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Initiatives urbaines
#11
RÉSUMÉ > Un séisme d’une puissance rarement ressentie, un tsunami d’une brutalité extrême. Des milliers de morts. Des villes entières disparues en un instant sous la violence de la vague et l’avalanche des décombres. Vendredi 11 mars en début d’après-midi, la région de Sendaï, comme tous les rivages orientaux de l’île japonaise de Honshu, a vécu l’apocalypse. Dès avant qu’on ne s’inquiète de la menace nucléaire, Rennes s’était le jour-même émue au nom d’une amitié de près de cinquante ans. Si le jumelage Rennes-Sendaï fut officiellement signé le 6 septembre 1967, c’est en 1963, en effet, que furent pris les premiers contacts. Nous publions ci-dessous les souvenirs d’Henri Fréville, maire de Rennes (1953- 1977) publiés dans son livre Un acte de foi.

     « Exactement dans le même temps où s’ébauchait notre politique de relations extérieures […], une importante ville japonaise, elle-même mue par des impératifs similaires et dé- sirant emprunter les mêmes voies de développement, Sendaï, nous faisait connaître, spontanément, son souhait très vif d’établir avec Rennes des rapports concrets pour ce qui concernait les affaires culturelles, la recherche scientifique, plus spécialement médicale, mathématique et écologique. Le truchement entre les deux villes fut M. Étienne Dennery, ambassadeur de France à Tokyo, auquel des échos multiples sur la croissance rennaise et les ambitions de notre ville étaient parvenus. Il prit, auprès de M. Alexandre Stirn, préfet de la région de Bretagne, toutes les informations convenables. M. Étienne Dennery, spécialiste des problèmes d’Extrême-Orient, était bien connu des historiens, des géographes et des sociologues de ma génération depuis la publication, en 1928, d’un volume Foules d’Asie que, jeune universitaire, il avait écrit au retour d’un « voyage autour du monde » accompli comme lauréat de la bourse du même nom. Ce livre, très neuf, avait eu un grand retentissement par la vision originale de l’Extrême-Orient qu’il donnait à l’Occident et qui s’avéra profondément exacte.

Une capitale intellectuelle et commerciale

Dans une lettre d’octobre 1963, notre ambassadeur nous indiquait : « Sendaï, dont la population compte plus de 600 000 âmes, est la capitale intellectuelle et commerciale de la région de Tohoku (nord-est du Hondo). Elle possède une université d’Etat qui prend rang parmi les plus importants établissements d’enseignement supérieur du pays. Un lecteur français y a été nommé en 1962 ».
« En outre, la ville et les communes avoisinantes ont récemment été désignées par le gouvernement comme l’un des nouveaux centres industriels dont le développement sera encouragé afin de combattre l’excessive concentration de l’économie japonaise. Sendaï sera donc amenée à occuper une place d’importance croissante dans la vie de la nation ».
Il concluait : « Le double rôle, intellectuel et économique, que joue Sendaï dans une partie du Japon où notre influence n’est pas encore solidement établie, me paraît justifier la création éventuelle de liens d’amitié entre cette ville et la capitale de la Bretagne ».

Sendaï aide l’ostréiculture bretonne

L’idée de ce rapprochement me parut d’autant plus séduisante que les projets de la ville de Sendaï, quant à l’orientation de son développement, et ceux de la ville de Rennes – toutes proportions gardées – étaient de même nature et coïncidaient également avec ceux des principales de nos villes jumelles, Rochester, Erlangen, Exeter. Ces similitudes nous ouvraient des horizons intéressants et étaient susceptibles de nous mener à de fécondes études comparatives.
Une série de réunions, auxquelles je pris part personnellement, nous permirent, grâce à la compétence et à la gentillesse de M. Hiroshi Uchida, conseiller à l’ambassade du Japon et à M. François Toussaint, conseiller des Affaires étrangères au Quay d’Orsay, de faire le point très précis de la situation et me donnèrent la mesure de ce à quoi pouvait mener une véritable collaboration avec Sendaï. Celleci s’ouvrait, en effet, avec résolution et intelligence, aux recherches de pointe dont les mathématiques et l’électronique, mais aussi la biologie animale et végétale et la lutte contre la pollution.
Sa baie, grâce aux initiatives prises et énergiquement poursuivies, est, de ce fait, probablement unique au Japon pour la salubrité de ses rivages et ses instituts de recherche sur la faune marine sont devenus des centres d’avantgarde auxquels la Bretagne a eu recours, au cours des dernières années, quand plusieurs de ses parcs ostréicoles furent atteints par certaines épidémies. Nous poursuivîmes donc les conversations et reçûmes la visite de chercheurs, médecins, et étudiants de Sendaï. Des échanges de spécialistes intervinrent mais il ne nous fut pas possible d’aller aussi rapidement que le souhaitaient nos interlocuteurs. Les événements de politique intérieure ne furent pas étrangers à cet état de chose.

6 septembre 1967 : signature officielle le maire de Sendaï vient à Rennes

M. Toru Haguivara, ambassadeur du Japon à Paris, très épris de culture française, se préoccupait personnellement de donner à nos relations la plus grande ampleur. Le Congrès international de l’urbanisme, qui se tint à Tokyo en 1966, et auquel notre collègue Guy Houist participa à divers titres, donna l’occasion de faire ressortir à quel point il nous était possible de tirer des expériences de nos villes jumelées des conclusions humainement et techniquement fort utiles. Nos amis japonais et notre ambassadeur avaient souhaité qu’une important délégation rennaise pût se rendre à Tokyo et, par suite, à Sendaï, avant même la signature officielle de l’accord de jumelage, à l’occasion des Jeux olympiques qui se tinrent dans la capitale. Mais les délais trop brefs et la distance furent, pour nous, alors, des obstacles infranchissables.
Nous eûmes, du moins, l’occasion, grâce à l’ambassadeur du Japon, d’entrer en relation avec M. Robert Pringarbe, secrétaire général de la Fédération sportive de France, à l’esprit coopératif duquel une délégation fort importante de jeunes Japonais put accompagner à Rennes, invitée par le ministère de la Jeunesse et des Sports, M. Takeshi Shimano, maire de Sendaï, quand ce dernier vint personnellement signer à Rennes, le 6 septembre 1967, la charte de jumelage entre les deux cités. Nombreux sont probablement les Rennais qui ont gardé le souvenir de cet événement particulièrement significatif et haut en couleurs.

Cette rencontre, officielle et sympathique, ne pouvait être, à aucun degré, un simple événement ponctuel ; outre qu’entre 1964 et 1967, les relations entre Rennes et Sendaï avaient donné lieu à une riche coopération scientifique, les rapports franco-japonais s’étaient institués et développés, à Rennes, entre 1958 et 1964 à la suite d’initiatives de plusieurs bretons, universitaires, médecins et diplomates et du Professeur Huard, ancien doyen de la faculté de médecine de Hanoï, nommé à la faculté de médecine de Rennes après avoir dû quitter l’Indochine où il avait donné beaucoup de lui-même. Le Doyen Huard, spécialiste éminent de l’Histoire de la médecine et, singulièrement de la médecine chinoise, avait organisé en 1959, dans le cadre des Entretiens de Bichat, un colloque sur l’Histoire de la médecine.
Parmi les nombreux congressistes étrangers qui s’y rendirent, figurait le Docteur Zensetsou Ohya, professeur à la faculté de médecine d’Osaka, chef du service de la clinique de dermatologie de l’hôpital de Kyoto et secrétaire général de la Société japonaise d’Histoire de la médecine. Invité à Rennes, au nom de la faculté de médecine par M. le Doyen Lamache, le professeur Ohya fut séduit par l’accueil qu’il reçut et l’ouverture qu’il constata à Rennes pour les choses d’Extrême-Orient.

Plus de mille estampes offertes au musée

Les richesses des musées de Rennes, à ce sujet, dont le célèbre dépôt du Cabinet du président de Robien le conquirent. Et, le 10 novembre 1959, il léguait à notre cité la remarquable collection d’estampes japonaises – 1 230 au total – comprenant des oeuvres de la première moitié du 19e siècle dont s’enorgueillit désormais notre musée des beaux-arts. Peu de temps après, M. Yuzura Sato, professeur de littérature française à la faculté des lettres de Kyushu arrivait à Rennes et y demeurait jusqu’en 1961 pour s’y livrer à des recherches littéraires en même temps qu’il apportait un concours extrêmement précieux à notre Musée en classant les estampes reçues et en les commentant. La création ultérieure, à Rennes, de l’École nationale de la santé publique, la participation japonaise à de multiples interventions dans les domaines scientifiques, surtout médicaux et biologiques, la fidélité à notre cité de M. Takeshi Shimano, toujours maire de Sendaï, nous valurent depuis 1967 de reprendre, à de nombreuses reprises, les contacts que nous avions souhaités […]. »

La ville de Sendaï, à 6 km en retrait du littoral, a été ellemême peu touchée, contrairement à ses environs. Appelée la "Cité des arbres", elle est traversée par la rivière Hirose-gawa. C’est la onzième ville du Japon et l’une des plus jeunes avec plus d’un million d’habitants, dont dix mille étrangers. Plusieurs étudiants rennais y séjournaient au moment du séisme.
De 1968 à 1987, les échanges avec Rennes ont été peu nombreux. Des manifestations culturelles furent organisées, souvent à la Maison de la Culture, à l'initiative de l'association Izumi présidée par Mme Kumiko du Boisbaudry) et Sendaï a été présentée à partir de 1974 sur le stand des villes jumelées à la Foire internationale de Rennes. Une délégation du Comité de productivité de Bretagne se rendit à Sendaï à l'occasion d'un voyage d'étude au Japon et soixante-dix artistes amateurs de Sendaï participèrent au Festival des arts martiaux à Rennes en 1978. Une initiation à la langue japonaise fut mise en place à l'Université de Haute Bretagne en 1981.
En 1987, M. Toru Ishii, maire de Sendaï, est reçu à Rennes ; Jean Raux, adjoint délégué aux Relations internationales, conduit une délégation rennaise à Sendaï et le comité de jumelage Rennes-Sendaï est créé. Les échanges deviennent plus fréquents et touchent des domaines très variés. Il en résulte la présence à Rennes depuis 1992, au sein de l’Institut de gestion de l'université Rennes 1, du Centre franco- de japonais de management qui propose une formation spécialisée en deux ans, dont une de stage au Japon ; des relations suivies depuis 1997 entre les Ecoles des beaux-arts de Rennes et de Sendaï ; des accords entre les universités de Rennes 1 et de Rennes 2 et l'Université du Tohoku de Sendaï.

2007 : Edmond Hervé à Sendaï pour le 40e anniversaire

Le maire de Rennes, Edmond Hervé, et le maire de Sendaï, Katsuhiko Umehara, avaient ouvert la cérémonie du 40e anniversaire du jumelage les 19 et 20 octobre 2007 à Sendaï en présence de l’ambassadeur de France, le Breton Gérard Le Lidec. Un concert donné la veille par l’orchestre philharmonique de Sendaï avait mis à l’honneur le compositeur breton Joseph-Guy Ropartz (1864-1955). L’installation dans les environs de Rennes d’entreprises japonaises, Canon à Liffré, Sanden à Tinténiac, a entraîné l’ouverture à Rennes d'une école complémentaire japonaise, destinée aux enfants des cadres japonais de la région. Et l’on apprend le japonais au collège et au lycée de l’Assomption, au lycée Sainte-Geneviève, dans les universités, au Centre franco-japonais de management, à Supélec et à l’association Bretagne-Japon.
Malgré la barrière de la langue et la distance, le jumelage Rennes-Sendaï est sans doute l'un des jumelages francojaponais les plus dynamiques. On ne le sait pas assez : comme l’a rappelé Roselyne Lefrançois, adjointe au maire chargée des relations internationales, « le 4 février 1994, le Parlement de Bretagne a brûlé. Une ville jumelée a appelé pour nous dire : "Nous souhaiterions être à vos côtés". C'était Sendaï. »

Daniel Delaveau : amitié et solidarité

« Je veux adresser à la population de Sendaï un message d'amitié, de soutien et de solidarité, en mon nom et au nom de tous les Rennais, et lui faire part de notre très vive émotion face à ce drame. » Dès le vendredi 11 mars, Daniel Delaveau, maire de Rennes, adressait un courrier à Mme Emiko Okuyama, maire de Sendaï.
Une émotion partagée par l'ancien maire de Rennes, Edmond Hervé, dans un message adressé au maire de Sendaï : « C'est avec beaucoup d'angoisse que j'ai appris ce matin le séisme destructeur et meurtrier qui vient de frapper votre ville et sa région. » La présidente de l’association la Maison japonaise, créée il y a dix-huit ans, Marie- France Calot, 70 ans, était « complètement bouleversée, sous le coup d'une émotion très grande ». Elle-même s'est rendue à Sendai il y a vingt ans.
Pour recevoir les dons et aider Sendaï dans la durée, un compte a été ouvert au nom du comité de jumelage Rennes-Sendaï, dont la présidente est Claudine Roux. Ce compte a été alimenté par trois premiers versements, de la Ville de Rennes, de Rennes Métropole et de la région Bretagne de 50 000 € chacun. Libeller son chèque au nom de "Sendaï – Soutien aux victimes du 11 mars 2011" et l’adresser à l'Association de jumelage Shimaï Toshi Sendaï, Maison internationale de Rennes (Mir), 7, quai Chateaubriand, 35000 Rennes. Pour les virements, le numéro de compte chèque postal est "CCP 0823316F Rennes".