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Contributions
#18
RÉSUMÉ > En associant les parents à l’école, tous les enfants peuvent réussir. Cette conviction, le mouvement ATD Quart Monde l’expérimente depuis cinq ans dans le quartier de Maurepas à Rennes. Regard sur ce projet-pilote qui a fait des petits un peu partout en France.

     Décrire ou analyser l’expérience de la grande pauvreté représente une difficulté: c’est faire l’aveu que l’auteur n’en est pas ou n’en est plus. C’est le risque d’un regard romantique ou exotique, limite post-colonialiste. Ce sont aussi les clichés à contourner: ceux de la fatalité, de la reproduction transgénérationnelle ou pire, des condescendances compassionnelles. 
     Nous avons fait le choix d’entrer dans cette question « là où ça se passe », avec l’idée que des processus engagés avec ce pan de la population, dépendront des lois à venir, oui, rien de moins que des manières de décider et de dessiner une société. ATD Quart monde œuvre depuis longtemps à cette concordance du temps et de l’espace social: loi Dalo, Cmu, Rsa.

 

     Pas de grandes lois sociales sans l’ATD touch, sachant que ce qu’ATD a en propre, c’est de ne pas faire « pour » les personnes mais avec elles. Nous sommes aux antipodes de l’Ena même si en sort de la Loi ! ATD tisse de ces petits laboratoires grandeur nature un peu partout sur le territoire, et notamment à Rennes. Ainsi ce projet- pilote à Maurepas intitulé: « En associant leurs parents à l’école, tous les enfants peuvent réussir ! » Depuis cette expérience menée durant cinq ans à Maurepas, vingt trois quartiers se sont mis en réseau et questionnent l’école et les acteurs de quartier. Oui, après Maurepas, voici Alençon et Flers, mais aussi trois quartiers de Brest ou Nantes qui interrogent « l’association des parents avec l’école », ou Poitiers qui se demande « comment associer le plus grand nombre ».
     Comment à Rennes, ville tertiaire, donc de l’écriture, ou ville high-tech, donc des signes, comment ATD pousse à aborder autrement la question d’apprendre à l’école en y associant ceux pour qui l’école est impénétrable? Durant cinq ans, quarante-huit rencontres entre parents ont été organisées sur les deux écoles publiques Trégain et les Gantelles. Durant cinq ans, soixante-quatre parents dont certains connaissant la grande pauvreté ont parlé, croisé leur expérience, discuté leurs savoirs avec des enseignants volontaires, une douzaine sur quarante, un chercheur de Rennes 2, le professeur en science de l’éducation et sociologue Pierre Périer. Est-il ici adroit de dire que ce chercheur revient, via son coeur de recherche dans l’école où, il y a quelques années, il usait ses fonds de jeans?

     Pour fabriquer un tel processus de réflexions croisées, il a fallu en premier des consentements institutionnels articulés à un volontarisme militant: L’Éducation nationale, la Ville de Rennes, l’Iufm, Rennes 2 et la Fcpe ont signé une convention avec ATD. Convention où chacun des partenaires a posé en quelques lignes, noir sur blanc, ses attentes.
     En second, il faut du temps et une méthode: ici des réunions entre pairs (parents ou enseignants séparément) faisant émerger des thèmes qui, progressivement, se croisent lors de rencontres conjointes.
     Entre les premières rencontres datant de 2007 et celles de 2011, les enseignants ont appris à tenir compte d’un millier de minuscules détails: repérer par exemple que si des parents zappent trois rendez-vous qui leur ont été fixés, ce n’est pas qu’ils ne s’intéressent pas à l’école et aux résultats de leurs pitchounes. Il suffit de prendre conscience que pour des parents, entrer physiquement dans l’école relance tellement de mauvais souvenirs, d’humiliation, d’incompréhension que ce franchissement. Et que pour y parvenir, moult précautions, tellement de temps et nombre d’autres actions s’avèreront au préalable nécessaires. Par exemple inviter les parents à préparer une fête, avant même de parler de l’école. Ou, autre exemple, préparer un goûter, une sortie ou faire appel aux parents pour accompagner une visite: tellement de micro-initiatives qui vont à terme pouvoir rendre leur dignité perdue à des gens.

     Ces cinq ans d’analyse ont convergé vers une animation pédagogique où l’élu municipal, les militants d’ATD, les parents-relais, les quarante enseignants ont partagé et commenté les résultats de cette expérience dans la baraque Guy-Ropartz.
     Cinq ans pour mettre à l’aise tous les partenaires et notamment l’école avec les parents qui en attendent d’autant plus qu’ils se sentent le plus loin. Tout ce temps pour repérer la réciprocité des peurs. Pour décrisper les a priori, permettre que l’obsession de l’échec scolaire se transforme en élan de réussite.
     De la moyenne section au CM2, tous les enfants ont eu à défricher cette question de la réussite: les dessins ou les paroles des enfants de maternelle comme les rédactions de cours moyen ont été lus, entendus ou regardés avec attention, autant par les parents que par les enseignants. Rien ne les a opposés au final dans leurs outils d’analyse, rien puisque tous ont lucidement pu convoquer leur envie d’une école citoyenne, où le plaisir compte pour presque tout dans l’apprendre.
     Retour donc à des questions de base: qu’est-ce que l’école? Puisque celle d’avant continue de percuter celle de maintenant. Celle qui accueille toute la République, tous ses enfants, car l’hypothèse d’ATD réside précisément dans le fait que, s’occupant des plus pauvres, ils s’occupent d’une société entière. Sans le dire, ils remaillent. En faisant, ils rapprochent, dans des écoles où tant de langues peuvent être parlées. Au bout des cinq ans, les enseignants pouvaient sans état d’âme, en confiance, « sortir de leur musette », comme le dit joliment Benoît Hooge, un des principaux architectes de ce chantier social, « ils sortent donc de leur musette les documents utilisés en classe », leurs méthodes de travail. Les parents voient enfin sortir de l’obscurité la pédagogie qui leur avait tant échappé et qui les avait tant effrayé.

     La méfiance s’estompe, voire s’efface. Les enseignants qui parlent plus volontiers de leurs difficultés apprennent à analyser leurs réussites. Ils apprennent aussi à inviter (pas convoquer !) les parents parce que l’élève va bien et poursuit ses progrès. L’école redevient un lieu de liens.
     L’enseignant saisit que, derrière ses propres propos, se chaînent ceux des travailleurs sociaux. Ces travailleurs qui, pour ces grands traumatisés sociaux représentent ceux qui prennent les enfants, montent dans les appartements, voient tout ! C’est par ce même prisme qu’une récente enquête à portée nationale révélait que dans les personnages les plus détestés d’un quartier de Clichysous- Bois venaient, avant le représentant de la loi, le conseiller d’orientation.
     ATD à Maurepas, c’est cette présence au quotidien qui permet que chacun se connaisse et se reconnaisse. Sûr que cette réflexion croisée entre tous les partenaires et les familles, sûr que cette méthodologie rigoureuse dans la démarche, construite conjointement et au bon rythme (ce qui est coûteux et doit donc être reconnu institutionnellement), sûr qu’entre les parents relais, les familles et les grandes institutions, sûr qu’à cette soirée à Guy Ropartz ouverte au public où il y avait 100 personnes dans l’amphi Guy Ropartz, Benoît Hooge pouvait ne plus y repérer « qui est instit et qui est parent »! Pari réussi !