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Dossier
#11
RÉSUMÉ > Parmi les six zones d’aménagement concertées (Zac) en projet ou en cours dans le quartier, celle de la rue de l’Alma cristallise les tensions. Face au projet que la ville défend au nom de l’intérêt général, les riverains ferraillent.


Sur la rive est de la rue de l’Alma, les terrains vagues remplacent désormais les pavillons emblématiques du quartier. Murés pour certains, inoccupés pour d’autres, seule une dizaine continue d’abriter leurs propriétaires. Plus pour longtemps.
À l’instar de leurs anciens voisins, tous devront quitter à moyen terme leurs logements. Entre les rues Ginguené et Marcel-Sembat, la rue de l’Alma entre en effet depuis 2004 dans le cadre d’une Zac pour laquelle la ville de Rennes nourrit de grands desseins. « C’est un axe structurant de la ville, amené à devenir une porte d’entrée majeure vers le centre. Il faut donc lui redonner une vitalité en pariant sur de l’habitat collectif », explique Lénaïc Briéro, élue du quartier Sud-gare. « A quel prix ? » s’interroge Michel Revault, propriétaire d’un pavillon situé rue Corentin-Carré.
Il évoque le sort des riverains dont les parcelles sont, comme la sienne, convoitées par la mairie et son aménageur Territoires pour la réalisation du projet. « Les élus s’en fichent ! Ils n’imaginent pas la souffrance causée par cette situation. Surtout que la plupart des habitants ne soupçonnaient pas qu’un projet planait au-dessus de leurs têtes. » «
Cela fait pourtant plus de vingt ans que les résidents savent que la rue de l’Alma est appelée à évoluer », tient à préciser Julien Bailleul, responsable de l’opération chez Territoires. « La mairie a largement anticipé. Même si le projet était encore en gestation, elle a commencé à préempter dès la fin des années 1980. »

« Si une ville ne bouge pas, elle meurt »

Le 16 décembre 2003, une réunion du conseil de quartier lève le voile sur l’aménagement de la future Zac Alma, mettant fin à toutes les ambiguïtés, les suppositions. Certains riverains concernés, Michel Revault en tête, se regroupent alors pour exprimer collectivement leur désaccord. « En février 2004, nous avons mis en place l’association de défense du quartier est-Alma, dont je suis devenu président. Il fallait rompre avec le silence entourant généralement les Zac et montrer que l’on n’allait pas continuer impunément à détruire. Notre but est d’infléchir le projet pour que ses conséquences soient raisonnables ».
L’association compte aujourd’hui 85 membres : une très grande majorité des propriétaires directement impactés par la Zac, mais également quelques voisins solidaires ou préoccupés par la remise en cause de leur environnement. « Il existe un consensus des résidents pour s’opposer au projet, notamment à la construction d’immeubles de six étages ».
Une densification que la ville juge pourtant nécessaire. L’éclatement des familles et l’attractivité du territoire engendrent un besoin de logements auquel la municipalité peine à répondre. Pierre Bénaben, urbaniste chargé d’études à Rennes Métropole, est formel : « Si une ville ne bouge pas, elle meurt. Rennes doit se renouveler sur elle-même pour accueillir de nouveaux habitants. »
« Dans ce projet, la notion d’intérêt général est galvaudée, s’insurge Michel Revault. On chasse une population pour lui en substituer une autre. Et puis, on met en l’air toute une architecture pavillonnaire qui participait au charme du quartier ! » Le président de l’association dénonce « une perte définitive du patrimoine bâti » au profit de constructions « basées sur le modèle du cube bétonné ».
« Jusque là, poursuit-il, notre quartier est à taille humaine, un peu comme un village. Le projet va introduire une manière de vivre très différente, avec une agitation que la zone ne connaît pas et une fréquentation par des populations marginalisées, non désirées. » Pour Pierre Bénaben, on touche au coeur du problème : « Au-delà de l’argument urbanistique, l’opposition des habitants tient peut-être à un motif plus politique, celui de la mixité sociale ».
Du côté de l’association, on se défend cependant de mêler politique politicienne et combat des riverains. « Nous avons déjà fort à faire avec la résolution de nos situations individuelles, qui se fait de plus en plus pressante. »

Car, malgré l’opposition des résidents, le projet continue d’avancer, bon an mal an. La mairie s’enorgueillit d’avoir finalisé une vingtaine d’acquisitions en deux ans. Ces derniers mois, les démolitions se sont enchaînées. La société d’aménagement Territoires a déjà reçu les permis de construire pour deux immeubles, dont les travaux commenceront en mai et juin. « Notre maîtrise foncière avoisine pour l’instant les 85 %, une moitié à la suite de préemptions, l’autre dans le cadre de ventes à l’amiable », explique Julien Bailleul.
Reste à convaincre les derniers propriétaires. Une opération complexe pour laquelle Frédéric Bourcier, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, et Lénaïc Briéro entendent faire preuve de délicatesse. « C’est évidemment douloureux, reconnaît cette dernière. S’agissant surtout de personnes âgées, il faut un accompagnement très humain. Je m’efforce de rencontrer tous les riverains, de trouver avec eux la meilleure solution de relogement. » Pour Michel Revault, la nouvelle équipe municipale est effectivement plus habile, plus diplomate. Mais sur le fond, rien n’a changé : « On nous pousse à la porte. Face à la pression psychologique, certains riverains décideront sans doute de vendre à la ville, parfois à des prix inférieurs à ceux du marché. Tous seront pourtant considérés comme ayant cédé leurs biens à l’amiable. Seuls quatre ou cinq riverains iront jusqu’au tribunal. »
Pour ces quelques récalcitrants, l’avenir s’obscurcit. À l’horizon 2013, les travaux d’accessibilité de la rue de l’Alma devront être achevés. Jusque là évacué, le mot « expropriation » est désormais lâché. La municipalité a en effet entamé les démarches pour obtenir une déclaration d’utilité publique, préalable obligé à la mise en oeuvre de procédures d’expropriation.
En attendant une action en justice, Michel Revault continue d’espérer que sa parcelle sera épargnée. Et qu’un immeuble de six étages, situé à quinze mètres de ses fenêtres, ne viendra pas gâcher l’ensoleillement de son jardin.