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Dossier
#19
Le squat de Pacé, un symbole encombrant
RÉSUMÉ > Depuis quelques mois, Pacé, commune cossue de l’ouest de Rennes, accueille « le plus grand squat de migrants de France ». La réquisition sauvage d’une ancienne maison de retraite par les militants du Dal 35 pose de manière brutale la question de l’accueil des migrants. Un dossier complexe. Et très politique.

     C’est un titre dont Rennes se passerait volontiers: depuis ce printemps, la capitale bretonne abrite « le plus grand squat de migrants de France ». Environ 250 familles de demandeurs d’asile (dont 70 enfants) ont trouvé refuge dans une ancienne maison de retraite du Parc à Pacé, à l’Ouest de Rennes, réquisitionnée par les militants du Droit au logement en Ille-et-Vilaine (Dal 35). Ironie de l’histoire, ce bâtiment inoccupé depuis près d’un an appartient à un organisme Hlm, la Sa les Foyers, et devait faire l’objet d’une restructuration lourde pour accueillir… des personnes en situation de précarité! 
     Tous les ingrédients sont alors réunis pour favoriser une large médiatisation à l’échelle nationale de cette action spectaculaire, qui embarrasse les élus. Car le Dal 35 utilise avec efficacité le relais des réseaux sociaux1 pour communiquer sur ses initiatives, bien au-delà des frontières de l’agglomération rennaise. Et le 20 juillet 2012, ses militants avaient le sourire: le tribunal administratif de Rennes venait en effet de rendre un jugement leur accordant un délai de quatre mois, jusqu’au 15 novembre, pour trouver une solution de relogement aux 250 migrants de Pacé, originaires du Caucase, d’Asie et d'Afrique. « C’est évidemment une bonne nouvelle », se réjouit Yannic Cottin, le porte-parole du Dal 35. « Mais qu’attendent la préfecture et les élus, pour anticiper et débloquer sans attendre 200 places d’hébergement ? Je crains fort que dans quatre mois, nous nous retrouvions dans la même situation », déplore-t-il.

     Car entre les militants du Dal et les officiels, le courant ne passe plus. À Rennes Métropole, élus et techniciens dénoncent leurs méthodes « coup de poing ». « Ce qui est difficile à accepter, c’est que le Dal réquisitionne, comme à Pacé, des biens destinés à des personnes en demande d’asile, ou ailleurs des logements spécialement destinés à des familles ayant droit à un relogement social d’urgence », s’insurge Guy Potin, vice-président chargé de l’habitat. « La réquisition pose la question de l’équité de traitement par rapport aux demandeurs de logements sociaux régulièrement inscrits. Comment accepter que l’urgence présentée par le Dal prenne le pas sur l’urgence sociale d’autres personnes ? », souligne l’élu.
     Cette démonstration n’ébranle pas les militants. « Rennes Métropole est un propriétaire foncier important, qui exerce régulièrement son droit de préemption. Il existe dans l’agglomération, des lieux habitables et nous avons fait la démonstration, à Cesson-Sévigné et à Saint- Sulpice-la-Forêt, que nous savons respecter nos engagements avec les municipalités. Avec quelques travailleurs sociaux supplémentaires, nous pouvons obtenir des solutions satisfaisantes », explique leur porte-parole. Selon lui, il existe, y compris dans le parc social de Rennes Métropole, des logements durablement vacants qui pourraient être mis à disposition. Une affirmation réfutée par les services de l’agglomération.

     De son côté, Rennes Métropole rappelle qu’elle a mis en place un dispositif appelé Coorus2 avec de nombreux partenaires associatifs pour trouver des places d’hébergement. « La ville de Rennes et les communes volontaires de Rennes Métropole cherchent ainsi à réunir les associations d’aides aux personnes, les services sociaux, en mettant gratuitement sous responsabilité de l’État des logements à disposition pour soixante à quatre-vingt-dix personnes et en prenant exceptionnellement une partie du coût de l’animation de cet accueil », explique Guy Potin.
     Le Dal 35 ne le nie pas, même s’il tendance à comparer ce dispositif à une « usine à gaz ». « Coorus a le mérite d’exister et une centaine de places d’hébergement ont pu être débloquées dans ce cadre. Mais il n’y a pas assez d’accompagnement social et de locaux disponibles », tempère Yannic Cottin.

     La question du nombre de places d’accueil est au coeur du débat: les fameux Cada (centres d’accueil des demandeurs d’asile) ne proposent que 928 places en Bretagne,(dont 369 en Ille et Vilaine) et 292 places de pré- Cada (dont 162 en Ille-et-Vilaine). « Avec ces chiffres, la Bretagne se situe exactement dans la moyenne nationale en équipements de ce type et l’Ille-et-Vilaine, pour sa part, est au-dessus de la moyenne », précise de son côté la préfecture, tout en reconnaissant que le réseau est « totalement saturé ». Sur les quelque 1300 demandeurs d’asile primo-arrivants en Bretagne en 2011, 80 % se trouvaient en Ille et-Vilaine, essentiellement dans l’agglomération rennaise (voir encadré).
     Cette situation complexe peut-elle trouver une issue favorable? À court terme, beaucoup en doutent. D’autant que l’ombre portée du débat politique national plane sur ce dossier complexe. À l’époque du précédent gouvernement, il était de bon ton à gauche de critiquer l’inertie de l’État dans ce domaine qui relève de sa responsabilité directe. Depuis les dernières élections, cette posture est plus difficilement tenable dans les rangs des socialistes locaux… En attendant, les familles du squat de Pacé continuent d’espérer une vie meilleure sur cette terre bretonne bien éloignée de leurs racines.