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Dossier
#11
RÉSUMÉ > Côté habitants, les mutations du quartier suscitent remarques et revendications. Côté mairie, une volonté de consultation sans cesse mise en avant. Entre les deux, un système de démocratie participative qui ne porte pas ses fruits.

Octobre 2010. Face à la station de métro Jacques-Cartier se dresse un imposant chapiteau. La Caravane des quartiers, vitrine itinérante de la volonté de « démocratie participative » de l’équipe Delaveau, fait étape pour quatre jours. L’an passé, les élus ont effectué le tour des douze quartiers de Rennes. Objectif : développer « une plus grande proximité entre les habitants et les élus ». Les six premières éditions ont fait un flop, engendrant de vives critiques de l’opposition. Aussi la municipalité a-t-elle accueilli avec soulagement le succès de la Caravane Sudgare : plus de deux mille habitants sont venus s’informer et échanger. « Les thèmes abordés étaient de nature à intéresser la population », explique Lénaïc Brièro, l’élue du quartier. En effet, les nombreuses Zac en projet suscitent moult interrogations chez les habitants.
La droite locale continue pourtant de dénoncer cette campagne de communication, un « simulacre de démocratie participative » au budget colossal : 50 000 €, 600 000 € au total. La mairie se défend de ces accusations en soulignant l’importance des échanges avec les habitants : « C’est beaucoup d’information, mais l’expression des gens est importante. Il n’y a pas de co-construction, mais il y a des débats animés que l’on ne retrouve pas ailleurs », explique Julien Fée, directeur du quartier Sud-Ouest.

Dans ces conditions, le conseil de quartier demeure le seul outil un tant soit peu fonctionnel de la démocratie participative. Il souffre néanmoins d’une carence de bénévoles et de pouvoir. Selon Lénaïc Briéro, c’est essentiellement « la commission cadre de vie qui s’investit dans les six zones d’aménagement concerté. Elle mène aussi un travail de proximité : un trottoir à refaire, l’aménagement d’une route... » Autrement dit, une commission composée d’une vingtaine de retraités qui débattent de menus aménagements, relégués à la marge des grands projets.
« On a de moins en moins de missions importantes. Je suis blessé de ne pas pouvoir en faire plus. On ne se sent pas trop utile », se désole Charles Martin, 85 ans, ancien ingénieur de la ville et animateur de la commission. Si les habitants reconnaissent bénéficier de l’oreille des élus – particulièrement depuis le renouvellement de 2008 – ils s’interrogent cependant sur leur réel pouvoir. Pour Michel Revault, également membre de la commission, « le rôle du conseil de quartier est très limité. On n’a pas de considération particulière de la part des décideurs. C’est une instance qui est juste là pour la forme ».
Un avis radical que ne partage pas, bien évidemment, Pierre Benaben, chargé de mission au service de l’aménagement urbain de Rennes Métropole. Il affirme que dans la Zac Alma « les habitants ont été consultés, le conseil de quartier s’est réuni. Il y a eu de nombreux échanges, parfois houleux » précise-t-il. Les riverains souhaitaient des immeubles discrets de quatre étages. Après plusieurs consultations, la mairie a tranché : les immeubles feront six niveaux, pas un de moins. Lénaïc Briéro explique fermement sa position : « On est sur un axe structurant d’entrée de ville, si on ne fait pas de la hauteur sur un axe comme l’Alma, on ne la fera nulle part ! Là effectivement, c’est la mairie qui décide. »

L’intérêt général est l’argument récurrent pour expliquer les décisions municipales controversées. Il serait parfois – voire souvent – improductif de s’en tenir aux intérêts de chacun dans un projet collectif. Jean-Claude Rocherau, 68 ans, membre du conseil de quartier et citoyen lucide, illustre de manière imparable ce propos : « Le métro n’existerait pas si l’on avait pris en compte les avis de tout le monde. Alors que c’est une vraie réussite. Si chacun voit son intérêt particulier, on n’avance pas. »
Cette quête du consensus n’est pas la seule difficulté. « La majorité des membres du conseil sont à la retraite », confie Claudine Costiou, l’une des animatrices de la commission « Ensemble et solidaire ». Attirer une population plus éclectique au conseil de quartier apporterait du dynamisme. « On essaie de faire venir les jeunes et les commerçants mais on ne sait pas bien comment », reconnaît Charles Martin. Selon Nathalie Appéré, première adjointe au maire, cette question préoccupe les élus : « On a abandonné la logique de représentativité, mais on réfléchit néanmoins à des solutions pour renouveler le profil des personnes. » Ainsi, une garderie d’enfants pendant les temps de réunion est-elle proposée : sans succès.

« Si les gens veulent participer à la vie locale, ils n’ont qu’à venir dans les commissions ! », constate logiquement Jean-Claude Rocherau. Mais la frilosité de la population à s’engager ne relève pas uniquement d’une absence de volonté individuelle. Claudine Costiou dénonce un manque d’information flagrant : « Les habitants ignorent qu’ils peuvent s’adresser au conseil de quartier pour monter des projets. » Les outils sont donc à disposition mais les moyens sont insuffisants. C’est du moins ce que pense Charles Martin : « Il suffirait d’accorder plus de pouvoir au conseil pour convaincre les gens d’y adhérer », martèle-t-il.
Si les pouvoirs publics affichent une volonté de démocratie participative, les conditions pour la réaliser laissent à désirer, à Rennes comme ailleurs. La loi de 2002 sur la « démocratie de proximité » définit le cadre de ces conseils. Elle permet par exemple une coprésidence – un élu, un habitant – des conseils, une option que les élus rennais refusent. « On en a discuté, dit Nathalie Appéré, mais aujourd’hui cette question est derrière nous, elle ne fait plus débat. » Pour Loïc Blondiaux, politiste à la Sorbonne, cette mainmise des élus sur les conseils de quartier démontre la limite de l’exercice. Selon lui, une démocratie participative dans laquelle « l’élu reste le seul garant du débat démocratique et de l’intérêt général » ne peut être que partielle. Elle est en effet pensée comme le complément de la représentation politique, mais pas comme un possible dépassement.