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Dossier
#09
Rennes : l’Université
au coeur de la cité
RÉSUMÉ > Edmond Hervé, ancien maire de Rennes, a retracé il y a un an devant l’association des retraités de l’université Rennes 1, la manière dont la Ville de Rennes a coopéré pendant trente et un ans, avec les universités et les établissements d’enseignement supérieur. « Nous avons voulu, dit-il, placer l’Université, ce qu’elle est, ce qu’elle représente, ce que nous voulons qu’elle soit, au cœur de la Cité et de la société. » Le texte qui suit est extrait de cette conférence.

     La fin des années 70 nous a fait entrer dans la société de la connaissance. A partir de 1981, avec les lois Defferre (mars 1982, juillet 1982, juillet 1983), la France se décentralise. La Région, en charge du développement économique, social et culturel, va pouvoir intervenir dans les domaines universitaires et de la recherche. Suivra une exceptionnelle mobilisation au bénéfice de la formation, de la recherche, de l’innovation et du transfert de technologie. Le nombre d’étudiants ne cessera de croître pour doubler en moins de vingt ans. Entre 1986-1996, il passera de 1 370 000 à 2 170 000! Localement, 1977 voit l’arrivée, à l’Hôtel de Ville de Rennes, d’une nouvelle sensibilité politique. La décentralisation produit son plein effet. À Rennes, le nombre des étudiants passe de 15 000 en 1968 à 60 000 en 1995.

En soixante-trois ans, seulement trois maires, tous universitaires

     La Ville de Rennes est peut-être la seule capitale régionale à avoir eu, de 1945 à 2008, sans discontinuité, un premier magistrat universitaire. En 1977, j’avais à mes côtés Michel Phlipponneau, Henri Le Moal et déjà Jacques Rolland. Mais, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, la réponse à la question « qu’est l’université ? Quelles relations devons-nous avoir avec elle? » ne fait pas consensus. Pour certains élus, l’université relève de l’État et la collectivité n’a pas à assumer « un transfert de charges », pas plus qu’elle n’a à investir dans l’économie pour le profit des entreprises privées. A contrario, les libéraux craignent que l’intervention municipale ne s’accompagne d’une influence idéologique, n’aboutisse à la création d’un nouveau pôle « partisan ».
     À l’intérieur même de l’université, les tenants d’un « splendide isolement » existent, tout comme ceux qui estiment que toute relation extérieure avec une entreprise, une collectivité, amène la compromission et la soumission. Enfin, notre arrivée à la mairie n’a pas nécessairement ravi certains universitaires détenteurs de pouvoir et d’influence.
     Notre conviction est triple:
     • L’université a un rôle de formation d’une élite intellectuelle et savante, de futurs acteurs scientifiques, économiques, sociaux, culturels… Elle ne peut s’en acquitter qu’en solidarité avec la société et ses composantes;
     • L’université doit assurer un savoir : c’est affaire de recherche, de partage, de diffusion et d’utilisation. C’est affaire aussi de pluridisciplinarité, d’interdisciplinarité, d’investissement tout au long de la vie.
     • L’université est dans la ville : elle est un acteur économique, social, culturel conséquent qui profite à la Cité et bénéficie des disponibilités de celle-ci. Un lien de solidarité active, sans exclusive, l’unit à la société qui l’entoure et au territoire qui l’environne.
     Le couple université – cité conditionne cette société de la connaissance, cette économie du savoir que nous devons construire si nous voulons « hériter de l’avenir ». Ce sont ces pensées qui vont inspirer nos engagements.

     Le premier Plan de développement (1984-1988) repose sur une large concertation animée par le district et le Codespar (Conseil de développement économique et social du pays et de l’agglomération de Rennes). Pour la première fois dans l’agglomération, il est dit que l’enseignement supérieur et la recherche sont constitutifs de notre présent et de notre futur. Ce document va servir de référence aux acteurs et décideurs qui y trouvent une énumération d’objectifs, une méthode pour avancer. Quarante-cinq propositions concluent ce premier plan, douze seront reprises dans le contrat de plan État-Région (1984-1988).
     Le Projet municipal (1989-1995) précise : « L’engagement dans des investissements pour favoriser le développement des deux universités rennaises dans le cadre du contrat de plan État-Région est un mouvement qu’il nous faut assurer avec lucidité ». Ville et université ne peuvent vivre côte à côte. Nous devons avoir des relations contractuelles avec des projets d’avenir commun.
     Le Projet d’agglomération (juin 1993) cite d’abord le renforcement de la recherche en créant ou en attirant des laboratoires publics ou privés dans les secteurs des nouvelles technologies de l’information et des communications, des biotechnologies, de l’environnement et de la santé. Il appelle à la diversification des filières de formation. Il prône des relations étroites entre la recherche et l’économie, la diffusion d’une culture scientifique et l’aide à la création d’entreprises innovantes.
     Le Projet municipal (1995-2001) a plusieurs ambitions : intégrer le campus de Ker Lann (voir l’encadré) dans le secteur public; faire de Rennes un « pôle européen universitaire et de recherche » en lien avec les villes universitaires de l’Ouest; construire des logements étudiants ; favoriser l’insertion des étudiants dans la ville et leurs séjours à l’étranger ; accueillir des centres de recherche privés.
     Le Programme de Rennes Métropole (2001-2008) vise à faire de Rennes une « métropole européenne du 21e siècle ». Il prévoit le développement du pôle universitaire par l’extension de l’offre d’enseignement dans les domaines de la mécatronique, de la mécanique des matériaux, de la biotechnologie et de la médecine et l’investissement dans la transversalité et les échanges internationaux. Il s’engage aussi en faveur d’une « université agronomique de l’Ouest » sur le site d’Atalante Champeaux.
     Le projet communautaire (2007-2015) retient comme atouts majeurs la recherche et l’enseignement supérieur. Il met en avant leur dimension européenne et internationale. Mais le classement de Shanghai nous ignore. Nous pouvons nous appuyer sur 58 000 étudiants dont 4 000 étudiants étrangers, 2 200 chercheurs, 85 unités de recherche et sur trois pôles de compétitivité labellisés: Images et réseaux, Automobile haut de gamme (aujourd’hui IdforCar), Valorial. Nous affichons la nécessité de mettre en oeuvre un processus de rapprochement des deux universités rennaises, leur regroupement avec d’autres, la coopération entre les grandes écoles et le PRES Université européenne de Bretagne (UEB). Le projet communautaire insiste sur l’accueil des étudiants, la culture scientifique, la liaison emploi-formation, la valorisation des acquis professionnels, la formation par alternance. Il retient explicitement l’expression « Cité des Idées ».
     Nos engagements se traduisent par différentes formes de soutien. Le soutien à l’investissement (38 millions d’euros de 1988 à 1998) concerne la construction neuve, l’extension, la rénovation, l’équipement. Le soutien à la recherche prend la forme de bourses scientifiques, de financement d’installation de laboratoires, de matériels et d’accueil de jeunes chercheurs. Sont également aidés l’édition, les congrès, les réceptions… Une attention particulière est portée à l’accueil des étudiants étrangers.

L’université forge l’identité de la ville

     Derrière tout cela existe une stratégie de développement nourrie d’une conviction: l’enseignement supérieur et la recherche forgent l’identité de la ville, portent une nouvelle économie, nourrissent une nouvelle culture.
     Rennes demeure, indépendamment des délocalisations qu’elle a suscitées (Brest, Saint-Brieuc, Lorient, Vannes…), une ville universitaire, une « ville éducatrice », une ville « où il fait bon étudier ». Si l’on s’en tient à l’impact économique immédiat de cette fonction, une étude de 1996 avait donné les résultats suivants : 58 000 étudiants; 19 000 emplois directs ou indirects dans l’agglomération, soit un emploi sur dix (un emploi induit directement ou indirectement pour un peu moins de quatre étudiants); un impact financier estimé à 640 millions d’euros dont 430 dans le bassin rennais.
     L’identité de la ville ce sont aussi les services offerts du fait de la connaissance ; les solidarités ; le capital intellectuel, scientifique ; une capacité d’attraction qui profite à de nombreux ensembles et tout spécialement à la région; des responsabilités exercées par les universitaires, les chercheurs dans la ville (présidence de l’Espace des sciences, de l’Institut franco-américain, de l’Orchestre de Bretagne, du Centre chorégraphique, présence dans des manifestations telles que Travelling ou Mythos…) ; comment parler à Rennes de l’eau, de l’aménagement et de l’Europe, de l’innovation, de l’urbanisme, de l’architecture, des finances locales, de la culture, des relations internationale sans citer la participation de tel ou tel universitaire, de tel ou tel laboratoire, institution ou faculté?

Des réseaux se tissent dans la région et bien au-delà

     Cette identité n’est pas égoïste mais au contraire ouverte et entraînante. Elle a sa dynamique. Faisons bien comprendre que les composantes universitaires rennaises coopèrent et travaillent en réseaux.
     Citons le Pôle de recherche et d’enseignement supérieur Université européenne de Bretagne (PRES UEB).
     Création d’initiative universitaire régionale, il a pour principale fonction la coordination de la recherche, les études doctorales, l’innovation et la valorisation. Soutenu par la Région, le PRES Université européenne de Bretagne avait la préférence des présidents de l’université de Brest et de l’université de Bretagne-Sud. Les présidents de Rennes 1 et de Rennes 2 penchaient pour un PRES rennais, mettant en avant la démographie. Des antécédents plaidaient pour une organisation régionale: l’association Université de Bretagne, financée par la Région, animait un réseau riche de l’Observatoire régional des enseignements supérieurs, du campus numérique de Bretagne. Le principe du PRES doit faire l’unanimité: le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche vit sous le signe de l’éclatement avec ses divisions historiques entre universités et grandes écoles, universités et organismes de recherche. Au cours des trente dernières années, l’émiettement s’est aggravé: programmes de recherche insuffisamment coordonnés; difficulté pour se retrouver dans une kyrielle de diplômes; masse critique insuffisante; difficulté à se situer dans l’espace européen de recherche; faible visibilité de la recherche française à l‘échelle internationale.
     La coopération, les réunifications doivent éviter la marginalisation. Aujourd’hui, tout en étant attachés au PRES Université européenne de Bretagne, nous devons nous investir collectivement pour la fusion de Rennes 1 et de Rennes 2, au nom de l’interdisciplinarité, de la complémentarité et du rayonnement. Cette fusion doit bien évidemment être préparée, négociée (y compris avec les ministres intéressés). Elle doit se faire en fonction d’une certaine conception du bien commun, d’un intérêt supérieur et général.
     L’avenir étant à la coopération, les universitaires rennais doivent, bien sûr, travailler avec leurs collègues de la région, de l’extérieur et bien sûr de Nantes: ils le font déjà à travers la Maison des sciences de l’homme, l’Europôle, l’Observatoire des sciences de l’univers, l’Institut de chimie, le Pôle Jean Monnet, le Siscom, le réseau des IUT de Bretagne, le campus numérique de Bretagne, le réseau des universités de l’Ouest Atlantique (Ruoa), Ouest-Génopôle, le Canceropôle du Grand Ouest, l’institut Confucius…

Une cité internationale des chercheurs

     Parmi les projets les plus réfléchis, il faut citer celui de la Cité internationale des chercheurs. Ce projet (localisé à l’emplacement de l’actuel restaurant universitaire du Champ de Mars) comprend un centre d’hébergement pour enseignants-chercheurs, un restaurant universitaire, le siège du PRES Université européenne de Bretagne, l’Europôle et un gymnase. Il est porté par une convention État-Région-Ville de Rennes, la maîtrise d’ouvrage allant à Rennes Métropole (qui dans le projet initial était engagée à hauteur de 2,7 millions d’euros pour un total de 14 millions).
     La Ville de Rennes et Rennes Métropole passent aussi des conventions d’études, d’expertises, de services avec les universités. Ainsi la relation Ville de Rennes-Larès (laboratoire de sociologie) dure depuis plus de quarante ans; l’Agence d’urbanisme (Audiar) a conclu de nouveaux contrats avec les géographes de Rennes 2 (et plus particulièrement avec le laboratoire Costel pour étudier récemment les liaisons Saint-Nazaire – Nantes – Rennes – Saint-Malo).
     Le technopôle est le parfait témoin de l’installation d’une nouvelle économie qui fait appel à des qualifications supérieures et offre des produits, des services de pointe et d’excellence. Annoncée à ma demande par le Premier ministre Pierre Mauroy à Rennes en janvier 1983, la Zone d’innovation et de recherche scientifique et technique (Zirst) prendra en 1984 le nom de Rennes Atalante. Elle comptait alors 618 emplois. Elle en dénombrait 15208 en 2007 (plus de 16400 aujourd’hui)! Et elle a essaimé jusqu’à Saint-Malo.

     Ces années sont aussi celles d’une nouvelle culture. Si nous voulons que l’université soit dans la ville, il faut que l’activité universitaire soit connue du grand public. Ànous de vaincre la technophobie trop souvent à l’oeuvre, de ne pas imputer à la science ce qui ne ressort pas d’elle. À nous d’intéresser l’enseignement supérieur, le monde de la recherche aux attentes de la population dont il faut faciliter l’expression. À Rennes, nous avons fait vivre la composante scientifique, technique de notre conception culturelle grâce à deux institutions très liées : l’Espace des sciences et les Champs Libres.
     Créé en 1984 comme Centre de culture scientifique technique et industrielle, l’Espace des sciences et des techniques ouvre en 1986. La première Fête de la science se tient en 1992. Les « mardis de l’Espace des sciences » sont lancés en 2004. Preuve de la présence des universitaires dans la Ville, plusieurs d’entre eux vont assurer la présidence de l’Espace. À partir de 1990, l’Espace va se régionaliser, tisser différents réseaux avec un succès incontestable. En 2003, Hubert Curien remettra à son directeur, Michel Cabaret, le Prix Diderot, attribué par la communauté nationale de la culture scientifique.
     Les Champs Libres ouvrent en 2005 et abritent l’Espace des sciences. Je voulais, avec nos amis, lier en un même lieu le livre, l’histoire, la technologie, le passé, le présent et le futur de la ville. Je voulais aussi un lieu qui ouvre sur le monde, la société et l’univers, faire en sorte que les publics se croisent et se mêlent. Car les frontières sont faites pour disparaître! J’ai tenu à ce que l’auditorium des Champs Libres porte le nom d’Hubert Curien, grand scientifique très impliqué dans le rayonnement de son pays, humaniste exigeant et souriant, libre et modeste.
     Ces trente et une années sont une oeuvre commune à laquelle nous avons été, les uns et les autres, partie prenante. L’enseignement supérieur, est l’un des piliers essentiels de la ville. Il appartient aux générations qui suivent de veiller à l’entretien et au développement de ce capital et à sa pleine utilisation.