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Contributions
#24
RÉSUMÉ > Suite de notre rubrique de flânerie subjective à travers Rennes. Pour une fois, ce ne sont pas dans les rues de la ville, mais dans la grande salle du Théâtre national de Bretagne que Gilles Cervera capte les détails. Des détails qui n’en sont peut-être pas…

Un rond parfaitement rond. Un cercle, un disque blanc, tout en bas, là, au centre de l’immense scène de la salle Vilar. Le fond de décor est rapproché. Sur la bande restante, en bord de scène, ce rond jaune. OEil ébloui, pupille blanche. Ce mercredi de septembre au TNB. Dans le rond de lumière, le corps accroupi, intensément accroupi, comment la dire, cette force d’un corps, celle que n’écrase pas le halo électrique mais qui le sublime. Le corps de Mlle Béart, minuscule, rétréci à l’immense dimension du théâtre: et la voix qui appelle, nous happe, nous pénètre au dedans. La comédienne joue le rôle titre d’un Pirandello peu connu Se trouver. Texte un peu pontifiant, vieillot. Par l’actrice, relancée. Neuve.

Encore Pirandello dans Six personnages en quête d’auteur, le praticable qui va s’abattre, le mur miroir du fond où les premiers rangs de spectateurs se voient voir, se regardent regarder. Nul ne sait quand le praticable va s’abattre. Il faudra attendre les heures lentes du texte, les dialogues vifs ou répétitifs, la plainte du père incestuel. Rude attente pour les deux lycéens assis à mes côtés ! Dès le début, le noir n’étant pas encore fait :
Lui - C’est incroyable d’être obligés de venir ici…
Elle - Surtout qu’il y a tellement de gens à qui ça ferait plaisir.
Lui - Tu crois qu’on prend leur place?
Elle (éclatant de rire) - Regarde là-bas, le prof avec sa petite tête…
Lui (pouffant) - Pauvre Gaby, obligé d’être assis à côté de lui toute la soirée!!
Elle - Finalement, on est pas si mal ici !
Lui - Ça dure combien?
C’étaient Deux personnages en quête d’ôteur !

Il n’y a plus les trois coups. Il y a cette annonce bilingue, recommandation plutôt, invitant chacun à rabattre son caquet téléphonique. Rompre avec le portable, taire les tweet, stopper les connexions, être là. Moment difficile. Un zapping existentiel, un forçage. Le théâtre oblige à remiser l’objet. On les voit, ces minuscules carrés lumineux qui s’attardent dans le noir. Agrippent un dernier regard! Les trois coups modernes, pires qu’un bâton frappé trois fois, c’est une cure de désintoxication!

La mort à Venise coupée en deux. 15 novembre. La délicatesse du texte, les formes précises exactes des corps et des choses. L’écrivain Aschenbach est juste, Tadzio est beau. Juste beau, le chant s’élève. Thomas Mann ce soir-là épousait encore Malher. Voix vieille, profonde d’Aschenbach. Mais le piano devint l’enfer, une percussion des diables. La mort ici chorégraphiée. Le théâtre bascule, mais on était prévenu. Mettre en Scène tente des formes ! Faisant appel, si besoin, aux sacs poubelles! On aurait voulu être en Avignon pour s’autoriser à crier « Stooooop! » Mais on est Rennais: public poli jusqu’au bout. La mort n’aurait-elle pu se symboliser plus courtement. Moins de corps nus, moins de flaflas noirâtres à chuter sur la chute infinie des âmes !

Mettre en scène cherche ses formes. Mélanie Leray est issue de la première promo TNB. Sa mise en scène de Contractions de l’Anglais Mike Barlett est neuve si ce n’est innovante. Tout respire l’irrespirable monde entrepreneurial, ses évaluations, son effet de ciseau sectaire. Coupé le souffle de l’actrice, au fond de la (vraie) baignoire, morte devant nous, dont les mots prouvent ensuite, en étant prononcés, que sur scène, les morts peuvent parler encore.

Le retour de Pinter avec Bruno Ganz. Applaudir à tout rompre celui des Ailes du désir. Elles volent jusque ici même si c’est l’inverse dont Pinter est le clinicien: la duperie, les haines, les verres trop plein, les jupes trop courtes (Emmanuelle Seigner). Et cette corde à sauter du boxeur (Louis Garrel) frappant la scène au rythme d’un rock saturé.

C’est du Vitrac. C’est foutraque ! Victor ou les enfants au pouvoir date de 1928. À mi-distance entre le gaz moutarde et les chambres à gaz. Donc. C’est foutraque, c’est du Vitrac. Victor a 9 ans et connaît tout, y compris de la belle Ida de Mortemart ! Laquelle est en P. Oui, vous l’avez sentie venir. Le comique est pétomane et cela surprend son monde. Le public rennais est si policé! Le TNB flatule et ce n’est pas si fréquent tant d’inconvenance. Du Vitrac, en corps et tout à trac.