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Dossier
#30
Les anciens combattants font entendre leur voix
RÉSUMÉ > Dès l’immédiat après-guerre, la France connaît une floraison d’associations d’anciens combattants. Ils imposent dans l’espace public la réalité d’un mouvement combattant multiforme dont l’importance et les engagements marquent profondément la société française de l’entre-deux-guerres. L’Ille-et-Vilaine et particulièrement Rennes n’échappent pas à cette dynamique.

     Rapidement créée sur le plan national puisqu’elle est déclarée le jour même de l’armistice, l’Union nationale des combattants (UNC) connaît un rapide essor et affirme sa prédominance initiale au sein du mouvement combattant. C’est le cas en Ille-et-Vilaine où une section est constituée à Rennes, au début de l’année 1919, bénéficiant du patronage des autorités militaires mais aussi des autorités civiles comme religieuses.
    L’essor de l’association se traduit par la mise sur pied, en 1920, d’un groupe fédéral départemental qui compte déjà 100 sections à l’été 1922 et dont le premier président est Léon Thébault, aveugle de guerre. L’association peut s’appuyer pour sa propagande sur Le Combattant d’Ille-et-Vilaine qui se veut le « trait d’union » entre les différentes sections du département. D’abord installé rue du Thabor, à Rennes, le siège social de l’UNC d’Ille-et- Vilaine est transféré, en 1923, rue du Pré Botté. Son activité s’organise autour des services qu’elle a mis en place : conseils médicaux et conseils juridiques sont les plus demandés tandis que l’association cherche à apporter les renseignements nécessaires aux anciens combattants et à toutes les victimes de guerre sur les lois spéciales qui les concernent. À l’été 1923, la société Mutuelle-Retraite de l’UNC d’Ille-et-Vilaine est créée afin de constituer pour ses membres des pensions de retraite. Siège d’une section spécifique, la plus importante du département, Rennes est donc aussi le lieu privilégié de l’action du groupe départemental.

     Une véritable sociabilité spécifique s’organise alors dans le cadre de l’association qui entend s’affirmer comme une véritable structure d’encadrement des anciens combattants. Outre les différents moments qui scandent la vie des sections (réunions, assemblées générales, fêtes…), le temps fort de cette sociabilité reste la commémoration du sacrifice des poilus morts au front, le 11 novembre, date éminemment symbolique pour tous les anciens combattants. C’est l’occasion pour l’association d’occuper solennellement l’espace public, notamment autour des monuments aux morts, à travers les défilés et autres initiatives qui scandent cette journée.
    Dispersées sur le plan géographique, les différentes sections se retrouvent lors du congrès départemental. Les 25 et 26 novembre 1922, la capitale bretonne vit ainsi au rythme des anciens combattants et la foule nombreuse vient assister à la grande revue des troupes, des sociétés de préparation militaire et des sections de l’UNC, sous l’autorité du maréchal Franchet d’Esperrey, place du Champ de Mars.
    Quoique prépondérante, l’UNC n’est jamais apparue comme la représentante exclusive du mouvement combattant. Association généraliste, en ce qu’elle a vocation à regrouper tous les anciens combattants, il lui faut composer avec les associations spécialisées à l’instar des associations des blessés du poumon et des aveugles de guerre. Elle est, par ailleurs, concurrencée comme association généraliste par d’autres groupements qui désirent affirmer une sensibilité politique différente, moins conservatrice. C’est notamment le cas de la Fédération ouvrière et paysanne (FOP), proche de la SFIO et de la CGT, dont la section de Rennes est créée dès 1919, et qui se positionne sur un pacifisme résolument internationaliste.

     Toutes les associations d’anciens combattants connaissent un essor considérable et rapide à partir de la fin des années vingt et, surtout, au tout début des années trente, stimulé, entre autres, par la création de l’Office et de la carte du combattant, en 1927, et par l’obtention de la retraite du combattant, en mars 1930. Les associations jouent alors un rôle d’intermédiaires entre l’administration et les anciens combattants qui leur est extrêmement favorable. Le phénomène est patent pour l’UNC qui affiche un dynamisme assez impressionnant. En octobre 1936, l’association regroupe ainsi 25 300 membres dans 289 sections, ce qui représente alors près de la moitié des 53 000 titulaires de la carte du combattant dans le département. À cette date, l’association couvre 80 % des communes d’Ille-et-Vilaine. La section de Rennes regroupe quant à elle 2 340 membres.
    Au milieu des années trente, le mouvement combattant à Rennes et en Ille-et-Vilaine se présente de manière sensiblement différente par rapport au début des années vingt du fait d’un essor conséquent des différentes associations qui le constituent. En dehors des associations spécialisées, l’UNC doit désormais composer avec d’autres organisations qui, sous le couvert d’une unité toujours proclamée, ne s’en posent pas moins dans une logique de concurrence voire de rivalités. Outre la FOP, c’est avec la Fédération nationale des combattants républicains (FNCR), dont la section rennaise est créée en 1934, et, surtout, avec l’Union fédérale (UF) que cette concurrence s’affirme. Tardivement constituée, à l’instigation du professeur Déprez en 1931 à Rennes, la fédération d’Ille-et-Vilaine de l’UF connaît un net essor à partir de ce moment, regroupant 5 000 membres en juin 1934. Ce développement ne remet cependant nullement en cause la prédominance de l’UNC. Pour autant, il fait naître une rivalité entre les deux organisations qui se traduit sur le terrain par certaines polémiques. Les répercussions des événements du 6 février 1934 vont attiser ces rivalités, donnant un incontestable élan à l’UF dans le département, notamment dans les zones urbaines comme Rennes où la sensibilité radicale est présente.

     Les rivalités apparues entre associations d’anciens combattants dans les années trente montrent que le rapport au politique a posé question au mouvement combattant. Le fait s’observe, en premier lieu, à l’UNC, pour qui l’identité combattante et la devise « Unis comme au front » imposaient à l’origine une mise à distance du politique souvent jugé avec circonspection, voire hostilité, comme un facteur de division. Cela n’empêche pourtant pas son président départemental, Léon Thébault, d’être élu député de la 2e circonscription de Rennes en 1930.
    La défense des intérêts matériels et moraux des anciens combattants et victimes de guerre est l’une des priorités des différentes associations d’anciens combattants qui émettent régulièrement des voeux en ce sens adressés aux autorités civiles. Cette intervention du mouvement combattant dans la sphère du politique se retrouve également sur le plan des relations internationales, en premier lieu sur l’attitude à avoir face à l’ancien ennemi : l’Allemagne. Sans surprise, l’action de la FOP s’inscrit dès l’immédiat dans l’affirmation de convictions pacifistes aux fondements internationalistes. Elle se singularise alors dans le département notamment lors des cérémonies du 11 novembre où elle se place, aux côtés de la CGT, en marge des cérémonies officielles. Cet engagement pacifiste et internationaliste ne se dément pas dans les années qui suivent. Il donne lieu parfois à de vives tensions lors des cérémonies du 11 novembre (voir encadré).
    Du côté de l’UNC, le nationalisme originel de l’association véhicule initialement une franche hostilité à l’Allemagne et le mot d’ordre « le Boche doit payer » rend compliqué toute expression d’un pacifisme réconciliateur avant que des évolutions ne se produisent à la fin des années 1920 dans une appréciation plus positive de l’action de la Société des Nations (SDN).
    Au milieu des années trente, la radicalisation du climat politique, tant sur le plan extérieur que sur le plan intérieur, pèse de plus en plus lourdement sur l’action de l’UNC qui a toujours proclamé, tant bien que mal, son attachement à l’unité du mouvement combattant. Les émeutes du 6 février 1934 poussent une partie de l’opinion et du mouvement combattant à s’interroger sur son attitude lors de ces événements. Parallèlement, l’avènement du docteur René Patay à la présidence du groupe départemental provoque un changement de ton de l’UNC qui, politiquement, se radicalise. L’action combattante se situe désormais clairement dans une dimension politique. Lors des élections municipales de 1935 à Rennes, l’UNC s’engage ainsi dans un combat contre le « front commun », plaçant certains membres sur la liste de concentration républicaine opposée à la liste d’Union des gauches. La victoire électorale vient conforter cette stratégie qui se donne à voir, avec plus de force encore, lors des élections législatives de 1936. À cette date, l’unité du mouvement combattant n’est plus qu’un slogan. Seule la perspective du second conflit mondial viendra, un temps, ressouder les rangs.