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Dossier
#17
RÉSUMÉ > Tandis que s’avance le projet de renouvellement du quartier du Blosne (la « Zup Sud »), Place Publique est allé à la rencontre d’habitants de plusieurs tours dont la hauteur frôle les 50 mètres, pour recueillir leurs points de vue sur la vie en hauteur. Car une chose est de repérer les tours dans le paysage urbain, toute autre chose est d’y vivre ! Et l’on y vit plutôt bien.

     Nous avons rencontré quatre femmes, Annick, Claudine, Odile et Michelle. Elles ont gentiment accepté de s’exprimer sur leur monde « vu du 14e étage ». Et tant pis si le logement de l’une de ces habitantes se trouve seulement situé au 3e étage de l’une des tours : son point de vue vaut par sa longue expérience, elle qui, à la différence des trois autres, a toujours résidé en hauteur! Les tours visitées sont la tour des Hautes-Ourmes (près de la station de métrode la Poterie), les tours Aunis et Navarre.

     Vue du 14e, la ligne d’horizon ne se réduit pas à l’urbain. Marquée de points de repères parfois situés à très longue distance – un relais de télécommunications à 40 km au sud de Rennes – elle s’éloigne ou se rapproche au gré des saisons, des heures, de la météo. Acceptons donc de partager ce point de vue que la proximité avec la nature n’est pas l’apanage de l’habitat au ras du sol ! D’autant que la tour offre à ses habitants un panorama inédit sur les éléments enfouis du paysage : à qui douterait de la présence du ruisseau du Blosne, qui a donné son nom au quartier, Annick nous le dessine en suivant son cours sous le brouillard humide du petit matin.
     Et pour qui guette le rayon vert, suivons Odile qui rend visite à sa maman dans un appartement ouvert à l’ouest et qui y reste jusqu’à l’extinction du soleil couchant… Restent le jardinage et le fleurissement des balcons, pratiqués par Michelle et Claudine, mais auxquels a renoncé Annick, qui estime que les balcons reçoivent désormais trop de pollution pour que les plantes s’y plaisent.

     L’achèvement de la construction des tours du Blosne date de 1973. Si, depuis, n’y a pas eu de nouveaux immeubles à sortir de terre, en revanche, l’environnement urbain s’est énormément modifié. Pas de meilleur observatoire pour le constater qu’un 14e étage, d’où l’on peut voir la ville des jouets Lego devenir réalité : lycée Descartes, hôpital Sud, rocades, parkings, stations de métro, viaduc et ligne aérienne du Val… plusieurs générations d’enfants ont été fascinées par cet extraordinaire fourmillement au sol, bien plus captivant qu’en miniature.
     Habiter une tour permet d’être aux premières loges de la transformation de la ville et d’en percevoir la densification. L’efficacité de ce poste d’observation du changement urbain est maximale dans le domaine de la circulation : le noeud formé par la rocade, les accès routiers par le sud, le viaduc d’accès du métro, la station Poterie et son parking relais, ainsi que les mobilités des résidants, provoquent des embouteillages croissants sur les axes structurants d’entrée du quartier. Ainsi s’explique l’arrivée de problèmes inédits comme la pollution de l’air et les nuisances sonores.
     Ce sont ces évolutions sur les déplacements et les stationnements qui ont amené Annick à devenir « ambassadrice » du projet de renouvellement du Blosne, dans l’espoir de mieux faire prendre en compte la pertinence de son poste d’observation dans le diagnostic urbain.

     Les tours d’habitation ont été construites dans un laps de temps limité, celui des Zup (1958-1973). Elles ont constitué, pour les architectes, un champ d’expérimentation largement méconnu aujourd’hui. En effet, elles alimentent au plus haut point l’argumentaire anti-urbain, au point que, le plus souvent, la réflexion se réduit à une discussion sur l’opportunité de les raser en ignorant la question de leur réhabilitation.
     Regarder les tours du Blosne comme un patrimoine ayant des qualités propres procède donc d’une démarche que nos témoins ont spontanément adoptée : elles insistent sur la qualité des appartements, vastes, bien conçus, bien éclairés. Elles s’entendent aussi sur le fait qu’habiter dans une tour répond à des contraintes liées au logement collectif: maîtriser les horaires auxquels on peut faire du bruit, se montrer courtois dans le voisinage, respecter les règles sur les déchets, etc.

     En revanche, elles signalent l’existence de contraintes spécifiques liées à la hauteur : le fonctionnement des ascenseurs constitue une sujétion diversement vécue. Annick explique qu’elle n’y avait pas pensé lorsqu’elle est arrivée en 1969 mais qu’elle y songe désormais. Michelle se répète que pour habiter une tour, mieux vaut n’avoir peur ni des pannes possibles, ni de l’incendie (des pompiers sont venus la réveiller une nuit). Autre point, la perméabilité thermique des étages élevés rend très utile le double-vitrage, lequel n’est pas facile à réaliser techniquement lorsqu’il faut monter de grandes baies vitrées dans des ascenseurs inadaptés.
     Ainsi, la copropriété des Hautes-Ourmes, dessinée par Georges Maillols1, a dû arbitrer entre le respect des ossatures d’aluminium d’origine pour maintenir la façade de la tour dans son aspect initial, et le format possible pour les nouveaux vitrages. Le classement de l’immeuble au patrimoine moderne de la Ville de Rennes a aidé cette prise de conscience de la valeur architecturale de leur tour par ses habitants, que les plus jeunes ne percevaient pas.

     Le nombre élevé de logements, voilà qui est spécifique aux tours d’habitat. Entre 60 et 120 appartements dans chacune. Autant de voisins différents en âge, en taille de ménage, en origine. Claudine dit voir la diversité du monde à l’échelle de l’ascenseur : pair ou impair, c’est l’arbitraire de la distribution qui fait les rencontres et qui reconstitue le passage de la rue. Pas facile pourtant, entre anciens et nouveaux habitants de l’immeuble, entre cultures différentes : elle a repéré que certaines familles pleurent leurs morts alors que d’autres, confrontées au même événement, organisent un rassemblement à l’allure plus festive.
     Claudine et Michelle insistent sur la nécessité d’une présence humaine, d’un gardien dans chaque immeuble. Elles déplorent l’introduction généralisée depuis dix ans des digicodes, dont elles jugent qu’ils n’apportent qu’une illusion de sécurité. Pour elles, rien ne remplace l’interconnaissance, surtout lorsqu’arrivent des gens en souffrance. Il faut donc dans une tour quelqu’un dont le métier est de connaître tous les habitants et de servir de référent à ceux dont la vie est très difficile.

     Cette approche est sans doute la plus connectée au débat sur l’habitat dans les tours. Est-ce l’effet de la misère ou celui de l’étage qui produit le jugement anti-urbain ? Ce sentiment si éloigné des témoignages chaleureux que l’on entend ici. Comme celui de Michelle qui indique que, comme dans toute rue, « il y a des potins » qui font vivre la tour. Arrivée par le hasard des attributions de logement social en 1995 dans son appartement du 14e étage d’une tour du Blosne actuellement en réhabilitation, elle n’envisage plus de descendre « à un étage inférieur au 10e »