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Dossier
#32
RÉSUMÉ > Amoureux des marchés, le chef étoilé Sylvain Guillemot sillonne quotidiennement ceux de Rennes et de Betton pour sa cuisine de l’Auberge du Pont d’Acigné. Son préféré ? Le marché Sainte-Thérèse, le mercredi. Une course contre la montre pour sélectionner les meilleurs produits avant le coup de feu de midi.

     Il arrive au pas de course dans la fraîcheur matinale, des cagettes solidement arrimées à son diable, un énorme mug de café à la main. Première étape : le minuscule stand d’Anjemi, laotienne installée à Rennes depuis 40 ans. L’unique table déborde de citronnelle, de feuilles de citrouille, de légumes exotiques… Un concentré d’Asie cultivé à Châteaugiron, dans le jardin familial. Sylvain Guillemot s’élance avec intérêt sur de grandes feuilles aux teintes violacées. « De l’amarante ! » s’enthousiasmet- il. « Vous les faites chauffer avec un peu de beurre, ou vous les mangez crues comme une salade », explique le chef. Il ne tarit pas d’éloges sur la citronnelle d’Anjemi, chez qui il se fournit depuis des années. Lorsqu’on interroge ce petit bout de femme sur la satisfaction de travailler pour un restaurateur réputé, celle-ci ouvre des yeux ronds. « Ah bon ? Il a un restaurant ? », s’étonne-t-elle, pas impressionnée pour un sou. Sylvain Guillemot fouille ses poches pour régler son dû, mais point de monnaie. « Je vais aller taper mon banquier ! », sourit-il. En l’occurrence, il s’agit aujourd’hui de Vincent Bocel, fameux maraîcher pacéen1 avec qui l’étoilé collabore depuis plus de 15 ans. Expert, le chef se sert lui-même sur les étals. Il sent le persil, croque une tomate, accumule radis et carottes… « Septembre est une période bénie. On peut continuer à faire des recettes du soleil mais avec un petit côté coin du feu grâce à l'arrivée des légumes d'automne ». Face à ce tourbillon volubile, le maraîcher reste zen et sert posément ses clients. « Il y a un retour des restaurateurs sur les marchés », témoigne-t-il, « on n'en avait que quatre ou cinq il y a dix ans, ils sont beaucoup plus nombreux depuis cinq ans. C'est une bonne chose ». La raison ? Le bouche-à-oreille entre chefs. « Ils se connaissent tous. Et quelqu’un comme Sylvain a beaucoup travaillé dans ce sens ». Le patron de l’Auberge du Pont d’Acigné admet cependant qu’un cuisinier n’est pas le plus facile des clients. « On peut être casse-pieds… », sourit-il, « mais surtout on peut menacer l'équilibre financier d'un producteur. Car quand on aime un de ses produits, on veut tout ». « C'est vrai qu'il est exigeant, mais c'est grâce à cela qu'il a eu sa deuxième étoile au Michelin », tempère Vincent Bocel. Sur l'aspect financier, le producteur acquiesce : « c'est très rare qu'on lui réserve l'exclusivité d'un produit. Il n'est pas à l'abri d'un pépin et nous non plus, donc on ne met pas tous nos oeufs dans le même panier ».

Crevettes vivantes et bataille autour des fraises

     Le temps file et sur le diable du chef, les cagettes s’empilent. C’est à grandes enjambées que Sylvain Guillemot se faufile dans les allées. Fromage bio, palourdes, rouget issu de la pêche nocturne, crevettes vivantes… Toutes ces provisions serviront pour les menus du jour et du lendemain midi. « Certains produits correspondent à ma carte, d’autres sont des achats de prévision. Ma carte, elle ne change jamais tout en changeant tout le temps, car je m’adapte à la saisonnalité locale. L’avantage du marché, c’est qu’on a un temps d’avance sur les fruits et légumes. Tandis qu’avec un grossiste, ils ne vous arrivent qu’en pleine saison quand c’est presque trop tard », détaille le cuisinier. Il s’arrête soudain sur un petit stand. Trois tréteaux serrés sous un parasol : le domaine de Lulu, retraité de PSA, et de sa femme. Le couple cultive en famille à Goven produits locaux et asiatiques. Et c’est peu dire qu’ils ont du succès : retraitées, mères de famille africaines ou asiatiques et chefs s’y bousculent. La bataille du jour ? Les fraises, parfaitement juteuses et sucrées. « Je suis arrivée trop tard », se lamente Sylvain Guillemot. Il sauvera tout de même quelques barquettes, ainsi que des pommes de terre, du basilic ou encore du man-phao – une sorte de racine au goût sucré. « Ce marché est populaire et multiculturel, en termes de maraîchage il est hallucinant », s’épate-t-il. Mais l’heure sonne pour le cuisinier, qui doit retourner à ses fourneaux. À l’Auberge, son équipe est déjà au travail en cuisine et va recevoir sous peu par téléphone les instructions du chef concernant les achats du jour. Celui-ci, en attendant, est en train d’empiler ses cagettes dans le frigo installé à l’arrière de son utilitaire. Accroché à l’une d’elles, le mug de café à peine entamé termine, lui aussi, son périple dans la chambre froide.