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Dossier
#35
Au Blosne,
les ambassadeurs haussent le ton
RÉSUMÉ > Pas facile d’être ambassadeur du projet urbain ! Après l’enthousiasme des débuts, une forme de défiance s’est progressivement installée entre les habitants et la maîtrise d’ouvrage du quartier du Blosne, au point de menacer la poursuite de la concertation. Pourtant, depuis mars 2015, la dynamique semble repartir sur de nouvelles bases.

     « Début 2010, une annonce de la Ville de Rennes parue dans le journal Ouest-France proposait aux habitants de travailler sur le projet de renouvellement urbain du quartier. Ma candidature a été retenue, dans un premier temps comme ambassadrice suppléante », se souvient Odile Cardin. Cette jeune retraitée installée au Blosne depuis 2000 souhaite approfondir sa connaissance de ce qu’elle considérait alors comme un quartier « dortoir ». Le parcours de Jean-Luc Valentin est similaire. « Arrivé en tant que locataire en 1989, je suis devenu propriétaire. Quand j’ai été plus disponible, je me suis engagé dans le comité de quartier, le centre social… » En visite à l’Atelier urbain, chargé du suivi du projet de renouvellement urbain, l’animatrice lui propose de devenir ambassadeur. « Je souhaitais m’impliquer dans le processus d’évolution du quartier, j’ai trouvé que c’était une belle opportunité ».
    Pour rappel, le dispositif des « ambassadeurs » est impulsé, en janvier 2010, par Frédéric Bourcier, alors adjoint PS à l’urbanisme et élu du quartier du Blosne. « Le dispositif ambassadeur s’est créé avec l’objectif de permettre aux habitants d’enrichir leurs connaissances sur l’aménagement du quartier et des villes en général, de donner leur avis, de défendre des idées qui semblent importantes pour le quartier, de défendre l’image du quartier et d’échanger avec d’autres personnes, habitants, urbanistes, experts de la ville, élus… », rapporte la « Synthèse des principales actions de concertation menées pour le projet de renouvellement urbain du Blosne » par l’IAUR et l’AUDIAR. L’Institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes et l’Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise, mandatés par la Ville de Rennes, assurent le suivi de cette concertation.

Interface entre habitants et décideurs

     En 2010, une centaine d’ambassadeurs s’engage sans compter : ateliers à raison d’une fois par mois, échanges avec la population, permanences… « Être ambassadeur, c’était faire l’interface entre les habitants et les décideurs. Nous devions présenter ce qu’était le projet et aussi faire remonter les doléances. » Odile l’affirme haut et fort : « Nous n’étions pas là pour faire passer la pilule comme je l’ai entendu dire, car nous n’étions pas toujours d’accord ». Pour autant, elle explique adhérer à ce qu’elle nomme le coeur du projet : « La population du quartier a baissé de 30 %, les écoles et les commerces sont en danger. Il nous faut construire 2 000 logements pour accueillir une nouvelle population, mais pas question de le faire sur les espaces verts ! Il ne reste plus que les parkings… ». Elle sait ce point très sensible. Pas toujours facile d’expliquer, constate Jean-Luc. « Je vis dans un secteur où les propriétaires sont âgés et ne se sentent pas vraiment concernés ».
    Au fil du temps, les participants affinent leurs connaissances. « Les ambassadeurs, habitants, se sont mis en projet. Ils ont acquis une culture urbaine, une culture d’aménagement en assumant des allers et retours critiques et constructifs avec les professionnels, les élus et les techniciens mandatés par la Ville de Rennes ».

Deux voyages d’étude à Berlin et Barcelone

     Cette concertation a été marquée par deux voyages, à Berlin et Barcelone. Et Odile de préciser que ces voyages d’étude, effectués dans des conditions spartiates, ont été financés en partie « par les impôts des contribuables, comme m’a dit un habitant ! » mais aussi par des partenaires extérieurs. Être ambassadeur n’a pas toujours été une position facile, mais ô combien enrichissante, affirment Odile et Jean-Luc.
      « À Berlin, j’ai été surprise de voir la réhabilitation de la ville Est », note Odile. « Il y avait aussi les espaces verts et les jeux pour les enfants Nous avons rencontré des habitants qui travaillaient sur leur quartier un peu comme on nous proposait de le faire au Blosne. Un architecte allemand nous a expliqué comment on pouvait rehausser des immeubles. Et personnellement, pendant le voyage, j’ai fait la connaissance d’une voisine, devenue une amie ».
      Jean-Luc a participé au voyage à Barcelone : « Une ville bizarrement construite avec ses îlots carrés et au coeur une place centrale, une école… De l’extérieur, tout semble calme, mais à l’intérieur, c’est bouillonnant. » Jean-Luc a travaillé sur le parc en réseau. « Nous avons découvert le parc Jean-Nouvel à Barcelone, avec sa voûte arbustive au-dessus de la rue. On pourrait reproduire cela ici avec nos 45 % d’espaces verts ! ». C’est à cette occasion que naît née l’idée de la Rambla du Blosne…

     La dernière rencontre avec les représentants de la Ville de Rennes a lieu six mois avant les élections municipales, fin 2013. Changement d’élu de quartier et d’adjoint à l’urbanisme, silence radio. « Les habitants continuaient de nous interpeller et surtout, nous entendions des rumeurs… », commente Odile. « À l’atelier urbain, tout le monde était dans l’expectative », souligne Jean-Luc.
    Invitée à la Fabrique citoyenne de la Ville de Rennes pour réfléchir sur le quartier, Odile s’agace. « On nous a ressorti les gommettes et les Post-it… Franchement, on a eu l’impression qu’on se moquait de nous ! ». À l’occasion de l’inauguration de l’aménagement du square de Nimègue, des ambassadeurs se retrouvent. « Nous ne pouvions pas en rester là », explique Jean- Luc. Un collectif se constitue en janvier. Un manifeste est remis aux élus avec une proposition de rencontre. Il est écrit : « Sans information depuis plus d’un an, nous demandons fermement des éclairages sur l’état actuel de ce projet urbain qui est aussi le nôtre et n’appartient pas seulement aux élus ou aux services, même s’ils ont la charge de le piloter (…) En accord avec les principes généraux de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de février 2014 et la charte rennaise de la démocratie locale de janvier 2015, nous demandons expressément à continuer à être des acteurs de la transformation de notre quartier dont nous sommes aussi les usagers habitants, en respectant le travail déjà réalisé (…) Pour assurer ce basculement entre les phases de programmation et d’opération, mais aussi pour envisager la suite sur le Blosne Ouest, nous demandons avec détermination : un message fort en direction des habitants du Blosne ; la mise en place d’une véritable maison du projet urbain ; la présence d’une équipe de professionnels de l’accompagnement, de la mobilisation des habitants ».

     La rencontre entre les élus et cette « plateforme pour la réalisation du projet urbain » se tient le 10 mars dernier. Le collectif demande la mise en place d’un conseil de quartier rénové avec des financements spécifiques. Dix thèmes prioritaires dans le quartier sont relayés par les habitants. Citons les commerces, le conservatoire - « un vrai cadeau pour les habitants » -, la mise en place de commissions de secteur, associer les habitants aux appels d’offres des projets d’aménagement, les écoles, le parc en réseau, les activités économiques, la maison du projet, la rénovation des copropriétés, la vie associative…
    « La municipalité, attentive, a annoncé que l’AUDIAR et l’IAUR seraient reconduits dans leur mission d’accompagnement », rapportent les membres du collectif. « Nous espérons vraiment que nous repartirons sur de bonnes bases. En tant qu’ambassadeur, j’ai vécu une belle expérience », conclut Jean-Luc. Et Odile d’ajouter : « je pense que nous avons vraiment fabriqué de la citoyenneté ! »