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Dossier
#09
RÉSUMÉ > L’Ouest n’est pas le plateau d’Orsay. Il n’a pas l’aura de la ville-capitale. Mais en faisant preuve de beaucoup de volontarisme, ses métropoles, ses universités et ses grandes écoles peuvent se hisser au rang de « plateforme super-régionale » présente dans la compétition mondiale.

PLACE PUBLIQUE > Quelle est votre analyse des mutations en cours du contexte français de l’enseignement supérieur et de la recherche? 

MAURICE BASLÉ >
Les fondamentaux sont restés en place (emplois et financements publics; compétence nationale; séparation des universités, des grandes écoles et des grands organismes de recherche; appuis régionaux et locaux aux infrastructures…) mais beaucoup d’innovations ont été ou vont être introduites. La plus importante, peu visible et encore mal assurée, c’est l’espace européen de la recherche. En plus des fonds plus importants du 7e Programme-cadre de recherche et de développement (PCRD), on y observe par exemple la montée en puissance de l‘Institut européen de technologie, des Communautés de la connaissance et de l’innovation (Knowledge and innovation communities, KIC) – Rennes y est avec les Technologies de l’information et de la communication – ou encore la démarche de constitution d’alliances européennes thématiques (processus dit « de programmation conjointe » pour réduire les doublons dans les investissements de recherche, par exemple sur les maladies d’Alzheimer). Pour travailler à cette échelle, la France a choisi depuis 1999 de mettre à la disposition des universités de nouveaux outils dont le regroupement géographique ou thématique et de favoriser les concentrations sur des « nouveaux points forts ». À eux de réussir à se mettre en capacité de gagner dans les réponses aux mises de fonds recherche de toutes origines mais de plus en plus « fléchées » stratégiquement comme « investissements d’avenir » (ex-Grand emprunt national!). Et on note aussi l’apparition de mécènes dans les fondations de coopération scientifique ou les fonds obtenus par des alliances européennes de recherche.

PLACE PUBLIQUE > Ce changement de contexte touche-t-il l’échelon régional ?

MAURICE BASLÉ >
Oui bien entendu! Il y a bien en ce moment une tentative au sommet d’organisation de la mondialisation pour les affaires de recherche et de développement technologique. Trois ou quatre points focaux de la région-capitale centrale, Paris – Île-de-France, pourraient être poussés pour être mis en valeur à cette échelle (même si c’est une région qui se rassemble avec difficultés en raison de la balkanisation antérieure – neuf PRES1 en Île-de-France! – et malgré les incitations financières pour le plateau d’Orsay). Mais, en sus, ce qu’il faut anticiper, c’est que des plateformes super-régionales, basées sur des équipements d’excellence avec des laboratoires d’excellence et autant que possibles alimentées par des viviers de « campus d’excellence du LMD2 et des diplômes d’ingénieurs », seront présentes dans la compétition-coopération mondiale (celle où les universités sont l’objet de classements qui font l’objet d’une grande communication (Shanghai, CHE allemand, SCIMAGO espagnol, Universities-multiranking de la Commission européenne) : de ce fait, quelques régions ou villes françaises pourraient (pourront si elles relèvent ce défi de cette visibilité-attractivité) figurer aux meilleurs places. Laissons de côté le classement de Shanghai mais observons que l’université de Rennes 1, par exemple, est classée dans les cent établissements vraiment productifs qui contribuent à plus de 50 % du total des résultats en termes de publications, citations, mobilité internationale des chercheurs parmi 4500 dans le classement allemand appelé CHE pour la chimie, les mathématiques, qu’elle figure aussi dans le classement espagnol. La Bretagne a-t-elle, aura-t-elle une place et laquelle? À l’Ouest, s’est dessinée depuis 2006 une stratégie Recherche – Internationalisation dans le PRES Université européenne de Bretagne: tous les acteurs présents renforcent les poids lourds bretons sur les thématiques Mer, Images et réseaux, Agroenvironnement, Santé, Matériaux, Sciences humaines et sociales… Vu les prises de conscience actuelles, on disposera d’une communauté scientifique encore plus volontaire et d’une nouvelle gouvernance super-active. Si les édiles font à nouveau preuve d’un super-volontarisme propre aux challengers, cela peut aider à créer une université ouest-européenne intensive en recherche sur plusieurs thématiques où se concentreraient de nouveaux moyens humains

PLACE PUBLIQUE > Qui peut être chef de file à l’Ouest ?

MAURICE BASLÉ >
Ma réponse est à double face: lorsque je pousse à bout l’analyse et en considérant les références internationales, il n’y a guère de secret : ce sont les villes les plus volontaires pour cette stratégie en faveur de la créativité et de la matière grise qui peuvent concentrer au départ le plus de moyens d’attraction internationale des classes créatives du futur et favoriser ainsi, au profit de leurs territoires et populations bien ancrées, la spécialisation dans les métiers qui sont basés sur la circulation des cerveaux (ce n’est plus le choix du « brain drain »). Les grands maires doivent donc donner l’exemple dans ce volontarisme extrême de la création au service du développement humain durable et faire plus de place encore aux activités cruciales du nouveau millénaire Recherche – Innovation – Valorisation – Enseignement supérieur – Pôles de compétitivité – Technopoles (celles où, on l’espère, le rattrapage des pays émergents sera le plus lent). Il y a plusieurs métropoles dans la large « plaque géologique » du Grand Ouest armoricain (un hinterland de 10 millions d’habitants à l’ouest d’une ligne Caen-Poitiers) qui essaient actuellement d’en être! Qui sera le plus volontaire et crédible? Sur quels segments d’Équipex (équipement d’excellence) ou de Labex (laboratoire d’excellence), sur quelles thématiques et à quelle échelle? C’est un vrai pari à tenter en tout cas !

PLACE PUBLIQUE > En parlant des villes, vous semblez effacer l’échelon régional ?

MAURICE BASLÉ >
En relisant mes réponses, j’ai un peu la même impression que vous ! Mais, paradoxalement, il faut ajouter un élément déterminant : la coordination stratégique et financière de ressources éparses. Trois remarques s’imposent alors : – Les « Villes » sont d’abord les intercommunalités et leurs voisinages (Rennes et Saint-Malo, Nantes et Saint- Nazaire, Lorient et Vannes, Brest et le Finistère…). Ce ne sont pas des « petits points communaux ». – Le problème de la coordination est LE problème français! Et aussi LE problème interrégional. C’est dans la qualité – qu’on ne trouve nulle part ailleurs en France sauf peut-être dans le Nord / Pas-de-Calais aujourd’hui – de l’alliance des villes (Rennes – Brest et Nantes – Angers par exemple) et des régions Bretagne et Pays de la Loire que réside l’espoir de faire valoir ses atouts et de faire entendre ses « volontés »! En Île-de-France et en baie de Seine, c’est un archipel sans navettes intérieures ! Chez nous, et surtout en Bretagne, les problèmes de coordination régionale et supra-régionale sont résolus ! Il suffirait que Nantes converge avec ses voisins en région Pays de la Loire pour accroître le nombre des points d’un « west campus » infra-national de référence! – Nos établissements, écoles, quelle que soit la discipline de base, n’ont rien à perdre à ces rapprochements orientés vers la recherche »! Cela leur met simplement la pression « recherche » mais ils vont profiter du moment pour continuer d’améliorer la liaison recherche-enseignement supérieur et leur image « formation » en interne et à l’international! L’échelon régional n’a rien à perdre à favoriser cette compétition des villes car il lui restera de toute façon, à l’issue des appels d’offre Investissements d’avenir, un paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche mieux organisé avec des alliances territoriales de proximités de fait entre universités et grandes écoles polarisées mais aussi en réseau à Rennes, Brest, Nantes… Dans ce nouveau paysage, des choix décisifs et qui relèvent de compétences régionales et locales pourront être effectués: appui pour les passages aux compétences foncières et immobilières des universités, appui à la création de liaisons d’intérêt régional Recherche – Entreprises – Fondations d’établissements, stratégie avec les acteurs socio-professionnels de développement de la formation tout au long de la vie – formation à distance en particulier avec ce campus prometteur (« Campus numérique ») que nous avons gagné tous ensemble à Paris au dernier concours national des plans Campus.

PLACE PUBLIQUE > Mais les Conseils régionaux semblent être les perdants de la réforme territoriale en cours ?

MAURICE BASLÉ >
Je vais vous répondre en économiste européaniste prévisionniste: oui, la réforme en cours, si elle passe le cap de 2012, semble conduire à une tendance dominante départementaliste et intercommunaliste. Les Régions françaises en l’état semblent peu ou mal défendues pour conserver la clause de « compétence générale »! Mais, et ceci quoi qu’il arrive en 2012, il ne serait pas illogique que des compétences soient quand même confiées bientôt aux Régions : je pense en particulier, après la compétence Lycées, après la compétence Formation professionnelle – Apprentissage, à la compétence appréciée de Tutorat de l’enseignement supérieur technologique. Un grand établissement supérieur technologique régional (complémentaire des universités et écoles intensives sur la recherche et développant à l’échelle nationale le LMD), avec une gouvernance par les parties prenantes et par un conseil académique du post-bac technologique, ne serait pas simplement une mutation « au hasard »: ce serait faire preuve de bon sens pour mieux organiser les relations Formation – Emploi au niveau local et régional. Qui pourrait-aller aujourd’hui contre une telle proposition?

PLACE PUBLIQUE > Quel visage aura la Bretagne en 2020!

MAURICE BASLÉ >
Au doigt mouillé, je me risque: vu du niveau mondial, pour l’Ouest armoricain, quelques belles plateformes et laboratoires d’excellence réputés, des appartenances multiples à des communautés intensives en recherche; au niveau national, quelques points focaux alliant sur les sites urbains principaux et en réseaux des ressources intensives en recherche, des enseignants-chercheurs, des pôles de compétitivité, des technopoles, des incubateurs, des innovateurs privés et publics. En Bretagne, ils auront su se souder en choisissant des nouvelles gouvernances de sites de type « grands établissements nationaux du « LMD et des diplômes d’ingénieurs », appelons les UEEB Rennes, UEEB Ouest, UEEB Sud (le double E signifiant Universités – Écoles ; au niveau régional (État-Région-Villes), la coordination stratégique d’ensemble et l’exercice de compétences partagées et, pour le Conseil régional de Bretagne, le « post-bac supérieur technologique » et la formation tout au long de la vie accouplée à la formation professionnelle et à l’apprentissage.

PLACE PUBLIQUE > Un sentiment personnel ?

MAURICE BASLÉ >
Nous ne sommes pas au plateau d’’Orsay et n’avons pas à première vue, et surtout vu de Paris, l’aura d’une ville capitale ni le gigantisme des plateformes les plus connues. Nous apparaissons donc encore comme un réservoir, comme une ressource « provinciale » dispersée et non comme un « campus d’excellence ». Mais – pas trop éloignés du futur Grand-Paris – Val de Seine (qui aura bien des problèmes) et bien desservis – nous méritons d’être reconnus davantage comme « camp de base alternatif » de l’Ouest français. À l’heure des salles immersives mondialisées que nous avons en Bretagne, pas besoin d’être ville-capitale ou mégapole. C’est en voyageant et en comparant que l’on conçoit les potentiels énormes de la Bretagne et de ses marches armoricaines et ligériennes. Donc vive le volontarisme!