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Dossier
#31
Donner un second souffle à la coopération
RÉSUMÉ > Le renforcement de la coopération entre Rennes et Saint-Malo figure à l’agenda politique de rentrée des deux collectivités. Pour Place Publique, les présidents de Rennes Métropole et Saint-Malo Agglomération détaillent leur feuille de route. Si tout n’est pas encore arrêté, plusieurs chantiers stratégiques ont déjà été identifiés, dans le champ de l’économie, de la mobilité, du tourisme, du numérique… Sans oublier de tirer les leçons des difficultés du passé.

     On les avait quittés un samedi pluvieux, au pied des remparts sur le quai Saint-Vincent, face au trimaran de Gilles Lamiré qui porte les couleurs de Rennes Métropole – Saint-Malo Agglomération dans la prochaine Route du Rhum. Ce 28 juin, la maire de Rennes Nathalie Appéré et le président de Rennes Métropole Emmanuel Couet étaient venus rencontrer leur homologue malouin Claude Renoult, nouveau maire et président de la communauté d’agglomération, pour réaffirmer leur volonté de poursuivre et d’intensifier la coopération entre leurs deux territoires.
    Au-delà de la photographie en mode « équipage soudé » et des poignées de mains de circonstance, les observateurs avaient noté de part et d’autre une sincère envie de travailler ensemble. Pour en savoir un peu plus sur les intentions concrètes des élus, rendez-vous fut pris, mi-juillet, le matin dans le bureau d’Emmanuel Couet à l’hôtel de Rennes Métropole, en début d’après-midi dans celui de Claude Renoult, au coeur de l’imposant hôtel de ville malouin.
    Installés dans leurs fonctions respectives depuis quelques mois seulement, les deux hommes se connaissent peu et n’ont pas les mêmes parcours, ni les mêmes engagements partisans. Toutefois, l’un et l’autre partagent une conviction commune : la nécessité de « redonner un second souffle » à la coopération amorcée en 2009 par leurs prédécesseurs, Daniel Delaveau et René Couanau. « Cette volonté renvoie à une certaine conception de l’action publique, qui doit faire abstraction des limites administratives pour s’attacher aux bassins de vie, aux échanges entre acteurs économiques, culturels et universitaires… Dès que l’on vise cet accompagnement des acteurs, on a envie d’aller plus loin en se situant dans la coopération et non pas la concurrence », souligne d’emblée Emmanuel Couet, en rappelant que le dossier des coopérations territoriales est une compétence rattachée à la métropole.

     Une approche partagée par Claude Renoult, qui regrette toutefois la faiblesse des résultats concrets obtenus jusqu’à présent. « Il y a eu une volonté de démarrer une coopération tous azimuts, dans le tourisme, la culture, l’économie, les sports… On a mis en place toute une série de groupes de travail d’élus et de techniciens. Mais je constate que cela n’a pas produit des effets complètement satisfaisants. Qui trop embrasse mal étreint ! », déplore en souriant l’élu malouin.
    Pas question, pour autant, de s’en tenir au constat du verre à moitié vide. À Rennes comme à Saint-Malo, l’heure est au pragmatisme. « Lors de notre rencontre du 28 juin, nous avons pu vérifier que nous avions la volonté de faire davantage. L’idée de renforcer notre coopération a été clairement réaffirmée. D’emblée aussi, nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas nous satisfaire de propos génériques. Nous avions tous les trois l’envie de la « coopération par la preuve ». Du coup, afin de ne pas nous disperser, nous souhaitons identifier des thèmes et des enjeux forts en nombre limité », précise Emmanuel Couet.
    Dès la rentrée de septembre, les services des deux collectivités vont travailler ensemble, afin d’identifier les axes concrets de collaboration. Les élus, quant à eux, ont prévu de se retrouver mi-novembre, juste après l’arrivée de la Route du Rhum, dans le cadre d’un séminaire qui fixera les grandes orientations stratégiques, les champs d’action prioritaires ainsi qu’un échéancier précis.
    Dans cet exercice, les équipes savent qu’elles devront surmonter un écueil de… taille, lié à la dissymétrie des collectivités. Pas question, évidemment, de faire comme si les moyens étaient identiques entre Saint-Malo Agglomération (18 communes, 80 000 habitants) et Rennes Métropole (43 communes depuis le 1er janvier 2014 et plus de 421 000 habitants) ! Pour autant, cette différence ne doit pas freiner les ambitions. « Clairement, ce décalage de moyens nous oblige à nous concentrer sur quelques actions très précises sur lesquelles il faut parvenir à des résultats tangibles rapidement », confirme comme en écho Claude Renoult.

     Sans surprise, l’économie et l’emploi arrivent en tête des préoccupations partagées. C’était déjà l’un des axes forts de la précédente mandature, mais chacun reconnaît qu’il est possible aujourd’hui d’aller plus loin. Avec, en ligne de mire, la technopole de Rennes Atalante - Saint Malo. Force est de constater que le projet de créer, il y a bientôt dix ans, un parc métropolitain malouin, centré sur les biotechnologies marines avec le soutien de Rennes Atalante, n’a pas tenu complètement ses promesses. Ce thème fut d’ailleurs l’un des enjeux de la campagne électorale malouine. Claude Renoult ne mâche pas ses mots : « Nous n’avons pas reçu de la part de l’équipe de Rennes Atalante le soutien auquel nous pensons avoir droit. C’est une réelle insatisfaction. Nous avons eu récemment une discussion franche à ce sujet avec les responsables de la technopole rennaise », lâche-til. Quelques heures plus tôt, à Rennes, Emmanuel Couet n’avait pas éludé le sujet : « nous devrons réinterroger le partenariat autour de Rennes Atalante, sans rester sur une approche limitée aux seules biotechnologies marines, sans doute trop restrictive, mais en l’ouvrant davantage au numérique et à l’innovation, là encore dans une logique de complémentarité entre les acteurs rennais et malouins, et non de dilution des forces en présence », souligne le président de Rennes Métropole. Les milieux économiques malouins semblent partager cette vision, et les vastes espaces disponibles sur le parc technopolitain qui s’étend sur 70 hectares à l’entrée de l’agglomération devraient progressivement s’ouvrir à de nouvelles activités. « Nous sommes en train de sortir du cahier des charges initial extrêmement fermé de la technopole. Nous allons nous concentrer sur les entreprises à valeur ajoutée. Il n’est pas question, toutefois, d’implanter sur ce site des activités commerciales, ni des services », précise Claude Renoult. « Les trois bâtiments en construction se remplissent convenablement. L’entreprise C-Ris Pharma va doubler sa capacité et sa surface, et la première pierre du futur siège social mondial de Goëmar vient d’être posée », ajoute l’élu malouin, également très attentif au devenir d’une autre « pépite » locale, le spécialiste d’emballages et de matériaux à base d’algues Algopack, actuellement hébergé à la pépinière d’entreprises et qui a vocation à rejoindre la technopole.

     Second sujet clé de la coopération Rennes-Saint- Malo : les mobilités. « Il s’agit d’un enjeu essentiel qu’on peut saisir à différentes échelles. Il y a évidemment la problématique de la LGV à l’horizon 2017. Il faut que tout le territoire se mette en ordre de marche par anticipation afin de créer un écosystème favorable à cette arrivée. Mais il ne faut pas non plus négliger les liaisons TER entre Rennes et Saint-Malo, qui concernent un nombre croissant de ménages bi-localisés ou bi-actifs. À l’ère de la mobilité professionnelle, ce sujet nous interroge directement », souligne Emmanuel Couet. Une préoccupation largement partagée par son homologue malouin, qui se réjouit de la perspective de la LGV plaçant, dans trois ans, la cité corsaire à seulement 2 h 15 de Paris Montparnasse. Mais au-delà, Claude Renoult compte sur la relance de la coopération avec Rennes pour accélérer dans le domaine des mobilités au sens large. « Ce chantier a été ouvert dans le passé, mais il n’a pas été suffisamment approfondi », regrette-t-il.
    L’un des freins à cette situation tient sans doute au fait que cette compétence n’a été transférée à Saint-Malo Agglomération que pour les transports collectifs. « Du coup, la problématique de la voiture électrique ou du covoiturage, par exemple, a été traitée au niveau des communes, et non pas de l’agglomération, et elle n’a jamais abouti. Des opérateurs industriels s’y sont intéressés à une époque, mais ils se sont progressivement découragés », note le président de l’agglomération malouine, qui envisage à présent d’intégrer ces nouvelles mobilités dans les compétences communautaires. De quoi, peut-être relancer les initiatives, notamment dans le domaine du véhicule électrique dont l’édile malouin (qui a effectué toute sa carrière professionnelle chez EDF !) est un fervent défenseur et un utilisateur convaincu. Dans le domaine de l’autopartage, l’installation d’une station Cityroul à la gare de Saint-Malo en 2011 a fait long feu, mais le dossier pourrait être relancé dans les prochains mois. « Sur tous ces sujets liés à la mobilité, nous sommes engagés dans une triple logique de partage d’expérience, de porte d’entrée régionale et d’accessibilité du territoire », complète Emmanuel Couet. Il y a donc fort à parier que des initiatives concrètes seront mises en chantier dans les prochains mois dans ce domaine qui concerne directement les habitants.

     Troisième grand dossier qu’élus et techniciens rennais et malouins comptent bien aborder ensemble : la question du tourisme et de ses enjeux. Attention, terrain miné ! Pas facile en effet de dépasser les rivalités traditionnelles pour jouer la carte d’une véritable complémentarité territoriale. « Ce n’est pas le sujet le plus simple », reconnaît sans ambages le président de Rennes Métropole, qui sait bien que celui-ci est appréhendé de manière un peu anxiogène au pied des remparts. Avec un caillou dans la chaussure : le positionnement revendiqué de l’agglomération rennaise sur le marché très disputé du tourisme d’affaires. La perspective du futur centre des congrès du Couvent des Jacobins a fait grincer des dents du côté du Palais du Grand Large. L’emblématique équipement malouin redoute en effet une concurrence frontale et fratricide, même si les deux équipements offriront des atouts différents en dépit de jauges comparables : une splendide vue sur mer côté Saint-Malo, un équipement de pointe en coeur de ville historique dans un site patrimonial, à Rennes. On sent tout de même le maire de Saint-Malo très vigilant sur la question de la complémentarité des deux centres, et désireux de poursuivre la modernisation du Palais du Grand Large. Pour l’heure, il travaille à la redéfinition de ses conditions d’exploitation, dans le cadre d’une nouvelle structure qui devrait être opérationnelle au 1er janvier 2016. Avec, en complément, la création d’un lien physique – sans doute une passerelle – entre le Palais et Quai Malo (ex Espace Duguay-Trouin) de l’autre côté de l’avenue, afin d’améliorer la circulation et le confort des congressistes. À Rennes, on est bien conscient de la sensibilité du sujet, et l’une des pistes à l’étude consiste à imaginer des offres communes dans le domaine du tourisme d’affaires, avec par exemple des packs de congrès articulés sur les deux destinations. « C’est un vaste sujet, qui n’est pas celui où l’on trouvera le plus spontanément des complémentarités immédiates. Toutefois, nous ne serions pas compris si nous ne travaillions pas cette dimension essentielle », souligne Emmanuel Couet, qui évoque à ce propos l’exemple de la coopération Rennes-Nantes, qui elle non plus n’allait pas forcément de soi au départ.

     Enfin, Rennes et Saint-Malo devraient explorer un dernier axe de coopération stratégique et transversal : le numérique. Cette dimension revendiquée par l’agglomération rennaise, candidate déclarée au label French Tech, intéresse également directement les acteurs malouins réunis au sein de la dynamique association Digital Saint-Malo. Là encore, les complémentarités méritent d’être renforcées, entre un bassin rennais riche d’acteurs historiques et de grands groupes, et un vivier de développeurs malouins très tournés vers les usages. Les prochaines rencontres Opportunités Digitales, qui se déroulent à Rennes mi-octobre en partenariat avec le Québec, pourraient donner l’occasion de premiers échanges formalisés. Déjà, les entrepreneurs malouins du numérique ont pris l’habitude de rencontrer leurs collègues rennais au sein de la Cantine numérique, aux Champs Libres. Et ils vont à leur tour bénéficier d’une belle vitrine en s’installant au coeur du nouveau Pôle culturel malouin, face à la gare TGV, dans les locaux initialement prévus pour une brasserie, puis une salle d’exposition. Claude Renoult a suivi personnellement le dossier en défendant cette localisation hypercentrale, plus adaptée aux habitudes de travail des start-up du numérique que le parc technopolitain Atalante.
    En cette fin d’été, après une saison touristique marquée par le succès de l’exposition sur les Terre-Neuvas, en provenance directe du Musée de Bretagne à Rennes, les deux collectivités s’apprêtent à vivre l’aventure maritime de la Route du Rhum, en suivant la transat de Gilles Lamiré à partir du 2 novembre. À la barre de son trimaran de 50 pieds vert et bleu aux couleurs de « Rennes Métropole - Saint-Malo Agglomération » (l’ex Prince de Bretagne de Lionel Lemonchois, vainqueur dans sa catégorie en 2010), le skipper cancalais, déjà sur la ligne de départ des deux précédentes éditions, rêve de podium. Une belle manière pour Rennes et Saint-Malo de faire cause commune, ensemble sur le même bateau. Tout un symbole !