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Contributions
#24
RÉSUMÉ > Si le débat sur le transfert de l’aéroport de Nantes à Notre- Dame-des-Landes a pris une telle ampleur, c’est qu’il oppose deux argumentaires bien rodés qui mettent en jeu des conceptions différentes du développement. C’est aussi parce que des incertitudes demeurent sur les effets du projet tant à l’échelle locale, régionale que nationale et internationale.

     Tout a été dit ou presque sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Rarement un projet d’équipement dit structurant aura autant fait couler d’encre, autant suscité de débats et de confrontations à l’échelle nationale. Il faut remonter aux projets de la centrale de Plogoff et du camp du Larzac pour retrouver une couverture médiatique identique. Localement le projet de centrale au Carnet, et le conflit de Donges-Est entre le port autonome et les écologistes n’ont pas recueilli le même écho dans la presse.
     Les multiples avatars du projet sont bien connus depuis ses origines, autour de 1963, au temps des Trente Glorieuses et des beaux jours de l’aménagement du territoire et de la création de la Datar. L’argumentaire des partisans du transfert comme celui des opposants est également bien rodé.
     C’est ce que nous avons exposé longuement sur le site des géographes de l’École normale supérieure de Lyon (Géoconfluences) destiné à l’information des enseignants d’histoire géographie.
     Il n’en reste pas moins que des questions demeurent en suspens.
     Nous ne reprendrons ici que les grandes lignes des interrogations qui subsistent. Elles sont plus ou moins volontairement occultés par les uns et les autres, mais se trouvent au coeur de l’aménagement des territoires en lien avec ce projet.
     Assimiler le conflit à une confrontation entre quelques groupes d’écolos et d’alternatifs soixante-huitards attardés, face à l’ensemble des populations et des élus, et affirmer que les urnes ont parlé lors des dernières élections, est aller vite en besogne. La palette des opposants va du Front de gauche au Front national, en passant par les écologistes, le Modem, le Parti communiste de Vendée, Debout la République, et certains socialistes qui n’osent avouer leurs convictions par discipline de parti. Le front du refus comprend aussi des associations nationales (Fédération nationale des associations d'usagers des transports, France nature environnement, la Ligue de protection des oiseaux) et des syndicats enseignants (FSU de la Sarthe)…
     En revanche faire du plateau de Notre-Dame-des-Landes un espace de biodiversité remarquable à préserver impérativement est une autre affirmation péremptoire. En vérité il s’agit pour l’essentiel d’anciennes landes sur des terres pauvres, défrichées au 19e siècle, et embocagées il y a un siècle et demi. On trouve à proximité des milieux plus sensibles et plus fragiles.
     Quant au financement du projet, il repose sur un partenariat public-privé entre le groupe Vinci et les collectivités locales. Les récentes déconvenues du conseil général du Rhône qui a dû engager une garantie d’emprunt en faveur de Vinci pour la construction du stade de l’Olympique lyonnais, ou encore les déboires de la ville du Mans pour la construction du stade, suite au contrat signé en 2008, toujours avec Vinci, et les inquiétudes du même type à Bordeaux, posent question.

     La mise en place d’une Commission du dialogue, et l’écoute par ses membres des uns et des autres, est une preuve que le projet demeure controversé. Si le doute sur le bien-fondé du projet s’est peu à peu cristallisé c’est qu’il existe des interrogations. On peut les classer en fonction des échelles géographiques.
     À petite échelle il est affirmé que le futur aéroport desservira un bassin de population de 7 à 8 millions d’habitants, dans un rayon d’accès de deux à trois heures. Aussi entend- on le baptiser aéroport du Grand Ouest (AGO), et non plus aéroport de fret, aéroport pour le défunt Concorde, ou troisième aéroport de délestage des aéroports parisiens, autant d’arguments naguère utilisés pour le justifier.
     Qu’en sera-t-il réellement ? Les aéroports de Brest, La Rochelle et de Rennes seront-ils condamnés à végéter? Et l’attraction des aéroports parisiens, diminuée du fait que Nantes offrira une alternative? Chacun sait, les compagnies aériennes les premières, que les vols transatlantiques réguliers et à longue distance, ne sauraient être assurés par les aéroports de province. Les échecs répétés de Lyon en offrent la preuve. Le seront-ils demain?
     Les liaisons avec les grandes villes européennes existent déjà depuis Nantes-Atlantique, tandis que les progrès en nombre de passagers et de vols tiennent pour l’essentiel depuis cinq ans à l’envolée des compagnies à bas coûts et des vols vacances. La détaxation du kérosène donne à ces compagnies un effet d’aubaine indéniable. Est-ce là un développement durable?
     Les effets des lignes LGV (lignes à grande vitesse) réalisées, en construction ou en projet dans l’Ouest ont-ils été bien mesurés? Le tracé de la LGV Le Mans-Rennes, en ligne directe, et le refus d’un tracé via Château-Gontier et Châteaubriant, avec deux dérivations, l’une vers Rennes l’autre vers Nantes, a obéré une bonne desserte de Nantes en faveur de Rennes. Il y a eu entre les élus des deux villes comme un accord: à nous la LGV, à vous l’aéroport.
     Quant à la LGV Tours-Bordeaux, elle conduira les populations du nord du bassin Aquitain à privilégier les aéroports parisiens.
    Pour qu’il y ait un basculement significatif des passagers en faveur de l’aéroport de Nantes il faudrait qu’il offre une large palette de destinations hors d’Europe et du Bassin méditerranéen, avec des vols fréquents et réguliers. Ce n’est pas le cas.

     À moyenne échelle le succès du projet de Notre-Dame-des-Landes repose sur la nature des dessertes. Or on demeure dans l’expectative tant vis-à-vis des choix qui seront opérés que des coûts induits. En 2010, l’un des vice-présidents de la Région, Jacques Gillaizeau affirme: « Bien entendu cet aéroport devra être relié par un moyen de transport performant à Nantes, Rennes et plus largement à l’ensemble du Grand Ouest… Les liaisons ferroviaires sont donc un préalable à la réalisation du projet pour la région… La réalisation du tram-train est une nécessité absolue. »
     Or le concessionnaire prévoit de passer de 7 500 à 11 000 places de stationnement. Chacun sait que c’est là une recette importante pour ce type d’équipement. Et pour les représentants d’autres collectivités il suffira d’avoir une ligne cadencée de bus pour desservir l’aéroport à partir du centre de Nantes. Qui croire?
     On fait également état d’une future LGV Rennes-Nantes qui résoudrait tous les problèmes de rabattement de la clientèle sur l’aéroport. Pour les responsables de RFF (Réseau ferré de France) et la SNCF il s’agit d’un projet sans fondement économique. La commission Mobilité 21 réaffirme « la priorité à donner à l’optimisation de l’existant de l’ensemble des réseaux, tous modes confondus »!1 Quant au coût il dépasserait les deux milliards d’euros. Ce serait donc un leurre afin de faire accepter aux citoyens, au nom de la modernité, le projet d’aéroport.
     En outre, en quoi le simple transfert d’une vingtaine de kilomètres de l’aéroport serait-il un facteur clé d’un nouveau développement économique, d’activités, d’emploi et d’attractivité?
     Certes, les territoires situés au nord du fleuve seront plus proches, mais ceux du sud, notamment en Vendée, s’en trouveraient éloignés, d’où l’opposition au transfert d’un groupe industriel comme Fleury-Michon. Et il faudrait, dit-on, un nouveau pont sur la Loire pour les gens du sud qui serait d’un coût élevé, et qui se heurterait au classement par l’Europe des terres basses de l’estuaire.
     Notre région a besoin d’un accès facile aux centres de décision de l’Europe. Elle l’a déjà avec le TGV et l’actuel aéroport. La saturation de ce dernier, comparée à d’autres aéroports, est loin d’être atteinte. L’aérogare actuelle peut être modernisée et agrandie, et la piste réorientée pour éviter le survol de la ville. Enfin une voie ferrée relie le centre à l’aéroport, connectée à l’ensemble du réseau ferroviaire régional. Elle n’est pas utilisée, ce qui est étrange.

Le coût comparé des avantages et des inconvénients

     C’est, semble-t-il, le coût comparé des avantages et inconvénients qui n’a pas été véritablement effectué, ou qui n’a pas été mis clairement sur la place publique, entre la modernisation de l’actuel aéroport et le projet de Notre-Dame-des-Landes. C’est ce qui constitue la pierre d’achoppement du conflit. Il n’est peut-être pas trop tard pour mettre toutes les cartes sur la table.
     L’exemple du renoncement au transfert de l’aéroport de Toulouse-Blagnac sur un nouveau site par le préfet de la région Midi-Pyrénées alimente, s’il en était besoin, les incertitudes à propos de Notre-Dame-des-Landes. (Ouest-France du 20 mars 2013) Les raisons invoquées : l’emplacement retenu; la position de l’aéroport vis-à-vis de la ville; la croissance démographique de l’agglomération toulousaine, plus forte que celle de Nantes ; la non-saturation de l’aéroport actuel; la question du bruit et du survol des zones habitées ; le projet de LGV… Autant d’arguments également utilisés par le front du refus nantais. Certes, comparaison n’est pas raison; il n’empêche, les problèmes soulevés sont identiques.
     Notons au passage que lors des dernières élections régionales il n’est nulle part question de l’aéroport dans les soixante engagements de la liste victorieuse, étrange oubli.
     À grande échelle les questionnements demeurent également. Le basculement de l’aéroport du sud au nord de l’agglomération va susciter une urbanisation sur de nouveaux espaces. Pour pallier le risque d’un étalement urbain un large (19 000 ha) périmètre de protection des terres agricoles a été délimité. C’est en soi une bonne mesure. Il reste à savoir si elle sera appliquée. À suivre les débats et à entendre l’opposition de nombreux acteurs qui utilisent ces espaces périurbains pour les loisirs (parcelles à chevaux imbriquées dans le tissu agraire) ou qui anticipent sur des plus values, rien n’est encore acté. Imaginer qu’il n’y aura pas autour de l’aéroport des entreprises utilisant de l’espace au-delà du périmètre réservé aux activités aéronautiques, et une urbanisation résidentielle, est un leurre. On ne saurait condamner les communes à l’immobilité. Il suffit de constater ce qui se passe ailleurs et ce qui s’est passé depuis l’origine du projet. Administration et élus ont laissé construire autour du périmètre de la Zad (Zone à aménagement différé).
     La différence de valeur dans les Plans locaux d’urbanisme entre terres agricoles et terres urbanisables est beaucoup trop élevée pour conduire à un consensus. Faute d’une mutualisation des plus values lors du changement d’affectation de sols les oppositions ne feront que croître. Rappelons pour mémoire que Vinci achète les terres à 16, puis à 27 centimes d’euro le mètre carré, alors que le terrain à bâtir vaut au moins 80 euros le mètre carré dans les communes voisines.
     Aussi affirmer que les terres libérées au sud du fleuve permettront une urbanisation dense tandis qu’au nord on évitera l’étalement urbain est un pari audacieux.
     Que la métropole ait besoin d’un aéroport international, nul ne le nie. C’est une nécessité. C’est le seul du Grand Ouest.
 

     Les opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes estiment que la modernisation et l’agrandissement des capacités de l’actuel équipement devraient suffire à absorber la croissance du trafic. Ils nient l’idée d’une saturation à court ou moyen terme, d’autres aéroports ayant un trafic bien supérieur avec des surfaces et des équipements identiques. Faut-il dimensionner l’aéroport pour des pointes saisonnières? Si oui, il faudrait aussi le faire pour les gares parisiennes et les autoroutes des Alpes ! Enfin ils militent pour un réexamen d’une orientation de la piste évitant le survol de la ville, option qu’ils estiment avoir été trop rapidement abandonnée. Des pilotes fréquentant l’actuel aéroport partagent ces points de vue. Les partisans estiment quant à eux que le nouvel équipement sera un moyen plus performant, plus économique à terme, qu’il évitera les nuisances sonores sur la ville, qu’il devrait être mieux desservi par la route et le rail à l’ensemble des villes du Grand Ouest, et qu’il offrira une image attractive à la métropole. Les Chambres de commerce, les collectivités locales, les utilisateurs réguliers du transport aérien, sont en faveur de ce nouvel équipement.
     À bien examiner les choses et les arguments des uns et des autres, nous sommes en présence d’un conflit entre deux visions et deux conceptions de l’avenir qui dépassent le cas précis de l’aéroport.
     Celle des partisans du transfert repose sur l’idée que la croissance économique reviendra et que la théorie des cycles justifie la construction d’un nouvel équipement susceptible de répondre aux défis du futur. Ils ajoutent qu’il sera à haute qualité environnementale, qu’il servira de locomotive pour le développement de tout l’Ouest, qu’il évitera le recours aux aéroports parisiens, qu’il faut se préparer à une croissance retrouvée. Ce sont les arguments des représentants des Chambres de commerce, ceux qui défendaient naguère les projets de la centrale du Carnet, de Donges-Est, voire des pénétrantes routières dans la ville, indispensables affirmaient-ils pour le développement économique du Grand Ouest. On sait ce que ces projets sont devenus.
     La conception de ceux qui refusent le nouvel équipement repose sur l’hypothèse que la croissance des Trente Glorieuses ne reviendra plus. Que nous fassions face non pas à une crise, mais à une métamorphose de nos sociétés, c’est ce que défend Edgard Morin, ou encore Michel Serres pour qui « ce n’est pas une crise, c’est un changement de monde ». C’est aussi ce qu’a dit Jean-Paul Delevoye, le président du Conseil économique, social, environnemental lors de la rencontre nationale des Conseils de développement en février à Nantes. Nous devons accepter l’idée d’une révolution copernicienne face au développement. Faire mieux et non plus faire plus, économiser les ressources fossiles dont le pétrole, mais aussi protéger les surfaces agricoles et les milieux naturels. Ménager les territoires plus que les aménager.
     L’affrontement est d’ordre philosophique. L’essor des pays émergents, et leurs taux de croissance, obèrent la croissance économique des pays du vieux monde laquelle reposait jusqu’ici sur l’exploitation du reste du monde. Il y a chez nous saturation des biens matériels et essor concomitant des biens immatériels.
     Nous serions donc face à une révolution qui remet en cause les certitudes d’hier. Le conflit autour du projet du transfert de l’aéroport illustrerait l’expression de cette alternative. C’est la raison de l’ampleur des manifestations et des mobilisations.