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Dossier
#26
Témoignages : Itinéraires militants Nadège Noisette, Solenne Guézénec Antoine Cressard, Jean-Louis B
RÉSUMÉ > Quels sont les ressorts de l’engagement en politique ? C’est la question que Place Publique est allée poser à quelques militants de différentes sensibilités. Au-delà des oppositions, une constante se dégage : l’envie de contribuer à « faire bouger les lignes », améliorer le vivre-ensemble, participer de manière concrète à la vie de la cité. Dans la bouche de ces militants, le mot « valeurs » revient souvent, et correspond à des convictions fortes. Un autre regard, lucide et dépassionné, sur l’engagement et ses contraintes.

     Solenne Guézénec, novice en politique, s’engage pour la première fois à Cesson-Sévigné après avoir battu le pavé dans les « Manifs pour tous ». Nadège Noisette rejoint la liste écologiste à Rennes pour mettre ses actes en accord avec ses idées. Antoine Cressard, lui, est revenu siéger quelques mois sur les bancs du conseil municipal et reconnaît que chez lui, la politique est aussi une affaire de famille. Trois itinéraires parmi beaucoup d’autres, qui éclairent à leur manière les mobiles de l’engagement. En contrepoint de ces portraits, la parole d’un homme de l’ombre, Jean-Louis Berthet. Il a longtemps dirigé les services techniques de la ville de Rennes et décrypte les relations souvent compliquées entre les élus et l’administration territoriale. Enfin, Karim Boudjema, l’ancien candidat UMP battu aux municipales de 2008 à Rennes, revient avec franchise sur cet épisode qui, dit-il, « a changé sa vie ».

     C’est ce qui s’appelle mettre ses actes en accord avec ses convictions. Il y a cinq ans, Nadège Noisette, ingénieur en électronique, a décidé de quitter les équipes de France Télécom R&D où elle planchait sur le très haut débit, pour se consacrer au développement durable. « On travaillait sur des mondes virtuels où chacun était individuellement connecté à son écran, y compris dans la sphère domestique. Cela ne correspondait plus à mes aspirations profondes », reconnaît cette jeune femme de 36 ans, calme et décidée, arrivée à Rennes en 2006 après un début de carrière à Paris.
    Militante au Mouvement de la Paix, engagée dans l’enseignement de la langue bretonne, Nadège y fait des rencontres qui l’aident à questionner son propre mode de vie. Elle évolue dans un milieu plutôt à gauche, sensible aux causes environnementales. Et décide alors de changer de cap en assumant ses valeurs. Elle rejoint l’Ademe, pour conseiller les collectivités dans le domaine des énergies renouvelables. Pas étonnant, qu’avec un tel parcours, elle figure aujourd’hui sur la liste Europe Ecologie/Les Verts (EELV) aux prochaines municipales à Rennes. « Je ne suis pas issue d’un milieu militant, mais une partie de ma famille vient du Pays Basque, ma mère est pied-noir, nous avons une histoire marquée par les conflits... C’est ce qui explique sans doute mon engagement pacifiste et mon ouverture à la diversité culturelle », analyse-t-elle.

Travail d’explication
     Au sein de sa nouvelle famille politique, Nadège Noisette ne compte pas faire de la figuration. « Lorsque je me suis engagée, il y a un an et demi, c’était bien dans l’idée d’être actrice à part entière dans la perspective des élections. Je savais que je pouvais apporter certaines compétences au groupe, dans une logique de partage et d’échange », explique la militante. D’expérience, elle devine qu’il ne sera pas forcément facile de convaincre tous les écolos-sceptiques. « Nous devons réaliser un gros travail de clarification et d’explication de notre message», reconnaît-elle. Adepte des déplacements en vélo en ville, consommatrice de produits locaux et de saison, Nadège se heurte parfois à des réactions négatives. Elle avoue passer souvent pour « l’écolo de service », comme ce jour où elle a proposé à ses copropriétaires de réaliser un bilan énergétique de l’immeuble avant d’engager des travaux de rénovation !
    Pour les prochaines élections, son cheval de bataille se résume en deux mots : démocratie locale. « À Rennes, on consulte, mais on ne construit pas ensemble », déplore-t-elle. Elle rêverait d’importer ici des solutions expérimentées avec succès ailleurs en Bretagne, dans le domaine de l’énergie, des déplacements doux et de l’éducation, notamment. Plus qu’au grand soir, Nadège croit aux prises de conscience individuelles qui font progressivement évoluer la société. Sans utopie, mais avec détermination.

Solenne Guézénec : De la manif pour tous à l’isoloir

     L’engagement en politique emprunte parfois des chemins de traverse. Pour Solenne Guézénec, le déclic s’est produit sur le terrain sociétal, à l’occasion du débat sur le mariage pour tous. « Je ne me sens ni rebelle, ni réactionnaire, je n’ai jamais été encartée dans un parti », prévient d’emblée cette mère de famille tout juste quadragénaire, qui fut la porte-parole de la Manif pour tous en Ille-et-Vilaine. Une aventure éreintante pour cette novice en politique qui s’était mobilisée au nom de ses convictions personnelles. Elle est sortie de cette aventure épuisée, mais avec la satisfaction d’avoir participé à un moment fort.
    Alors, après la rue, les urnes ? « Ces derniers mois, j’en ai fait des heures de tractage, des marchés, des rencontres ! Cela m’a conforté dans l’idée que la politique ne devait pas être l’affaire des seuls spécialistes. Je suis persuadée qu’on peut faire des choses concrètes pour accompagner les gens dans leur vie quotidienne », lâche cette Cessonnaise, arrivée dans la région il y a quatre ans, lors de la mutation professionnelle de son conjoint.

La politique comme un service
    Mais pas question pour elle de faire de la politique à l’ancienne, au sein d’un parti structuré. Aucun d’ailleurs ne semble trouver grâce à ses yeux. Solenne Guézénec déclare appartenir à une « génération désenchantée ». « Nous, les 30-40 ans, nous connaissons le chômage, les familles recomposées, les difficultés financières…Et surtout, on ne croit plus au clivage droite/gauche. Je vois plutôt la politique au niveau local comme un service », explique cette ancienne responsable marketing dans un grand cabinet d’audit à Paris. Cette prise de distance ne l’empêche pourtant pas suivre de près la préparation des échéances électorales dans sa commune d’adoption. Elle s’est engagée concrètement auprès de l’équipe du candidat de la droite et du centre Albert Plouhinec, mais ne sait pas encore quelle sera sa place dans l’aventure, si celle-ci est appelée à se poursuivre. Sans surprise, son credo, c’est la famille. « Je pressens qu’une grande partie de la population, toutes tendances confondues, sera très attentive au programme social des candidats lors des prochaines élections. Les questions de l’éducation, du logement, occupent tous les esprits », souligne-t-elle, se disant frappée de constater à quel point « dans les situations de galère, sans le soutien de la famille, c’est la rue ! ».
    Idéaliste mais néanmoins lucide, Solenne incarne à sa manière une nouvelle génération en politique, qui souhaite participer aux choix de société, sans toutefois subir les logiques d’appareil. Pas si simple !

     Chez les Cressard, le virus de la politique se transmet – presque – de génération en génération. En septembre dernier, Antoine Cressard a retrouvé non sans une certaine émotion les bancs du conseil municipal, à la faveur de la démission de Marie Louis (Union pour Rennes). Cet enseignant de 48 ans, professeur d’histoire au lycée de Cesson-Sévigné, y avait siégé jusqu’en 2008, durant deux mandats dans les rangs de l’opposition municipale, à partir de 1996. Et à l’époque, déjà, son nom était familier aux vieux briscards de la politique rennaise : son oncle avait été député gaulliste de 1968 à 1981. Lui aussi professeur d’histoire, Jacques Cressard avait également siégé au conseil municipal de Rennes aux côtés de Claude Champaud, alors chef de file de l’opposition lors du deuxième mandat d’Edmond Hervé (1983-1989).
    Y aurait-il alors une part d’atavisme dans cet engagement ? « C’est vrai que j’ai grandi dans une famille très attentive aux questions politiques. Mon père Jean-Pierre était journaliste, correspondant du Figaro à Rennes, et il y avait toujours beaucoup de journaux à la maison. Nous suivions également avec attention la carrière de mon oncle Jacques », reconnaît Antoine. Toutefois, dans cette grande famille rennaise (ses grands-parents paternels ont eu 11 enfants !), le spectre des opinions politiques était assez large. «Une de mes tantes, journaliste au Monde, était plus à gauche ! », tient à préciser son neveu.

Démocratie chrétienne
     Lorsqu’on l’interroge sur ses convictions et les moteurs de son engagement, Antoine Cressard n’hésite pas : ce catholique pratiquant cite spontanément « les valeurs de la démocratie chrétienne et de l’Europe ». D’aucuns pourraient s’interroger sur l’intérêt à rejoindre le conseil municipal en fin de mandat. Lui y voit plutôt une forme de continuité avec l’action militante qu’il n’a cessé de développer depuis 2008. Durant ces années, en effet, il a présidé l’association Rennes Capitale, qui réunissait les militants engagés dans la campagne de 2008 autour de Karim Boudjema. « Il s’agissait de fédérer les initiatives de ceux qui voulaient préparer l’alternance avec Bruno Chavanat », explique-t-il. Des commissions thématiques sont alors créées pour plancher sur les grands dossiers rennais et tenter d’investir le terrain local, dans les quartiers. A présent, Antoine Cressard ne fait pas mystère de sa volonté de poursuivre l’aventure en 2014.
    Observe-t-il un changement par rapport à l’expérience vécue il y a plus de 15 ans ? « L’évolution majeure provient sans doute de l’importance prise localement par le débat national. Il y a aussi un renouvellement générationnel intéressant en 2014, dans les deux camps », note-t-il, avec une passion apparemment intacte. A propos de passion, l’amour peut aussi emprunter le chemin des urnes : c’est lors de la campagne de 1989 qu’Antoine a rencontré son épouse, Anne-Marie, jeune militante figurant sur la liste de Gérard Pourchet. Une véritable affaire de famille !

Jean-Louis Berthet : Le regard d’un ancien fonctionnaire

Parmi les enjeux des municipales, la question de l’organisation territoriale occupe une place de choix. Les fonctionnaires, tenus au devoir de réserve, s’expriment rarement sur cette dimension. Jean-Louis Berthet connaît bien le sujet. Il fut directeur général des services techniques de la ville de Rennes de 1992 à 2006. Désormais retraité, il apporte ici un éclairage informé sur les évolutions du couple élu-fonctionnaire.

     « Aujourd’hui, en l’état de la répartition des compétences, il existe une certaine dichotomie. Les élus rennais et leur administration doivent penser le territoire à l’échelle de la métropole (espace du projet) et le gérer à l’échelle de la commune (espace du quotidien), ce qui n’est pas toujours facile à expliquer à des habitants qui, eux, raisonnent à l’échelle de leur quartier. À Rennes, contrairement à d’autres territoires que j’ai pu connaître, comme Grenoble, c’est sur le territoire de la communecentre que sont réalisés la plupart des grands équipements de la métropole.
    Cette évolution a nécessité de la part des élus comme de l’administration de fortes capacités d’adaptation. Cependant, la mise en place du dispositif qui garantira un bon fonctionnement entre administrations ne semble pas encore au point, et des tensions demeurent entre services, plus de dix ans après la création de Rennes Métropole.
    En pratique, le nouveau découpage du territoire se traduit par une administration territoriale métropolitaine comprenant une forte proportion de cadres et de concepteurs, tandis que le personnel d’exécution est majoritairement resté dans les services de la villecentre. Cette répartition paraît a priori simple et lisible et préserve en particulier les équipes administratives des communes périphériques qui restent proches des équipes municipales.

Découpage défavorable
     Au niveau de la ville-centre, toutefois, l’affectation à la Métropole est parfois vécue comme une promotion par ceux qui restent, et qui s’estiment ainsi dévalorisés. Pour ma part, je pense que ce découpage n’est pas favorable à long terme. Il n’est pas bon de séparer la conception de la gestion. J’ai travaillé pendant quelques années à leur rapprochement alors qu’elles étaient dans la même maison et sous la même autorité hiérarchique ou politique. Chacun dans son domaine n’avait pas beaucoup de considération pour l’autre ! Les concepteurs estimaient les gestionnaires « vieux jeu » et incapables de s’adapter à la modernité et les gestionnaires considéraient que les concepteurs ignoraient le terrain, les problèmes de maintenance... Le travail commun a permis à chacun de voir qu’il était intéressant, utile et nécessaire de travailler ensemble pour progresser au bénéfice des usagers. Il faudrait aussi évoquer l’alourdissement de l’instruction des dossiers avec deux instances politiques et administratives différentes et peut être prochainement deux responsables différents.
    Enfin, de leur côté, les élus, devenus pour une bonne part d’entre eux des « professionnels de la politique », entretiennent des relations différentes avec l’administration. Celle-ci doit désormais travailler avec des élus présents, exigeants et connaisseurs, qui souhaitent choisir entre plusieurs solutions sur la base de critères précis, de coûts, de délais. De ce point de vue, le renouvellement générationnel annoncé à Rennes ne devrait avoir que peu d’incidence sur ce mode de fonctionnement en cas de victoire de la majorité municipale actuelle, car force est de constater que la plupart des jeunes successeurs possibles du maire sortant et de son équipe ont déjà l’expérience d’un ou deux mandats, exercée avec une délégation importante ».