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Dossier
#29
Des alternatives à la voiture pour aller travailler
RÉSUMÉ > Un important réseau d’entreprises et leurs salariés, accompagnés de Rennes Métropole et de Keolis s’attachent depuis dix ans à modifier les habitudes de déplacement sur les trajets domicile-travail dans l’agglomération rennaise. L’occasion de s’intéresser à l’efficacité de cette collaboration particulière au service de mobilités alternatives à l’automobile.

     Pair ou impair ? Les transports sont la principale source d’émission de gaz à effet de serre en France et parfois, en solution radicale, on compte sur le numéro de la plaque d’immatriculation ou sur la gratuité des transports en commun pour réduire drastiquement le nombre de voitures sur les routes. Au quotidien, des dispositions plus discrètes oeuvrent pour un changement des comportements. Les Plans de déplacement entreprise (PDE) ont pour principal objectif de réduire l’usage individuel de la voiture lors des trajets domicile-travail. Si ces PDE sont des démarches internes aux entreprises et aux administrations qui sont accompagnées par la collectivité pour prendre en charge la question des déplacements de leurs salariés, on est loin de ne traiter que d’une question technique de transport… Retour sur 10 ans d’expérimentation dans l’agglomération.
    En 2001, la Loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) donnait comme obligation aux Autorités organisatrices de transport1 des agglomérations de plus de 100 000 habitants de mettre en place un Conseil en Mobilité. Sur le territoire rennais, l’agglomération y réfléchit dès 2004. « Si la Loi SRU les a rendus obligatoires, elle n’a pas défini ce que devait être un Conseil en mobilité. Notamment grâce aux travaux de l’ADEME2, on a décidé qu’ils prendront la forme de Plans de déplacement entreprise », indique Marion Stenou, la chargée de mission du Conseil en Mobilité de Rennes Métropole.

     Les Plans de déplacement entreprise concernent à ce jour près d’un quart des salariés de l’agglomération, principalement des entreprises du tertiaire et des administrations, soit une soixantaine de structures. C’est donc un changement des comportements à grande échelle qui se prépare depuis des années. C’est peut-être là le point de débat : peut-on faire reposer la réduction de la place de la voiture sur l’initiative personnelle ?
    Les politiques publiques de transport ainsi que la planification territoriale agissent à la fois sur le développement de solutions alternatives à l’automobile et sur la réduction des obligations de déplacement, mais ces politiques se confrontent au passé d’un urbanisme au service du « tout-voiture ». La réalité demeure celle d’une congestion routière récurrente, avec la pollution atmosphérique en corollaire.
    Bien loin des grandes stratégies d’aménagement du territoire, sur le terrain on invoque le « bon sens » et c’est l’initiative privée qui vient au-devant de la collectivité. « Les établissements sont moteurs, confirme Marion Stenou. Leurs motivations sont diverses. Ils nous contactent souvent lorsqu’ils sont confrontés à un déménagement ou à un problème global de stationnement. Les structures s’intéressent aussi aux PDE lorsqu’elles se lancent dans une démarche de développement durable et pour des préoccupations sociales et économiques : lorsqu’on ne peut pas augmenter les salaires, on peut au moins réduire les coûts de déplacement des salariés. »
    C’est le cas du Régime Social des Indépendants qui compte 140 employés sur la Zone d’activités d’Atalante Champeaux. Le RSI est le fruit de la fusion de deux caisses de retraite et d’une couverture maladie, trois organismes auparavant installés en centre-ville de Rennes. « Le cadre de travail en centre-ville et en Zone d’activité n’est pas le même, notamment pour les commodités et la restauration du midi mais aussi concernant la façon de se rendre au travail. Il fallait motiver les salariés dans ce déménagement, c’est pourquoi nous nous sommes rapprochés de Rennes Métropole », explique Nicolas Briand, responsable des ressources humaines et référent PDE du RSI. Une autre motivation, pour cette entreprise privée de service public, est l’enjeu d’intégration des objectifs du développement durable au travers de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE). « Nous devons notamment rendre des comptes en termes d’émissions de CO² et de km parcourus. » Or dans cette entreprise, les salariés se sont mis à venir plus massivement en voiture après le déménagement. Et pour cause, ils viennent souvent de loin et le site est moins bien desservi en transports en commun.

     Concrètement, comment la collectivité et l’entreprise sont-elles en capacité d’initier le changement de comportement des salariés en termes de mobilité ?
    Pour Marion Stenou, c’est clair, « on ne veut pas culpabiliser, la voiture n’est pas un tabou ! La question est plutôt de savoir comment ceux qui ont la possibilité de faire autrement que d’être seul dans leur voiture puissent changer de mobilité, et si possible de le faire par plaisir ! » Mettre en place un Plan de déplacement entreprise, c’est s’intéresser de près aux salariés. Un diagnostic est établi à partir de leurs déclarations puis un groupe de travail se met en place avec des salariés volontaires. Ils décideront avec l’entreprise ou l’administration du plan d’actions. Chez RSI, « on ne veut pas contraindre mais inviter à réfléchir autrement et proposer des alternatives plus pratiques et plus économiques. » Un premier diagnostic a été réalisé il y a quelques années mais les actions n’ont pas suivi. En 2009, la dynamique est relancée, RSI réfléchit sur le stationnement, prend en charge 50 % de l’abonnement de transport en commun, développe le covoiturage en partenariat avec l’association Covoiturage+, se dote d’une station City Roul’1, installe un abri à vélo, achète deux vélos électriques d’entreprise pour les déplacements professionnels et les déplacements personnels sur le temps du midi…
    « Les types de mesure sont à peu près toujours les mêmes. Mais les ordres de priorité sont différents », résume la chargée de mission du Conseil en mobilité de Rennes Métropole. « Le covoiturage offre une solution à tout le monde, poursuit-elle. Il y a même des organisations très poussées pour répondre aux besoins de déplacement qui interviennent sur le trajet domicile-travail : on covoiture à plusieurs véhicules, ceux qui doivent déposer les enfants le matin à l’école et ceux qui doivent les récupérer le soir. En fonction, on monte dans la voiture qu’il faut ! Dans l’hyper-centre, il y a en revanche un potentiel faible du covoiturage mais les usages du train, des transports en commun et du vélo sont plus forts. »

     Les premières évaluations des PDE font apparaître que la part modale de la voiture baisse de 8 à 10 points. Marion Stenou y voit « des résultats clairs avec peu de moyens ». En revanche, lorsqu’il y a un changement de pratique effectif, le salarié ne le relie jamais directement au seul PDE. C’est le choix personnel qui est mis en avant dans les enquêtes auprès des salariés et le changement est bien souvent motivé par une conjonction de facteurs : l’évolution des conditions de déplacements, des conditions personnelles, le coût du carburant et aussi le PDE. Parmi les limites de ces démarches, au-delà d’une certaine défiance initiale vis-à-vis des motivations de l’entreprise, c’est surtout la difficulté de changer les comportements qui demeure : « Même si elles ont vite été levées, au début deux craintes ont été exprimées : ‘‘on veut nous obliger à ne plus prendre la voiture’’ et ‘‘c’est une opération de la direction’’ », note Nicolas Briand (RSI), en soulignant que « le but n’est pas d’arriver à 90 % de changement de comportement, mais que tout le monde sache qu’il a la possibilité de faire autrement ».
    Depuis la fin de l’année 2013, Rennes Métropole et l’opérateur privé de transport Keolis, gestionnaire du réseau Star, ont décidé de renforcer le service du Conseil en mobilité en créant un poste. Depuis peu, Fabien Lalaizon accompagne les entreprises notamment pour animer les PDE dans la durée et éviter un « effet soufflet ». Keolis est ainsi passé d’un « positionnement administratif » concernant essentiellement la création d’abonnements à une démarche d’information, de co-animation des PDE, et de conseil aux entreprises. Le service est personnalisé : « Rennes Métropole a un niveau d’offre de transport public extrêmement élevé. Une grosse partie de la population connaît l’offre mais ce qu’elle ne sait pas c’est si elle peut répondre à ses besoins. Le PDE nous permet de déclencher l’utilisation », indique Anne Samek, responsable relations clients. « Il faut accrocher les clients, aller les chercher, les convaincre, expliquer les services qui ne sont pas si intuitifs », poursuit-elle. C’est donc une vraie logique de développement commercial qui s’appuie sur les PDE.

     Si les salariés concernés ne représentent pas la seule ressource de voyageurs supplémentaires que peut compter Keolis, cette piste est loin d’être marginale dans un contexte de difficulté générale à financer les transports collectifs. L’opérateur instaure un contact commercial privilégié avec les usagers et développe un point de vue social, comme l’illustre la responsable relations clients : « par les questions de mobilité, on s’attaque au quotidien des gens, à leur gestion du temps. On ne peut pas appréhender ces questions simplement en proposant une diversité d’offres de transport. Il faut une vraie écoute aussi bien des volontés à changer de mobilité que des blocages ».
    Tout autant déclinaison des politiques publiques de transport, nouveau dialogue public-privé, réseau inter-entreprises que leviers économiques, sociaux et environnementaux, les PDE de Rennes Métropole se développent sur de nouvelles échelles : deux Plans de déplacement inter-entreprise (PDIE) sont en cours d’élaboration sur les zones d’activité de Beaulieu et de La Courrouze. Ces démarches accompagnent les nouvelles ambitions de projets urbains plus exigeants en termes de stationnement et portant de fortes volontés de desserte en transport en commun. En dix ans, les PDE semblent avoir largement dépassé leur objet et servent le développement d’alternatives concrètes à l’automobile.