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Portfolio
#30
Camille Godet, dessins de guerre inconnus
RÉSUMÉ > Denise Delouche, professeur émérite, a contribué à créer l’enseignement de l’histoire de l’art à l’université de Rennes 2. Elle est spécialiste de l’histoire de la peinture et des peintres en Bretagne.

     Le hasard vient parfois bien opportunément aider une recherche en cours : une rencontre aux Halles à Rennes, près de l’étal d’un bouquiniste, une interrogation lancée à la cantonade par un inconnu : « Qui connaît Camille Godet ? », conversation, échange d’adresse… Je venais de trouver un « fonds » inconnu d’oeuvres de Camille Godet, dessins de guerre et autres.
   Camille Godet (1879-1966) est peu connu même à Rennes, où il est né et a vécu. Il a fait ses études à l’école des beaux-arts, de 1893 à 1897, les a poursuivies brièvement à Paris. En 1914, il venait d’être nommé professeur à cette école des beaux-arts ; au retour, il sera directeur de l’école d’apprentissage du bâtiment et le restera jusqu’à sa retraite en 1949. La guerre de Camille Godet est (relativement) calme : en 1914, il a 35 ans et s’engage dès le 2 août. D’abord affecté au 10e escadron du train des équipages, il entre en 1916 au service topographique et cartographique de l’armée, où il rencontre Mathurin Méheut (on ignore s’ils se connaissaient avant).

     En 1919, il reçoit la commande du Panthéon rennais, décidé sur l’impulsion du maire Jean Janvier dès le 18 novembre 1918. L’architecte de la ville Emmanuel Le Ray (1859-1936) conçoit l’ensemble et Godet exécute la peinture. Dans la longue frise haute qui ceinture la salle, c’est un long défilé de soldats français et alliés. Les grands dessins préparatoires sont d’un solide réalisme documentaire. L’inauguration a lieu le 2 juillet 1922. Mais aujourd’hui encore, beaucoup de Rennais ignorent et le Panthéon, et l’auteur de la peinture.
    En 1918, Godet était à Rennes, affecté au 7e régiment d’artillerie, il décore alors un petit salon du théâtre : une frise y évoque soldats français et alliés dans un paysage vallonné (où la guerre se fait discrète, à peine une allusion avec un calot allemand abandonné au bord d’une tranchée). Le commanditaire de ce salon reste inconnu, les archives sont muettes, la tradition veut que ce soit le maire Jean Janvier, qui prête ses traits à un officier. Ses dessins de guerre ont été faits dans la Somme et autour de Verdun en 1916 et 1917 (un seul dessin a été retrouvé pour 1914, aucun pour 1915). Il est alors l’un des dessinateurs du service topographique et cartographique du 10e corps d’armée (STCA 10). Il accumule dessins et aquarelles, datés et localisés pour la plupart avec précision et signés de son monogramme : beaucoup de paysages paisibles (dont le rapport à la guerre n’est souvent que dans la localisation et la date), des paysages de tranchées, des évocations de ruines. Étonnamment, ces paysages sont peu animés. Aucune action, aucune violence. Les casemates aménagées, dessinées avec soin, sont inoccupées. Mais sur d’autres feuillets, il a campé des soldats, qu’il fait poser ou qu’il saisit sur le vif. Il aime l’exotisme des spahis marocains.
    Au STCA, qui était équipé d’un atelier de lithographie (dont Méheut a fait des croquis), il a dessiné, mis en couleurs et imprimé des cartes postales destinées à la « Correspondance des armées de la République ». Certaines semblent avoir seulement été tirées au trait noir, pour d’autres, Godet a essayé diverses mises en couleurs. Quelques-unes sont datées 1916, portent des titres : Spahis marocain, Garde d’écurie, Le pinard, L’abri. Deux évoquent l’ennemi : Kamarade, Kapout.
    Ces dessins de guerre de Camille Godet très représentatifs de son style donnent envie de mieux connaître l’ensemble de son oeuvre. On lui doit notamment la décoration de la salle de réunion de la Maison du peuple, réalisée en 1925 sur le thème des métiers, du travail. À la gouache, le peintre capte sur le chantier même, les divers corps de métiers en action, tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, couvreurs… Le style réaliste est simple et narratif. Dans cette Maison du peuple, devenue ensuite Salle de la cité, on a cru les toiles détruites, elles n’étaient que masquées ; elles ont été classées en 1997. Une exposition, prévue au musée des beaux-arts de Rennes en 2018, présentera enfin aux Rennais cet artiste trop discret.