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Dossier
#20
Face à la pénurie de médecins dans la Zup de Rennes, les idées de 68 refont surface…
RÉSUMÉ > Dans l’après-68, des jeunes médecins militants et progressistes se sont installés dans le quartier de Villejean à Rennes. Ils conçoivent un rêve de Centre de santé communautaire. Rêve avorté. Quarante ans plus tard, alors que ces pionniers partent en retraite et que personne ne veut les remplacer, l’espoir renaît. Les acteurs de santé du quartier se mobilisent au sein d’une association, une dynamique de regroupement se remet en marche.

      Courte histoire d’un quartier, assez typique de ce qui s’est passé partout en France après 1968. Villejean se construit vite et haut à l’ouest de Rennes. Le campus et l’hôpital en sont les axes de gravité. Tout le reste monte en pyramide : d’abord une petite périphérie de maisons basses, ensuite des barres plus hautes précédant la plateforme Kennedy, une grande place suspendue, ombrée par les plus hautes tours du Nivernais et du Bourbonnais. 
     Dix-huit mille habitants et dans les années 70 une hétérogénéité sociale réelle : ouvriers issus de l’exode rural breton, mais aussi profs et professions intermédiaires qui, dans les trente années suivantes, quittent le quartier. Les médecins, eux, sont restés.
     Ces médecins avaient débarqué avec le reste de la population, en même temps qu’elle. Ils avaient à peine 30 ans, appartenaient à la génération 68 et voulaient une médecine clairement à gauche. D’abord se regrouper, d’abord faire connaissance, d’abord rêver. Nommonsles : Olivier Bernard, Bernard Heyman, les généralistes « historiques » ; Marie Heyman, Françoise Etchessahar, les pédiatres ; Dominique de Queiroz, la gynéco. Ils sont le noyau central, ils luttent contre les pouvoirs médicaux en place, dont le conseil de l’Ordre. D’autres médecins s’agrègeront.

Le souci d’une médecine « de gauche »

     Notons que la faculté de médecine de Rennes en 68 et surtout lors d’une grève historique en 1972, avait davantage bougé que d’autres en France. À Rennes, moins de conservatisme, davantage de volonté d’aller vers une médecine progressiste qui se dégagerait du paiement à l’acte et de la mono-disciplinarité.
     Olivier Bernard, après un passage par la PMI en Seine-Saint-Denis, puis à la coopération en Algérie, prenait appui sur sa thèse soutenue à Grenoble autour d’un Centre de santé local. De la réalisation grenobloise (ville exemplaire du maire Dubedout) à l’utopie villejeannaise ! « Utopie », c’est le mot du Dr Bernard : pratiquer autrement la médecine, penser à plusieurs, faire du curatif mais aussi et surtout une médecine sociale, préventive, ouverte.
     Cette utopie les fonde à créer l’association Villejean-Santé en 1977 en prise directe avec l’ARV (l’association des résidants de Villejean), la CSCV (Confédération syndicale du cadre de vie, organisme de consommateurs et d’usagers), le CMPP créé en 1972, la Baraque verte (future Maison verte), la Maison de quartier et le Centre social.

L’utopie d’un Centre de santé communautaire

     Tous rêvent d’un futur Centre de santé communautaire, éloigné de la médecine libérale, lucrative. La lutte est déclarée, elle s’épuisera, mais les médecins resteront. En attendant, pour ne pas perdre patience, ils s’installent à Villejean. Les généralistes d’un côté, les pédiatres et gynécologues de l’autre.
     Ils ont une vraie lueur d’espoir quand le socialiste Edmond Hervé est nommé, dès le premier gouvernement Mauroy de 1981, ministre de la Santé. Ils se disent qu’enfin leur utopie va se réaliser, qu’ils vont être pris au sérieux, que les méfiances vont s’effriter : elles se renforcent. La gauche ne suit pas cette médecine alternative mais s’accommode des conservatismes en place en se gardant d’affronter les organisations de médecins libéraux.
     En 1983, découragés, usés par les réunions, le temps sans limite du bénévolat, ils laissent tomber leur projet de Centre de santé, non sans amertume, mais en gardant leurs convictions et des pratiques médicales progressistes.
     Durant la période active de Villejean-Santé, de réelles expériences ont ainsi vu le jour, cela dans un quartier où les réseaux associatifs, l’engagement politique sont des points d’appui. Villejean ou le laboratoire PSU ? Peut-être est-ce l’explication du manque de soutien de la municipalité?

Le quartier s’est peu à peu paupérisé

     Durant ces années 80, les médecins ne comptent pas leur temps pour animer au Centre social des groupes de parents ou des groupes de femmes enceintes. Les groupes sont co-animés par l’un des médecins et par Colette Le Garrec, une psychologue du Centre médico-psycho pédagogique. Jusqu’aux années 90 les groupes fonctionnent, autour des relations parents-enfants, de la grossesse, de l’Ivg ou de la contraception. Ce qu’il est resté aujourd’hui de ces années : une réunion bimensuelle entre ces médecins, généralistes et gynécos, ce qui n’est pas rien. Au programme : recherches communes, identification des problèmes et adaptabilité aux nouvelles donnes.
     En quarante ans, le quartier s’est fortement paupérisé. Une homogénéisation par le bas, si l’on peut dire. Pas étonnant donc de retrouver ces médecins toujours aux premières loges pour accueillir les populations les plus lourdement lestées, dont les gens sans rien, « rien », insiste le Dr Bernard, sinon le coup de fil au 115 pour se loger. L’hôtel « Formule 1 » d’où il faut partir tous les trois jours, s’ils ont des enfants, ou « rien », il le redit, c’est-à-dire la rue, pour ceux qui arrivent de leur lointain et dont le soin est l’unique et seul droit (voir encadré).

     À Villejean comme dans tous les quartiers de France, comme partout ailleurs sauf au coeur de Paris, le désert médical guette! Personne pour prendre la relève. Ah, ce n’est pas faute d’avoir reçu des centaines de stagiaires ! Ces drôles de docteurs dans leur tour de la dalle Kennedy, ils en ont accueilli des internes, ravis de découvrir cette pratique exogène, ce don d’écoute, ce travail de fond dans tous les dialectes du monde. Traduire le Vidal dans la langue des misères, c’est le travail de ces cabinets si singuliers. Mais voilà, lorsque l’un de ces drôles de docteurs prend sa retraite, personne pour le remplacer ! Pas plus à Villejean qu’à Corlay (en Poher), Guéret (en Creuse) ou Clichy-sous-Bois (en neuf-trois).
     Les jeunes médecins en formation qui ont vécu leur stage avec bonheur trouvent ce travail de généraliste dur, dur et dur. Face à cela et face aussi à cette autre contrainte de 2015 imposant l’accessibilité de tous les cabinets et espace recevant du public, une association renaît : Avenir Santé Villejean Beauregard, l’ASVB.

     Quarante ans ont passé entre Villejean-Santé et l’ASVB : la méfiance s’est effacée entre les professionnels libéraux ainsi qu’avec les pouvoirs publics qui voient à chaque réunion tellement de monde s’engager ! Des médecins donc, des paramédicaux, kinés, infirmières, dentistes, pharmaciens, psychologues, podologues, une mention particulière pour celle qui crée et ajuste au fur et à mesure le site de l’association.
     La Ville de Rennes, représentée activement par l’adjointe Jocelyne Bougeard, ne voit plus d’un mauvais oeil cette utopie en marche. Certes, les conditions ont changé, les luttes gauchistes sont derrière, la réalité est âpre et l’heure est aux décisions. L’utopie du 21e siècle reste fondée sur une même volonté de pluridisciplinarité qui éclaire le diagnostic et accueille mieux le patient. Y aura-t-il grâce à cette dynamique regroupant tous les professionnels de santé et paramédicaux du quartier un espace commun en bas de la tour de grande hauteur fichée à l’entrée de Villejean ?
     Y aura-t-il des mètres carrés pour la rencontre entre soignants et soignés? La piste d’une église à vendre, l’église Saint-Marc, fait partie des scénarios. Rendre attractive une installation dans un espace partagé, c’est le pari fondé sur l’intérêt commun de la population, de ses élus et des professionnels.

     Première initiative de l’ASVB: une fois par mois, les « midis de Villejean » pour maintenir un lien convivial et fournir de l’information aux secrétaires médicales ou aux préparatrices en pharmacie, celles qui sont en première ligne. Donner les outils pour l’accueil, pour entendre les appels énoncés et ceux qui le sont moins. Les informations échangées tournent, dans un premier temps, autour des questions de contraception.
     Une plaquette a aussi été réalisée à la suite d’alertes émanant de pharmacies décontenancées par la forte demande, le lundi, de pilules du lendemain de la part de jeunes filles jamais revues ensuite. La plaquette, écrite par l’association, est remise avec la pilule en question et une possibilité de rendez-vous avec un des médecins du quartier, dans la journée, est en train de se mettre en place.
     Entre l’une et l’autre des associations, quarante ans, deux générations : Villejean a gardé ses toubibs. L’enjeu, c’est la relève. Mais désormais elle est pensée collectivement. L’âme villejeannaise est restée intacte