoles de filles et de garçons) sont reliés par les classes en une forme courbe qui épouse le boulevard du même nom. Pour les HLM, il réalise la Cité de la Croix-Cohan (deux barres de 125 logements en 1955), le groupe d’habitations rue de l’Alma (1956) qui marquait alors l’entrée sud de la ville, mais aussi les deux immeubles qui bordent le square portant son nom, ou encore le très bel ensemble de la Touche : dix immeubles, construits entre 1952 et 1954, formant une cité-jardin, dont les bâtiments, avec leurs balcons arrondis dans les angles, ressemblent à des bosquets posés ici ou là dans un jardin.
     Pour les Hospices, il construit à Pontchaillou le pavillon Leroy (1951) pour les contagieux polyomélitiques, et à l’Hôtel Dieu, le centre de médecine préventive (1952) et l’économat (1953).
     Malade, secondé par sa fille (Blanche, née en 1936), il dessine les plans pour de nouvelles serres au Thabor en 1956. Il s’éteint le 11 septembre 1958, un an après avoir reçu la Légion d’honneur. Il est enterré au cimetière du Nord. La ville de Rennes confie à plusieurs architectes le soin d’achever tous les travaux en cours.