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Histoire & Patrimoine
#20
RÉSUMÉ > 1532, rattachement de la Bretagne au royaume de France. Événement capital. Mais Rennes semble laissé de côté. Ni le roi ni les Etats provinciaux ne se rendent à Rennes pour assister le 14 août à l’ultime et superbe rituel que constitue le couronnement ducal de François III, fils du roi François 1er.

Un événement oublié mais bien documenté

     La mémoire bretonne des événements politiques de l’été 1532 reste forte, mais elle s’est focalisée sur les conditions de l’Union du duché au royaume, qui se jouent du côté de Vannes entre les États provinciaux, le roi François I er et les siens, de passage dans la province. Elle a largement oublié le versant rennais de l’épisode. C’est pourtant à Rennes que la cérémonie la plus spectaculaire de ce temps fort des relations franco-bretonnes a lieu. Elle fait du dauphin François, fils aîné du roi et de la défunte reine Claude de France (elle-même fille d’Anne de Bretagne) le dernier duc breton à avoir été couronné, sous le nom de François III.
     L’événement est cependant plutôt bien connu car il a donné lieu à une relation détaillée. La tâche - rémunérée - est confiée par la ville de Rennes à Michel Champion, alors « procureur des habitants de Rennes» (on dirait maire aujourd’hui). À ce récit, enrichi de quelques images (voir les illustrations) s’ajoute celui, moins complet et en latin, des registres capitulaires de la cathédrale. Des documents financiers de la municipalité fournissent enfin un certain nombre de détails complémentaires.

 

     C’est en fait tout un cycle festif qui se déroule alors à Rennes : venant de Vannes, le dauphin François couche le 12 août au soir à l’abbaye Saint-Melaine, hors des murs de la cité. Le lendemain, il fait son entrée officielle dans la ville. Celle-ci est parée pour l’occasion et on y remarque en particulier sept grands «échaffauts», sortes d’estrades somptueusement décorées.
     Le spectaculaire est au rendez-vous : ainsi sur l’une d’entre elles, on peut admirer une représentation de «l’Éternité et à l’entour les hiérarchies des Anges qui, par art, tournoit sans cesse » grâce à une « machine » ingénieuse. La diffusion de la culture antique se manifeste par la présence de nombreuses références mythologiques (Mars, Bacchus, Cérès), même si la place de la tradition chrétienne reste très forte.

     Le 14 août a lieu le couronnement proprement dit, dans la cathédrale de Rennes, sous la présidence de l’évêque du lieu, Yves Mahyeuc. La cérémonie suit assez fidèlement le rituel pratiqué au 15e siècle, au temps des ducs indépendants. Il avait été mis en oeuvre pour la dernière fois en 1489 pour la duchesse Anne. Cependant, il y a aussi une part d’improvisation et d’adaptation, qui montre que la tradition reste souple. Ainsi faut-il faire une place dans la cérémonie au fils du duc de Lorraine, un prince alors souverain, en raison de sa présence dans la suite du dauphin: il portera donc la couronne pendant une partie du rituel. François est en effet couronné, mais non sacré : à la différence des rois de France, les ducs de Bretagne ne reçoivent pas d’onction sainte.
     Le lendemain même, le nouveau duc quitte Rennes pour rejoindre son père à Nantes, où il doit faire également une entrée officielle.

     Recevoir un tel prince, c’est d’abord pour une ville pas mal de soucis, et un budget grevé de dépenses extraordinaires pour la décoration et pour les cadeaux au nouveau duc et à son entourage. Mais c’est aussi pour Rennes une excellente opportunité politique. En effet, dans sa rivalité permanente avec Nantes et Vannes, elle peut s’appuyer sur son statut incontesté de ville du couronnement pour renforcer ses prétentions au rang de capitale de la Bretagne. Michel Champion, en tant que représentant de Rennes, prononce le 13 août une harangue devant le dauphin, dans laquelle il s’empresse de la qualifier de « Ville Royale et cappitalle de ce pays et Duché ». Il est d’ailleurs significatif que, lors de son entrée, avant de franchir les portes de Rennes, le nouveau duc doit jurer, comme autrefois, de respecter les privilèges, non de la ville, mais bien de la Bretagne entière, que Rennes représente alors.

     On pourra s’étonner de la brièveté du séjour rennais de François III, lequel en outre ne reviendra plus en Bretagne. Au cours des cérémonies, l’adolescent de 14 ans est très étroitement encadré par les fidèles du roi son père. Parmi eux figurent un certain nombre de notables bretons largement impliqués dans le processus d’Union. Le garçon n’a quasiment pas la parole et à plusieurs reprises, le cardinal de Gramont, un fidèle diplomate de son père qui l’accompagne, parle en son nom, en sa présence.
     En outre, la date très tardive à laquelle le couronnement a été annoncé limite sans doute l’afflux de Bretons vers Rennes. La ville n’a d’ailleurs été prévenue officiellement que le 9 août, même si cela faisait plusieurs mois qu’elle se préparait à une entrée solennelle.
     On n’en a pas de preuve formelle, mais il semble bien que le roi et son conseil ne souhaitent pas qu’une relation trop forte se noue entre le jeune prince et son duché. Sans doute se souvient-on dans les cercles du pouvoir qu’un siècle plus tôt, le dauphin Louis (futur Louis XI), qui entretenait des relations détestables avec Charles VII son père, s’était appuyé sur son Dauphiné pour l’affronter. Il ne faudrait pas que le dauphin-duc, au caractère difficile, puisse faire un jour de même avec la riche Bretagne. Aussi ne lui laisse-t-on aucune prise sur l’administration de la province qui reste entièrement entre les mains de François Ier et de ses agents.

     Et pourtant, ce sont visiblement le roi et son conseil qui ont souhaité ce couronnement. Les négociations de l’Union restent encore aujourd’hui assez mal connues, faute de sources précises. Les archives des États de Bretagne, en particulier, ont largement disparu pour cette période. Mais il paraît acquis que les États n’avaient demandé qu’une entrée à Rennes et que c’est dans sa réponse que le roi, accédant à ce voeu, le complète en ordonnant le couronnement. Celui-ci est l’aboutissement d’un long processus visant à imposer le dauphin comme duc. En effet, à la mort de Claude de France (1524), la situation juridique du duché est sujette à diverses interprétations: l’héritier de la Bretagne est selon les uns le fils aîné du couple royal, selon les autres, le fils cadet. Les États de la province réclament le cadet, visiblement pour garantir une forme d’autonomie au duché. Mais le roi parvient, sans trop de difficulté, à leur faire admettre son choix, c’est-à-dire l’aîné. Suivent les années dramatiques de Pavie (1525) et de ses conséquences, parmi lesquelles le séjour du dauphin et de son cadet Henri en Espagne entre 1526 et 1530, comme garants du paiement de la rançon du roi.
     Au début des années 1530, il est enfin possible de faire aboutir le processus. En faisant couronner le dauphin, comme ses ancêtres maternels, le roi a donc l’intelligence de mettre les traditions bretonnes les plus vénérables au service d’une vraie rupture: en effet, son fils et successeur sera ainsi le premier à incarner l’Union à travers sa seule personne. Entrée et couronnement permettent alors de mettre en scène publiquement l’adhésion des Bretons à ce processus, dans le respect de leurs usages.

Dire l’union en magnifiant la Bretagne

     Les circonstances poussent donc Rennes à exalter l’Union. Le cadeau d’orfèvrerie que la ville fait au nouveau duc figure ainsi une hermine d’or émaillée, symbole de la Bretagne, reposant entre six lys, symboles de la France. Michel Champion le dit explicitement : l’objet « designoit la réunion ... de la duché au royaume ». Certains thèmes retenus pour les « échaffauts » sont également significatifs. Le roi François Ier y est bien présent : sur celui du carrefour Saint-Germain, « estoit assis en un char de triumphe le Dieu Mars représentant la personne du Roy, et au davant de luy son filz ».
     En revanche la filiation maternelle du nouveau duc est largement escamotée, tout comme on évite diplomatiquement toute allusion au temps des ducs indépendants. Seule une inscription en latin, donc réservée aux initiés, fait subtilement allusion à cette filiation : sur un échafaud, le roi Arthur reçoit de la Vierge le manteau d’hermines de Bretagne ; une formule tirée de la Bible accompagne la scène et évoque « le roi avec le diadème dont sa mère l’a couronnée ».

     L’exaltation de la Bretagne est en revanche bien présente tout au long du parcours. On remarque en particulier un texte en breton tout à fait exceptionnel : en douze vers, il explicite la légendaire filiation troyenne à laquelle les Bretons, comme tant d’autres peuples, prétendent se rattacher. Ici la présence de la langue bretonne ne vise nullement à la valoriser au présent : le français et le latin sont alors les seules langues légitimes de la culture comme de l’administration. Le breton est en revanche mis en avant comme « vroy [vrai] langaige de Troye » : le présenter comme la langue conservée depuis les origines, permet ainsi de transformer sa « barbarie » ordinaire en un atout culturel exceptionnel qui enracine solidement le duché et ses habitants dans une antiquité prestigieuse.

     Mais malgré le spectacle grandiose qui leur est offert, bien des Rennais n’ont pas alors le coeur à la fête. En effet, le séjour breton de la famille régnante coïncide en Haute-Bretagne avec une vague épidémique, qui fait d’ailleurs des victimes jusque dans la suite royale, et avec une grave crise alimentaire, qui confine sans doute à la famine. Michel Champion se garde bien d’évoquer ces misères, mais à Nantes l’administrateur de l’hôtel-Dieu constate en août 1532 que « les povres mourroient de faim par les rues, en chemin et dans leurs maisons ».
     Sur un autre plan aussi, ces réjouissances pourraient prendre des allures d’enterrement : les événements de 1532 ne marquent-ils pas une remise en cause nette de l’autonomie bretonne, péniblement maintenue depuis la fin de l’indépendance effective (1491) ? En fait, le nouveau contrat politique de 1532, fondé sur l’édit d’Union, est le fondement d’une autonomie plutôt renouvelée que vraiment mise à mal.
     En mettant en avant leur complète fidélité envers un dauphin-duc qui est leur futur roi, les Rennais, représentant ici les Bretons, obligent moralement leur vis-àvis à respecter leurs privilèges, ce à quoi il s’est d’ailleurs déjà engagé. Comme l’écrit un érudit breton du 18e siècle, droits et libertés des Bretons, « loin d’avoir été anéantis par l’union de la Province à la Couronne, n’en sont devenus que plus sacrés et plus respectables ». Et pendant tout l’Ancien régime, les élites de la province mettront largement la défense de ces « libertés bretonnes » au service de leurs propres intérêts.

     Mais ce n’est pas sous François III, le dauphin-duc couronné le 14 août 1532, que s’amorce cette politique. Celui-ci meurt en effet précocement, à 18 ans, le 10 août 1536. Son frère cadet Henri lui succède comme duc de Bretagne en 1540, mais sans être couronné et sans même venir dans le duché: là encore, la méfiance royale a sans doute sa part, car les relations d’Henri avec son père ne sont pas bonnes. Sept ans plus tard, il monte sur le trône de France sous le nom de Henri II: avec lui s’incarne enfin pleinement l’union des lignages Valois et Montfort. Avec la protection des rois de France, Rennes la fidèle parvient alors progressivement à conforter son rang longtemps disputé de capitale de la province.