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Dossier
#11
Le pavillon est inscrit dans les gènes du quartier
RÉSUMÉ > À Rennes, l’architecture au sud de la gare est très caractéristique : l’habitat individuel est omniprésent. Depuis quelques années, un nouveau public s’approprie ce type de logement. Les anciens redoutent une perte d’identité.

  À Rennes, l’architecture au sud de la gare est très caractéristique : l’habitat individuel est omniprésent. Depuis quelques années, un nouveau public s’approprie ce type de logement. Les anciens redoutent une perte d’identité.

Au sud de la gare, l’atmosphère paisible rompt avec l’agitation des quais. Des centaines de pavillons en pierres de Pont-Réan et en briques rouges s’alignent à perte de vue. Imprégnés de culture ouvrière, les « villages » de Sainte-Thérèse, Villeneuve et La Madeleine connaissent depuis plusieurs années une inflation des prix de l’immobilier que même la crise de 2009 n’a pas enrayée : « Il y a eu une augmentation de 20 % en cinq ans », estime Fabien Oger, le responsable de l’agence rennaise ERA Immobilier. La demande est devenue supérieure à l’offre. « Je fais rarement de la communication sur de telles résidences ; certaines se vendent en moins de vingtquatre heures », indique Jérôme Crublé, commercial à l’agence de Sainte-Thérèse de La Française Immobilière. Une maison de 80m2 à rénover se négocie à 200 000 € et 100 000 € de plus après travaux.
Cependant, les prix de vente ne sont pas uniformes dans le quartier. Le boulevard Emile-Combes marque une « frontière subjective » : « Quatre clients sur cinq ne veulent pas aller au-delà. Quand je leur montre un bien à la Binquenais, ils partent en courant ! » plaisante Fabien Oger. Pourtant, les lotissements des Castors et de Francisco- Ferrer possèdent la même caractéristique urbaine que Sainte-Thérèse, Villeneuve et La Madeleine, à savoir un habitat pavillonnaire. « Une fois arrivés sur place, mes clients changent d’avis », poursuit-il.
Médecins, architectes, avocats, ingénieurs… sont les principaux acquéreurs de ces habitations individuelles. Lénaïc Briéro, élue PS du quartier Sud-gare, l’explique : « Ils viennent y chercher une proximité avec le centre et une certaine qualité de vie, comme à la campagne. Ils recherchent donc un emplacement et non une maison. » Quand les bâtisses sont trop vétustes, les nouveaux propriétaires n’hésitent pas à les raser. C’est le cas de la famille Péchot, installée dans la rue Fréron : « Nous avons détruit une maisonnette des années 1930, pour rebâtir un pavillon de 120 m2 », raconte Catherine. D’autres se contentent d’agrandir l’espace habitable.

La tendance pavillonnaire s’est dessinée dès la Première Guerre mondiale. « C’est par l’arrivée massive de cheminots et d’ouvriers de l’Arsenal issus du monde paysan que s’est constitué cet espace physique et social au sud de la gare », explique Jean Ollivro, professeur de géographie à l’université Rennes 2. Les maisonnettes sont toutes construites sur le même modèle, c’est-à-dire de plain-pied avec, à l’arrière, un potager. Au rez-de-chaussée, se trouvent la laverie et l’atelier de bricolage, au premier étage, les pièces de vie. Tous ces nouveaux propriétaires ont bénéficié de la loi Loucheur de 1928.1 Au fil des années, le quartier s’est constitué sans réel plan d’ensemble et a poussé au rythme de l’arrivée des habitants. À partir des années 1950, le besoin de logements se fait une nouvelle fois sentir. « La ville et son maire, Henri Fréville, nouvellement élu, lancent la construction de collectifs de quatre étages et des premières barres avec une branche “accession à la propriété“ et l’autre “locative sociale“ », rappelle Françoise Cottereau, responsable du Service habitat social de la ville. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne des voies ferrées, d’immenses barres d’immeubles longent les rues rectilignes. « Sa population et son type d’habitat se diversifient. La ville se transforme, sinon elle meurt », précise Pierre Bénaben, chargé d’études à la direction générale de l’aménagement urbain pour Rennes Métropole.

Quel que soit le type de logement qu’ils habitent, le pavillon reste une référence partagée par les 18 500 résidents du quartier Sud-gare. Son acquisition est la concrétisation d’un projet de vie. Pour beaucoup, c’est à la fois un symbole de réussite sociale et un sentiment d’adhésion au quartier. « Ils revendiquent leur appartenance à un village qu’ils ont constitué dans leur imaginaire en survalorisant les marques encore visibles ».
Néanmoins, les anciens déplorent la distension des liens sociaux entre habitants. Ernest Gérard, 75 ans, président du comité de quartier Villeneuve-La Madeleine constate un manque de solidarité et d’engagement : « Aujourd’hui, les gens ne s’impliquent plus comme avant, c’est boulottélé- dodo. Dans notre association, nous sommes presque tous retraités. » Malgré un rajeunissement de la population du quartier depuis une dizaine d’année, Lénaïc Briéro craint une transformation de la zone en « quartier dortoir ». D’ailleurs, la disparition de la grande fête des fleurs de la Saint-Jean, créée en 1951 à Sainte-Thérèse, en est un bon exemple. Elle permettait à tous les habitants de s’unir pour décorer avec des fleurs les chars du défilé. Aujourd’hui, ce type de manifestation qui favorisait le brassage des générations n’existe plus. « A l’époque, les gens étaient tous d’origine paysanne et d’essence villageoise, cela créait une osmose », raconte André Gernigon, un entrepreneur qui, entre les années 1950 et 1980, a construit une centaine de maisons. Aujourd’hui, les riverains se replient sur leur propriété et leur jardin d’agrément ; ils ne s’intéressent pas à la vie du quartier. On voit même s’installer des portails électriques. La communication entre voisins en pâtit : l’individualisme prime désormais sur le collectif.

Les récentes modifications des pavillons ne prennent pas en compte l’aspect urbanistique et historique du quartier. Rue du Champ de l’Orme, à proximité de l’église des Sacrés-Coeurs, des maisons sont rehaussées par des structures en bois : « On se croirait au Canada ! » reproche une habitante, Danielle Roulleau, qui n’apprécie pas plus la construction de « cubes en béton ». « Entre deux habitations des années 1930, ça détonne un peu ! » critiquet- elle.
Certains riverains s’interrogent sur l’avenir de ce patrimoine pavillonnaire en insistant sur le fait que sa disparition porterait atteinte à la particularité du quartier : « De nombreux propriétaires vendent leurs biens à des promoteurs immobiliers qui les démolissent et reconstruisent des collectifs », s’inquiète Michel Coignard, le secrétaire de l’association des Amis du patrimoine rennais. A cela s’ajoute la crainte des projets urbains de la Ville – les six Zac de ce quartier. « Les nouveaux habitants ont acheté hors de prix leur habitation ; ils n’ont pas envie d’avoir de nuisances sonores et visuelles et veulent rester en paix », reconnaît Pierre Bénaben.
Les élus tentent de rassurer la population et affirment vouloir préserver l’homogénéité de l’habitat. Malgré tout, Frédéric Bourcier, adjoint au maire, admet que la mairie projette d’acheter et de détruire certaines maisons afin de réaménager le quartier : « Nous voulons l’aérer par de la verdure et recréer une continuité entre le nord et le sud. »