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Dossier
#07
RÉSUMÉ > Cette fiction a été imaginée à partir d’un document d’architecte, Étude de définition du Sine (secteur intrarocade nord-est), réalisé par Christian Devillers, architecte, Alfred Peter, paysagiste, et Jean-Michel Roux, urbaniste. Elle présente quelques caractéristiques de la ville nouvelle Viasilva qui devrait être construite d’ici 2040 au nord-est de Rennes, à l’intérieur de la rocade, sur les territoires de Cesson-Sévigné et Thorigné-Fouillard.

      Cela fait trois semaines maintenant que nous avons aménagé dans ce nouveau quartier du nord-est de Rennes, je devrais dire « nouvelle ville », que l’on appelle Viasilva. Elle porte bien son nom latin (« La route de la forêt »), car nous sommes tout près de la forêt de Rennes sur le tracé d’une ancienne voie romaine qu’empruntèrent peut-être les soldats de César il y a plus de deux mille ans.

     Notre quartier s’appelle Le Fort. Il y avait autrefois, le long de la route Rennes-Thorigné, après La Victoire, un village appelé Fort Bouexière. Notre immeuble est situé en bordure de la rocade est, entre la porte de Tizé et la porte de Normandie. C’est le dernier quartier construit. Il a été livré en 2033 et on y compte maintenant 5 800 habitants. C’est la taille d’une petite ville... dans la ville.  

     D’autres quartiers de Viasilva sont un peu plus anciens. Le premier, Saint-Sulpice, avait été achevé en 2013 entre le centre commercial des Longchamps et la rocade nord. Puis tout s’était enchaîné : cinq ans plus tard, les Champs-Blancs accueillaient les premiers de leurs huit mille habitants. Vers 2025, ce fut le tour de la Normandière, entre le village des Pierrins et la rocade nord, et de Tizé, entre le village des collectivités et la Porte de Tizé. Et vers 2025, les premiers immeubles s’élevaient du côté de la Bretonnière. Ces quartiers comptent entre 3 500 et 8 500 habitants. Et presque autant d’emplois. Je n’ai pas compté, mais il paraît qu’un vieux slogan disait : 40 000 habitants, 40 000 emplois.
     Situé sur deux niveaux avec terrasse, notre appartement n’a rien de standard. Nous avons choisi la possibilité de le faire évoluer, de l’agrandir, de lui adjoindre un logement locatif, ou des bureaux et même un atelier pour le bricolage. Il en existe d’autres spécialement conçus pour la colocation. Il y a de tout, des immeubles, mais pas de tours, des maisons individuelles et de l’habitat intermédiaire, comme on nomme ces petits immeubles de deux ou trois niveaux où tous les appartements ont un accès individualisé.
     De ma terrasse, je vois la forêt de Rennes. Éraflée par la construction de l’autoroute de Caen à la fin du 20e siècle, elle a pu enfin retrouver ses aises. Elle est maintenant plus accessible et ses 2 900 ha ont été agrandis d’un tiers, jusqu’au Parc des Bois, vers Maurepas : elle a sauté la rocade pour venir rafraîchir et reverdir ce secteur de Thorigné-Fouillard et de Cesson-Sévigné où n’existaient autrefois que des exploitations agricoles et quelques zones urbanisées. Nous ne sommes séparés de la Vilaine que par le grand parc des Conillaux et l’ancienne route d’Acigné. La rivière n’est pas loin, ni les promenades le long de ses étangs ni son moulin de Tizé, joliment restauré ces dernières années, ni le golf de Cesson-Sévigné auquel conduit une élégante passerelle.

     J’ai passé une partie de la matinée – c’est mon jour de congé variable – à faire quelques courses au centre commercial. C’est un grand centre commercial d’agglomération qui est le pendant de celui des Longchamps, mais en plus spécialisé : produits bio, décoration et équipement de la maison, sports de toutes sortes, nouvelles technologies. 30 000 m2 : les fanas du scanning et de la carte bancaire ont de quoi faire ! Mais on ne pousse plus le chariot : on choisit ses produits et on se fait livrer en mini-fourgon électrique. J’y ai rencontré un collègue de travail qui habite Fougères et s’approvisionne régulièrement au centre commercial. Il connaît bien le quartier : tous les matins, il laisse sa voiture au parking-relais – un parking aérien – et prend ensuite la même ligne de métro que moi jusqu’à Rennes Atalante. Quatre stations, trois cents mètres à pied et on y est ! Si je veux aller en ville, après mon travail, je reprends le métro aérien ou le bus ou un Vélo Star.
     Nous avons de la chance. Notre quartier est très bien desservi : une ligne de métro qui file jusqu’à La Courrouze, deux lignes de bus à haut niveau de services (avec toilettes, journaux, machine à café, viennoiseries) qui circule en site propre sur la route Rennes-Thorigné et sur la rocade nord, et pas mal d’autres lignes qui rabattent les voyageurs à des cadences rapides vers les lignes principales. Si bien que nous avons vendu notre deuxième voiture. Et nous nous en passons très bien. D’ailleurs je me demande, si nous n’allons pas changer notre voiture principale – une assez grosse voiture hybride un peu dépassée – pour un véhicule plus petit et tout électrique. Comme j’ai acheté des parts dans le parc d’éoliennes de Chantepie, je dispose gratuitement de 500 kWh par an, de quoi rouler pendant 7 500 km. Pour aller chez nos parents, dans le Finistère, nous réserverons l’un des véhicules en auto-partage attribué à notre immeuble.

     Il est 17 h. J’attends les enfants qui vont bientôt revenir par les chemins piétonniers – ils n’ont que deux cents mètres à faire – de la ferme de La Gravelle, dont les bâtiments ont été conservés et transformés en centre d’activités et en ferme pédagogique… Après bien des hésitations, des agriculteurs, proches de la retraite, ont accepté l’offre qui leur était faite de signer une convention avec Rennes Métropole pour animer cette ferme pédagogique, y mener quelques cultures, y élever poules, vaches, moutons et chevaux et expliquer aux enfants la noblesse du travail de la terre. Tous les autres bâtiments anciens – certains remontent au 16e siècle – ont été eux aussi conservés, anciens châteaux ou manoirs, maison de maître ou simples maisons d’habitation, étables, granges, longères et moulins, qui témoignent du passé agricole de Viasilva.
     D’autres agriculteurs plus jeunes se sont lancés dans l’agriculture biologique. Ils pratiquent une agriculture de proximité où se mêlent maraîchage – ils alimentent notamment le grand marché biologique des Champs- Blancs – entretien de prairies naturelles accessibles au public, de vergers en libre cueillette, de jardins partagés et d’espaces forestiers. Sur le document que l’on nous a remis, je lis que la surface conservée pour l’agriculture et ce que l’on appelle les corridors écologiques, espaces naturels vierges de toute construction, est de l’ordre de 180 hectares sur les 600 de la ville nouvelle. Oh ! une petite précision : sur ces 600 hectares, 55 étaient déjà bâtis, essentiellement à Thorigné, du côté de la Normandière et de la Victoire, mais aussi un peu partout : des résidences que l’on devinait cossues ou des longères restaurées se cachaient – se cachent toujours – derrière un rideau d’arbres ou de solides portes et de hauts murs.
     La proximité de la campagne a bien des avantages : notre premier dimanche matin, nous sommes allés découvrir les lieux en famille. J’ai déjà repéré le parcours sportif où je pourrai affronter mes fistons, Béatrice a vu qu’elle pourra prendre des cours de tennis pendant que les petites iront à la garderie organisée sur place. Nous pourrons y aller à vélo. Sympa ! Là où nous habitions, le parcours sportif était à 3 km et j’avais pris l’habitude d’y aller en voiture… En attendant que nous achetions nos propres vélos, nous emprunterons des Vélos stars : une station est ouverte devant l’immeuble voisin.
     Ce soir, ce sera la fête. Tout le monde est de sortie. Nous allons au Zénith entendre Julie Maprune, la dernière découverte de la Nouvelle Étoile, sur la chaîne Zozo 8. Autrefois, on aurait dit qu’elle fait un tabac : elle a éclipsé toutes ses concurrentes. Ce sont les enfants qui ont insisté. Bon, ça nous servira de soirée d’inauguration. Mais j’hésite : le Zénith n’est qu’à un kilomètre – il a été construit dans le triangle autoroutier de la porte de Normandie – et nous pourrions y aller à pied. Mais le retour serait un peu difficile. Nous irons à vélo. Le parcours et les parkings couverts sont sécurisés.

Un bus à haut niveau de services sur la rocade

     Le réveil sera difficile demain… Nos deux plus jeunes enfants vont au collège du quartier. Environ 500 m de marche à pied, exactement sept minutes par la grande traverse, un large chemin réservé aux piétons et aux vélos. Les deux grandes, elles, auront le choix pour rejoindre le lycée du quartier de la Bretonnière : leurs vélos, qu’elles décrocheront de leurs places dans le garage collectif, ou le bus spécial qui les dépose et les reprend aux portes du lycée. Dans chaque quartier existe un groupe scolaire et un collège. Et tout ce petit monde entre en sixième à La Bretonnière.

     Les étudiants qui habitent le quartier ne sont guère plus éloignés des facultés que s’ils habitaient au Blosne. Pour Beaulieu, sa fac des Sciences, ses grandes écoles, son IUT, le métro est idéal. Pour la fac de lettres ou la fac de médecine, ils ont le choix entre le métro avec changement à Sainte-Anne ou le bus rapide à haut niveau de services qui circule sur la rocade nord équipée de nouveaux échangeurs, munie de contre-allées et élargie à deux fois trois voies. La vitesse a été considérablement réduite sur cette portion limitée autrefois à 110 km/h. C’était une telle cause de bouchons aux heures de pointe ! Au moindre ralentissement, les files s’allongeaient. Maintenant, tout le monde roule à 70 km/h et les bouchons ont presque disparu. C’est ce que les techniciens appellent une « autoroute apaisée ».
     Il ne faut pas croire que les urbanistes ont prévu d’abord le métro et les routes et construit les immeubles autour. Non ! Ils ont d’abord tenu compte de la géographie du secteur. Ils ont observé ce qui restait du bocage, situé les lignes de crête, les vallées, les sources, les zones humides, regardé le tracé des grandes voies de desserte et des chemins ruraux. Sur les premiers plans de Viasilva, on voit ainsi apparaître la source de Bellefontaine, le réseau sourceux des Pierrins, la zone humide de la Gravelle, la route de Thorigné, celle d’Acigné, la voie romaine, et du sud vers le nord la route qui prolonge vers Thorigné la rue de la Chalotais, celle qui descend vers le centre de Cesson-Sévigné.

Les « chemins de l’eau » à l’air libre

     Cette « trame » a été réutilisée et les quartiers de la nouvelle ville ne sont traversés par aucune voie à grande circulation. Mais chacun des habitants est à moins de quelques minutes, par des circulations douces, du centre du quartier, la « place du village » où l’on trouve les équipements culturels, récréatifs, de santé, les crèches, les commerces. On ne prend plus sa voiture pour aller acheter son pain ou conduire son enfant à la crèche. Dans le même esprit, des « chemins de l’eau » circulent à l’air libre : ce sont des eaux pluviales épurées qui passent de noues en fossés, de retenues en canaux, depuis les toits et la voirie jusqu’à des stations d’épuration par les plantes et la Vilaine.
     Travailler dans ce cadre très vert est presque un plaisir. Fini le temps où on habitait un endroit, travaillait dans un autre et faisait ses courses dans un troisième. Vive la « mixité fonctionnelle » ! À Viasilva, les commerces, artisans, médecins et autres professions libérales sont installés en pied d’immeuble. Et on trouve aussi, dispersés dans la nouvelle ville des laboratoires de recherche, des bureaux d’entreprises, des sièges sociaux, des cabinets d’expertisecomptable, des services aux particuliers et aux sociétés… Le cadre de vie est devenu un argument d’attractivité pour toutes ces activités qui ne sont ni polluantes ni bruyantes. Pas étonnant que la publicité en fasse grand cas ! D’ailleurs c’est aussi cela qui nous a attirés à Viasilva.