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Histoire & Patrimoine
#36
Le pont roulant de Saint-Malo : une traversée pratique et récréative
RÉSUMÉ > Découvrir l’histoire de la ville à travers une photographie d’archive, tel est l’objectif de cette rubrique proposée par l’historien David Bensoussan, en partenariat avec le Musée de Bretagne, aux Champs Libres à Rennes. Alors qu’il est beaucoup question d’infrastructures portuaires dans ce numéro, cet étrange pont roulant qui relia durant cinquante ans Saint-Malo et Saint-Servan à partir de 1873, témoigne d’un passé révolu.

     Destiné à permettre le franchissement de l’entrée du port séparant Saint-Malo de Saint-Servan, de la cale de la Bourse au Naye servannais, le pont mobile entre les deux villes, inauguré – et béni – en 1873, suscite rapidement l’intérêt des populations à qui il permet, à marée basse comme à marée haute, pour une somme relativement modeste, d’éviter de contourner le port pour se rendre d’une cité à l’autre. Placé sur des rails et tracté par des chaînes entraînées par une machine à vapeur, située du côté de Saint-Servan, avant que le dispositif ne soit électrifié en 1911, il comporte, à son sommet, une plate-forme de 7 mètres sur 6 sur laquelle 50 personnes, au plus, peuvent prendre place. Chevaux et marchandises ont également, le cas échéant, la possibilité de s’y installer. Le dispositif a, en outre, l’avantage de ne pas gêner la navigation portuaire qui reste toujours prioritaire.

     La traversée qui ne dure que deux minutes présente sans aucun doute une dimension récréative, notamment à marée haute, complétant son côté pratique. C’est ce que donne à voir cette photographie prise dans le dernier tiers du 19e siècle. Une foule relativement nombreuse se presse sur la plate-forme derrière des garde-corps en croisillon ou sous une cabine destinée à protéger des intempéries et dont les parois vitrées expliquent sans doute certains visages flous. Le public semble essentiellement bourgeois si l’on en juge par les tenues vestimentaires qui, par ailleurs, indiquent que la photographie a sûrement été prise un dimanche, jour de distractions et de promenades où le paraître et la distinction ont toute leur importance. On remarque aussi que, spontanément, les femmes et les enfants se sont regroupés dans la partie gauche de la plate-forme se distinguant par leurs tenues claires des hommes qui, sur la partie droite, composent un plus vaste ensemble aux vêtements sombres. Au centre, un homme, les deux mains sur le garde-corps, portant une bandoulière, regarde fixement l’objectif ; il s’agit du conducteur du pont qui communique par une trompe avec le mécanicien chargé du treuillage.

     Prise de Saint-Servan, la photographie montre en arrière-plan, outre l’extrémité de la cale de la Bourse, le port et les quelques bateaux à voiles qui y sont accostés dont on distingue surtout les mats. L’activité y est quasiment inexistante si l’on excepte une petite barque qui semble posée sur l’eau. L’environnement urbain contigu au port paraît pour l’essentiel passablement dégradé même si l’on distingue – difficilement – à l’arrière-plan, sur la partie gauche de la photo, un grand bâtiment qui est sans doute le premier casino de Saint-Malo dessinant la perspective du Sillon. Le temps de pose relativement long qu’exigent à cette date les prises de vue fige tout l’espace maritime, contribuant à l’impression d’étrangeté qui se dégage de cette plate-forme et de ses occupants, immobilisés, comme perdus au milieu de l’eau mais néanmoins insouciants. Heurté violemment, en 1922, par un navire norvégien ayant brisé ses amarres, le pont roulant cesse son activité en 1923. L’espace qu’il parcourait est comblé définitivement en 1932 afin de construire les deux écluses du Naye, permettant au port de Saint-Malo, jusque-là port d’échouage, de rester continuellement à flot.