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Histoire & Patrimoine
#12
Canaliser la Vilaine :
le projet de 1781
RÉSUMÉ > Canaliser la Vilaine… Le projet aura mobilisé bien des ingénieurs au fil des siècles. Point de départ : le privilège de navigation concédé en 1539 par François Ier entre Rennes et Redon. La rivière cumulait les handicaps : son profil et son lit peu profond la rendaient peu propice à la navigation qui constituait alors le principal intérêt d’un cours d’eau traversant d’importantes cités, notamment pour y développer les échanges commerciaux. A Rennes, deux méandres accentuaient la difficulté tout en augmentant le risque d’inondation, facteur d’insalubrité persistante dans la ville basse.

     L’incendie de 1720 et la reconstruction de la ville haute confiée à Robelin, ingénieur du roi, coïncident avec les premiers projets d’une canalisation de la rivière dans la cité bretonne. Cet aménagement majeur, au-delà des facilités de navigation qui devaient en résulter, visait à atténuer la division entre la ville haute bourgeoise et la ville basse plus populaire. Ce projet d’envergure devra attendre 1837 pour être relancé, en partie suivant les propositions de Robelin, avec l’édification d’un canal obligeant la rivière à suivre un nouveau cours rectiligne.

     Entretemps, plusieurs projets vont être étudiés dans la lignée de Robelin. C’est notamment le cas ici où, en 1781, Chocat de Grandmaison, ingénieur en chef de la province de Bretagne, établit un « plan d’une partie de la riviere et du canal projette depuis le pont des 3 arches jusques au pont st germain ».
     Cette projection permet notamment de situer l’un des deux méandres de la Vilaine à Rennes. Celui-ci correspond à l’emplacement de l’actuel musée des beaux-arts. Grâce à cette représentation détaillée, on imagine bien l’organisation de la vie autour de cette rivière que l’on a cherché à dompter. Le plan mentionne notamment les «terrains, courtils et endroits ou lon fait seicher le linge » à l’emplacement de l’actuel canal. On distingue également le jardin du collège des Jésuites, tout proche de l’église Toussaints, bordé par le méandre.
     Ce coude particulièrement serré est à l’origine de nombreuses inondations et explique l’absence de constructions sur l’emplacement actuel du canal. Les caprices successifs de la rivière ont dissuadé la population d’occuper cet espace régulièrement sous les eaux.
     Le projet de Chocat de Grandmaison consiste à calibrer le cours de la rivière selon ses dimensions en amont du pont des Trois-Arches, actuel pont Pasteur, soit 66 pieds (environ 21 mètres), pour en faire un canal rectiligne qui rejoindrait le lit de la Vilaine au niveau du pont Saint-Germain, actuelle passerelle.
     Le cours d’eau aligné serait bordé de deux quais à construire, de 30 pieds chacun (près de 10 mètres).

     Cette réalisation autour du cours d’eau doit également faciliter la circulation sur terre tout en améliorant la cohésion entre le nord et le sud de la ville. Ainsi, Chocat de Grandmaison suggère d’élargir le pont des Trois- Arches afin d’optimiser la liaison transversale le long des remparts entre la rue des Francs- Bourgeois et la rue Saint-Thomas (vers le haut de l’actuelle avenue Jean-Janvier). Ce chemin suivant l’axe nord-sud serait élargi dans la continuité du pont pour atteindre 34 pieds de large (plus de 11 mètres).
     Le tout est illustré par un plan en coupe du pont avec ses trois arches caractéristiques.
     L’ingénieur a apporté un soin tout particulier à la présentation de son projet. Le plan est aquarellé de manière méthodique : les quais projetés en jaune, les terrains nus en vert et le bâti en rose. Ses dimensions sont de 115 x 59 cm.
     Il est ainsi légendé : « Ce plan exactement raporté de la sinuosité du lit de la rivière entre les ponts des 3 arches et de St Germain démontre que le canal à ouvrir suivant le projet de M. de Robbelin, homologué au Conseil, pour être exécuté se raccorde parfaittement avec le débouché des eaux au pont des trois arches et que les quays de chaque costé de ce nouveau canal se raccorderons aussy parfaittement avec le chemin projetté depuis la rue des Francs-Bourgeois jusques a celle de St Thomas. »
     « Le pont des trois arches est solide et n’exige qu’une prompte reparation sur ses paremens mais le passage sur le pont estant trop étroit il s’agist de scavoir si on l’élargira ou si on luy donnera les trente pieds de largeur donnée au chemin projetté entre les parapets. Le mémoire ci-joint instruira sur la dépence que cet élargissement à 30 pieds pourrait occasionner. A Rennes ce 16 may 1781. »
     Malgré cette présentation aboutie, le projet n’eut pas davantage de succès que celui établi par Robelin en 1721. C’est seulement en 1837 que de nouvelles études de l’ingénieur Coiquaud, inspiré de ses prédécesseurs, permettront au projet de voir le jour.

Un ingénieur au service de Rennes et de la Bretagne

     Si le nom de Chocat de Grandmaison n’a pas conservé la même notoriété à Rennes que celui Robelin, l’homme n’en est pas moins associé à la ville qu’il a servie durant plusieurs décennies. Né vers 1705, il a effectué toute sa carrière en Bretagne en dépit de l’obtention en 1742 du poste d’ingénieur des ponts et chaussés à Orléans. La ville de Rennes, auprès de laquelle il travaille dès 1738, et l’intendant de Bretagne parviennent à le retenir grâce à la création du poste d’inspecteur général des ponts et chaussés et celui d’ingénieur en chef de la ville auxquels sont associés d’importants émoluments.
     Il abandonnera ses fonctions dans les ponts et chaussées en 1762 pour se consacrer entièrement au service de la ville. Parmi les principaux travaux qu’il a supervisés, on retiendra la démolition de la cathédrale Saint- Pierre entre 1755 et 1757. Il s’est également préoccupé, aux côtés du duc d’Aiguillon, commandant en chef de Bretagne, de l’amélioration des voies de communication avec la construction d’un pont sur la Seiche à Pont- Péan en 1762. Daniel Chocat de Grandmaison s’éteignit rue du Bel-Air (actuelle rue Martenot) à Rennes le 11 avril 1783, après un dernier bras de fer avec la ville afin d’obtenir une pension !