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Histoire & Patrimoine
#27
HLM et colombages : l’exemple de la rue Saint-Malo
RÉSUMÉ > Dans le cadre de la promotion d’une politique de logement social en centre-ville, la municipalité rennaise acquiert à partir de 1978 de nombreux immeubles vétustes en vue de leur réhabilitation et de leur transformation en logements sociaux. Le tronçon de la rue Saint-Malo situé entre la place Sainte-Anne et le carrefour de la rue Legraverend se trouve au coeur de ce projet. Entre irruption de la modernité et préservation d’une histoire, retour sur une initiative urbaine originale.

     Dans sa chanson intitulée La rue Saint-Malo, qui date de la fin des années 1970, le chanteur rennais Philippe Mouazan déplore la mise à mal de cette rue populaire et typique du proche centre-ville, cette « rue d’avant-guerre, celle des traîne-misère, millionnaires poétiques… » . Son texte nostalgique à souhait fait écho au travail des pelleteuses et aux premières opérations menées sous la municipalité d’Henri Fréville. En effet, dans les années 1970, la partie de la rue Saint-Malo comprise entre la rue Legraverend et le pont Saint-Martin fait l’objet d’une transformation qui sera plus tard qualifiée d’« opération bulldozer » : un programme de restauration immobilière, avec pour objectif la création de 250 logements privés et de 130 logements sociaux, commande une large campagne de démolition. à partir de la fin des années 1970, le changement de majorité municipale ainsi que de nouvelles préoccupations urbaines modifient les projets pour le tronçon de la rue compris entre la rue Legraverend et la place Sainte-Anne. À la suite de premières opérations de logement social en centre-ville localisées rue de la Parcheminerie et rue Vasselot, celles de la rue Saint-Malo proposent une alternative au modèle des grands ensembles. Le logement social se double d'une logique de défense du patrimoine historique et architectural et doit permettre de promouvoir la mixité dans les quartiers du proche centre-ville.

Les nouvelles ambitions de l’habitat social

     En 1977, le nouveau maire (PS) Edmond Hervé relance le chantier du logement social. La nouvelle équipe municipale a décidé de mettre un terme aux opérations de rénovation urbaine telles qu’elles étaient conduites antérieurement. Il s’agit dorénavant de respecter au mieux l’environnement architectural de la rue afin de ne pas la dénaturer. Le second tronçon de la rue Saint-Malo, où la restauration est nécessaire et urgente, présente un terrain propice à ce type de programme. Cette préoccupation croise le souci du développement de l’habitat social en centre-ville. La municipalité cherche alors à développer une nouvelle forme d’intervention sur un quartier ancien qui ne soit pas une zone globale de rénovation, ce à quoi oeuvre une cellule de travail nommée « Quartiers anciens ».
    La nécessité de développer le parc social, de préserver les particularités du patrimoine rennais et de revitaliser le centre-ville sont trois problématiques au coeur de ce projet à la fois urbain et social. Dans le cadre de ces opérations, l’Office Public HLM de Rennes est une nouvelle fois le bras armé de la municipalité, alors qu’un certain nombre de logements sont destinés aux personnes âgées dans le cadre des foyers-logements. Il est clair que ces opérations ne peuvent se déployer sur ce type d’espace qu’à petite échelle : seule une cinquantaine de logements sont concernés par ce projet. Ces opérations très localisées, bien que présentant de nombreuses difficultés techniques, se veulent être respectueuses de l’histoire de la rue et proposent une alternative originale au modèle du grand ensemble alors remis en cause.

Parier sur l’expérimentation et le défi

     Un véritable défi ! Ce terme volontariste émaille d’ailleurs les discours de l’époque. Réaliser un tel programme de logement social dans ce cadre inhabituel demande une certaine audace. Dans l’étroite rue Saint-Malo, les immeubles de type médiéval côtoient des réalisations du 19e siècle, le tout dans un environnement vétuste. Les équipes en place sont motivées par le souci de préserver cette rue atypique tout en développant le logement social. L’expérimentation prime et anime toute la filière locale du bâtiment: la réhabilitation des vieilles maisons rennaises à pans de bois requiert un savoir-faire pratiquement inexistant. Les normes du logement social étant relativement élevées, il n’est pas question de procéder à de simples travaux de consolidation, mais bien de produire un habitat de qualité. Des entreprises se forment, un apprentissage complet de la filière du bâtiment se met en place pour répondre à cette demande nouvelle. Le travail de réhabilitation sur ce type de bâti se laisse découvrir au fil du temps et, bien souvent, c’est l’expérience du terrain qui permet de prendre conscience de l’ampleur de la tâche. Et au défi technique du chantier viennent s’ajouter les contraintes financières pour des opérations par nature très onéreuses.

     Réhabilitation ou rénovation ? La question fait débat: compte tenu de la vétusté de ces immeubles, leur réhabilitation est-elle justifiée ? En termes de coût, les chiffres s’envolent. Cependant, si la reconstruction ne porte que sur des immeubles isolés, elle s’avère parfois aussi coûteuse que la réhabilitation. Des études techniques et financières cherchent à trouver le bon équilibre, entre souhait de maintenir l’aspect originel de la rue et le caractère des maisons à pans de bois, réalité des coûts et difficultés techniques. Il s’agit d’allier pragmatisme et conviction! La rénovation, quant à elle, demeure cependant respectueuse de la physionomie originelle de la rue et s’intègre bien à l’espace tant en matière de dimensions, que de matériaux ou choix architecturaux. Le HLM va incarner l’irruption de la modernité dans cette rue historique: les exigences du logement social en terme d’isolation phonique, thermique et de confort, exigent d’inscrire la viabilité des travaux dans la durée. Esthétisme et exigence sont les maîtres-mots de ces projets.

     Certaines opérations présentent un caractère plus atypique et inédit : le 32 rue Saint-Malo est probablement l’un des cas les plus remarquables de la rue si l’on prend en compte l’ampleur des travaux, le souci de préservation du cachet de l’immeuble et le statut intermédiaire de cette opération. La façade est de ce type moyenâgeux commun à la rue mais présente un plus grand intérêt. Elle est en notamment mieux conservée que les autres et plus massive, d’où le souhait de la municipalité de la maintenir en état. Du fait des détériorations de l’immeuble, la façade est accrochée à un immense chevalet. Elle est renforcée et remise en état alors que tout le reste est démoli. La façade ainsi sauvegardée dissimule bientôt un immeuble en béton, avec l’accord des Bâtiments de France. Ce cas peut donc être qualifié de « réhabilitation hybride ». Il s’agit d’une opération presque mixte, une alliance du passé, avec la préservation de la façade, et du renouveau, avec la construction de cet immeuble neuf. Une réalisation à l’image d’une rue qui se transforme et s’intègre à un centre-ville qui change de visage. Ici, un nouveau pittoresque se met en place, à l’image d’un passé reconstitué.

     Le projet de la rue Saint-Malo est un sujet à multiples entrées : le bâti ancien y étant omniprésent, la logique du logement social croise nécessairement celle du patrimoine. Une question se pose : le bâti historique peut-il redynamiser la politique du logement social ? Le logement social doit-il devenir le support des restaurations d’immeubles à cachet architectural et historique ? Alain Desaleux, aujourd’hui directeur du service Habitat et Développement à Archipel Habitat, a travaillé en tant que contractuel sur le projet. « Le logement social peut contribuer à la restauration et à la sauvegarde d’un immeuble ancien. Mais le bâti ancien ne peut pas être la solution du logement social. Cependant, il peut s’agir d’un levier au sein du centre ancien. On crée une dynamique, on apporte de la mixité et on peut servir d’exemple mais, rue Saint-Malo, l’Office ne pouvait pas équilibrer seul ces rénovations ! Le bâti était très abîmé et le logement social n’est pas fait pour la restauration du patrimoine», explique-t-il. Ainsi, la municipalité engage d’importantes subventions pour aider à la réalisation de ces opérations complexes. Objectif : tenter de concilier le développement du logement social au sein d’un espace original et la préservation de la richesse historique et architecturale de la rue. Avec, en toile de fond, la revalorisation d’un centre-ville alors peu attractif et qui connaît à la même époque des travaux d’embellissement. Cette concomitance permet de justifier ici cette alliance inédite entre HLM et patrimoine.

Le symbolique face à l’impératif quantitatif : un dilemme ?

     L’apport quantitatif de l’opération de la rue Saint- Malo au parc social total de la ville de Rennes demeurant limité, la question d’une éventuelle opposition entre le symbolique et la nécessité du résultat et du chiffre se pose. Cependant, il ne faut pas simplifier les faits. En effet, le projet de la rue Saint-Malo n’est pas isolé: il s’intègre à la fois à une politique du logement qui le dépasse et s’inscrit dans une structure de temps long. « La mixité sociale se construit dans la durée: quand on part de la situation de 1977, avec des quartiers où il n’y a pas 1% de logements sociaux et où d’autres en sont constitués à 50 ou 55%, il est évident que les équilibres sont difficiles à rétablir. Mais il faut profiter de toutes les opérations d’aménagement dans tous les quartiers pour faire 25% de locatifs sociaux, 25% d’intermédiaires et 50% de libres. Par ce biais, petit à petit, on peut faire évoluer les choses », souligne Guy Potin, vice-président de Rennes Métropole en charge de l’habitat. « Si l’on ne prend en compte que ce moment précis, l’effet était très réduit mais cette réalisation marque le début de l’affirmation d’une politique qui ne s’est jamais démentie depuis », ajoute-t-il.

     Ce projet a pour effet positif de lancer une dynamique d’entraînement sur le parc privé du quartier. Si dans une même rue des logements sociaux de qualité côtoient des logements privés plus chers et en moins bon état, ces derniers s’en trouvent de fait dévalorisés. Des propriétaires privés se mettent alors à rénover leur façade ainsi que leurs intérieurs pour ne pas souffrir la comparaison. Le développement de l’habitat social rue Saint-Malo est donc à l’origine d’une dynamique plus globale de restauration du bâti et de revitalisation de ce quartier.
    Par ailleurs, la diversité des opérations est représentative de la capacité d’une ville à se réinventer et illustre la redécouverte d’une histoire que l’on transforme en atout. Il semble que la population, les restaurateurs et les commerçants se soient emparés de la rue et de son esprit d’ouverture. Le partage et l’échange s’expriment aussi dans les bars-concerts et les bistrots de la rue : à nouveau, la mixité s’exprime. La rue Saint-Malo y a conservé un cachet particulier, fruit de son histoire, et fait revivre le souvenir d’une rue des siècles passés, tout en étant devenue un nouvel espace convivial et animé.
    Ce projet des années 1980 est à l’origine de ce second souffle : développé en proximité de la place Sainte-Anne et lié aux opérations de revalorisation du centre, il a participé à la renaissance de ces espaces riches et historiques, faisant du quartier un lieu de vie et de sociabilité prisé des Rennais. Cet attrait ne s’est pas démenti avec les années et l’arrivée du métro place Sainte-Anne en 2002 ainsi que l’inauguration du centre commercial de la Visitation en 2006 renforcent sa position au sein des axes de communication rennais. Cette position se verra confortée avec la création de la ligne b du métro, mise en service fin 2019, qui doit y correspondre avec la ligne a. La réalisation du futur centre des congrès au sein de l’ancien couvent des Jacobins, face à l’église Saint-Aubin, doit encore participer au dynamisme de cet espace. Sa livraison est prévue pour 2016 et son architecture, entre modernité et tradition, s’inscrit dans la logique de développement et de valorisation de ce quartier.