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Initiatives urbaines
#31
RÉSUMÉ > Marc Dumont est professeur en urbanisme et aménagement de l'espace à l'Université Lille 1 - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.

Paris veut habiter ses ponts et rénove ses gares

     Paradoxal Paris ! Ville patrimoniale, vieillissante et essoufflée, la capitale n’est pourtant jamais à court d’idées et de projets. Après l’épisode des municipales où chaque candidate y allait de sa petite idée, voici deux nouveaux projets de ponts habités par des résidents et des activités commerciales, franchissant la Seine, et qui pourraient bien voir le jour d’ici à quelques années. L’objectif serait ainsi de relier deux arrondissements de l’Ouest (15e et 16e) et deux de l’Est (12e et 13e) par des ouvrages d’art d’une ampleur plus modeste que les grandes tours, mais pas moins intéressants. L’idée qui débute actuellement par un appel à projets n’est pas si étonnante que cela dans une ville dont on oublie qu’elle fut traversée par plus d’une dizaine de ponts habités au Moyen-Âge.
    Toujours à Paris, et après l’impressionnant projet de rénovation et refonte de la gare Saint-Lazare, c’est la gare du Nord qui se lance dans sa propre transformation avec l’objectif ambitieux de concurrencer la gare londonienne de Saint-Pancras, pas moins ! Plus de 500 000 voyageurs y transitent quotidiennement sans que l’image de la gare ne s’en ressente vraiment. Le programme d’action prévoit donc d’abord une vaste opération de nettoyage des murs et vitrages datant de 150 ans, puis la création d’un nouveau terminal pour l’Eurostar, l’implantation d’un centre d’affaires ainsi que de nouveaux commerces, sans oublier d’améliorer la lisibilité et le repérage pour les voyageurs. De quoi confirmer que les gares restent bien un des hauts lieux principaux de la vie urbaine !

     En matière de centres commerciaux, l’Émirat de Dubaï poursuit sa course à la démesure avec un nouveau projet calibré dans la perspective de l’Exposition universelle de 2020, qui devrait attirer quelque 25 millions de visiteurs. Après le « Dubaï Mall » de 800 000 m2, le « Mall of the World » sera dédié au tourisme, au loisir et au shopping. Ce centre gigantesque a été pensé à l’échelle de tout un quartier avec des allées-promenades couvertes de plusieurs kilomètres de long et qui pourront relier les différents bâtiments été comme hiver. Ses quelque 750 000 m² s’étendront sur un vaste secteur de 450 hectares. L’offre, au-delà des boutiques, comprendra également un parc de loisirs géant (sous un dôme) et 100 hôtels offrant près de 20 000 chambres aux touristes. L’ensemble proposera aussi le plus grand centre des congrès des Émirats Arabes Unis, et un « centre de célébration » capable de recevoir 15 000 personnes pour une fête. Côté arts et spectacles, le « Mall of the World » se pose en rival des quartiers des théâtres de New York (Broadway) et de Londres (West End) ! On y trouvera aussi un « Quartier du bien-être », dédié au tourisme médical… L’univers géant de ces parcs d’attractions globalisés, qui repose presque exclusivement sur les transports aériens, laisse tout de même bien songeur sur la pérennité d’un tel modèle.

     Si les promesses et prophéties des smart cities (improprement traduites en français par « villes intelligentes ») ne sont pas toujours très convaincantes, et laissent présager d’une vie citadine plus ennuyeuse qu’autre chose parce que sur-contrôlée et ne laissant aucune place à l’imprévisible, l’hypertechnologisation des villes est porteuse d’autres horizons. Aux États-Unis, l’Université du Michigan vient de se lancer dans la construction d’une ville entièrement dédiée à des véhicules sans chauffeurs, dénommée « Mobility Transformation Facility ». Cet univers urbain expérimental sera équipé d’une autoroute à quatre voies, de ronds-points, de feux de circulation, d’une voie ferrée… Objectif de cette drôle de ville : proposer un maximum de situations diverses aux véhicules en test, tous les éléments pouvant être programmés ou actionnés indépendamment pour tenter de perturber les systèmes autonomes des voitures. Le complexe devrait aussi permettre à l’Université du Michigan de développer un système de communication entre les véhicules et leur environnement. On imagine sans difficulté de possibles associations avec la firme Google qui vient d’obtenir une accréditation lui permettant d’introduire ses voitures autonomes dans le trafic normal. La France n’est pas en reste : elle ouvrira ses routes aux voitures autonomes dès 2015, dans le cadre d’un projet lié à l’opération « Nouvelle France industrielle », lancée par le Ministère de l’Économie, en partenariat avec les constructeurs automobiles. Ces derniers devront toutefois affronter la nécessaire adaptation de la législation, du code de la route et des zones de test…

     Même démarche en Israël, où, à Tel-Aviv, les autorités publiques déploient un projet pilote de transport urbain étonnant : le réseau SkyTran, hybride de transport en commun et de voiture, permettant de circuler… au-dessus des embouteillages ! Ce projet aux allures futuristes pourrait bien se concrétiser grâce à cette entreprise californienne basée au centre de recherche de la NASA, (NASA Research park). SkyTran consiste en des capsules de deux à quatre personnes propulsées par une force électromagnétique, suspendues à un rail et pouvant se déplacer jusqu’à 100 km/h. L’objectif est de créer un réseau au-dessus du trafic routier existant, des pylônes permettant de porter les câbles-rails où s’accrochent les capsules. En plus de permettre le désengorgement des centres-villes, ce projet comporte des arguments de taille : la consommation électrique sera quasi-nulle grâce à la propulsion électromagnétique, et sa construction très peu onéreuse (7 millions de dollars au kilomètre, contre 30 millions pour un tramway). Aux États-Unis, d’autres villes expérimentales ou « villes modèles » devraient voir le jour pour tester des systèmes permettant d’optimiser tous les usages des fréquences sans fil qui tendent aujourd’hui à saturer : difficile de s’y retrouver, parfois, entre les bornes wifi, les objets connectés, les téléphones mobiles ! La tâche colossale de mutualisation des fréquences est un aspect invisible mais pourtant essentiel de la gestion urbaine.

     Alors que le déploiement d’éoliennes suscite systématiquement l’opposition d’associations et de résidents, cette initiative de Morbihannais prend le contre-pied des grincheux. Près de 1 000 habitants de la commune de Béganne viennent en effet de se rassembler pour investir 12 millions d’euros et s’offrir un parc éolien de 4 turbines, qui vient d’être inauguré après un an de travaux. L’initiative est passionnante : à la suite des expériences menées en Allemagne et en Europe du Nord, une société coopérative a d’abord été constituée. Celle-ci a un mode de fonctionnement très particulier puisqu’elle est composée de plusieurs collèges regroupant une société d’investissement dans les énergies renouvelables, des habitants, des acteurs de l’économie sociale… En termes de financement, chaque habitant a apporté environ 2 000 euros, le solde étant couvert par les organismes bancaires partenaires. Côté technique, la mise en oeuvre des éoliennes n’a pas duré plus d’un an et va permettre de desservir plus de 8 000 foyers, moyennant un confortable bénéfice de près de 2 millions d’euros/an. Un succès pour cette opération qui pourrait faire des émules sur d’autres territoires, notamment en Loire-Atlantique.

     Décidément, tout bouge dans le monde de la mobilité urbaine ! C’est d’abord le concept de la location de voitures entre particuliers, véritable adaptation du phénomène AirBnb à l’automobile, qui connaît de manière croissante un franc succès au point d’inquiéter, après les hôtels, les grands groupes de location de voitures. Mais ce sont aussi des initiatives, certes plus modestes mais pas moins intéressantes qui méritent d’être soulignées, comme ces expérimentations menées dans le Nord de la France sur le réseau Arc-en-ciel où des vélos pliants sont mis à disposition de certains abonnés longue durée.
    Ce système dit « V-Nord » propose ainsi de disposer d’un vélo portable et donc disponible dès la sortie de son bus sur deux lignes du réseau. Le projet est le résultat d’une initiative de concertation avec les usagers (ateliers citoyens), à laquelle s’ajoutent des actions destinées à soutenir les déplacements piétons sur Dunkerque, et mettre en place du transport à la demande. Bien sûr, de telles initiatives sont limitées dans leur portée : on imagine mal 45 passagers d’un bus monter ensemble avec leur vélo pliant… Mais qu’à cela ne tienne, pour eux Arc-en-ciel aurait sans doute d’autres cartes en réserve ! Soulignons en effet cette intelligente action de l’opérateur mettant à disposition d’une résidence gérée par un bailleur social à Marcq-en-Baroeul et à Loos, deux véhicules électriques en autopartage. Ingénieux, quand on sait que les ressources économiques constituent encore un discriminant fort dans l’accès à une mobilité autonome.

Vers des villes à génération spontanée ?

     À Londres, un concept d’un nouveau genre est en train de voir le jour. On connaît bien l’architecture organique imaginée par Louis Sullivan, l’un des grands représentants de l’École de Chicago à l’origine de l’invention à la fin du 19e siècle des nouveaux procédés constructifs des buildings. On connaît aussi l’architecture dite biomimétique, qui se cale sur les mécanismes du vivant. Et c’est un petit peu le mélange de tout cela que l’on retrouve dans cet étonnant appel à projet dans la capitale britannique afin d’imaginer un « gratte-ciel organique » capable de grandir chaque année ! Non pas, certes, au fil de sa vie, mais davantage en fonction de la demande immobilière et de la capacité d’investissement. Sauf que l’agence parisienne Chartier-Corbasson Architectes a effectivement pris très au sérieux l’appel à réflexion et pensé un ingénieux édifice basé sur des étages de bureaux évolutifs et qui pourrait aussi produire le matériau nécessaire à sa croissance ! L’équipe d’architectes a ainsi repéré que la population d’une tour produit en une année suffisamment de déchets recyclables pour réaliser une surface de façade équivalente à celle qu’elle occupe : on pourrait ainsi autoproduire des panneaux isolants à partir des bouteilles de plastiques vides et des papiers usagés permettant de préparer l’extension en hauteur.
    Hélas, pour les façades de verre extérieures, il faudra trouver cependant d’autres moyens : il est impossible techniquement pour le moment de produire du verre de construction à partir du verre recyclé. La tour organique serait alors capable de s’auto-générer « comme le corail » puisque la matière récupérée viendrait s’agglomérer sur un squelette en tubes en acier, sorte de mikado évoquant les échafaudages asiatiques en bambou. La prouesse en en tout cas est très intéressante en ce qu’elle ouvre les voies de réflexion vers un urbanisme « adaptatif » ; de là à se diriger vers des villes à génération spontanée, il n’y qu’un (grand) pas !

     Ce sont de toutes petites initiatives qui viennent un peu renouveler le design urbain dont on peut parfois regretter qu’il tende à se faire générique dans nos villes, avec d’abord cet étonnant Vélopark pensé par Marion Steinmetz. Ce garage à vélo, conçu à partir de plastique et d’acier, a obtenu le prix du Design Durable organisé sous l’égide de Coca-Cola en 2012, un prix dont l’objectif est de créer un objet utile, original et innovant à partir d’emballages de produits de grande consommation. L’objet proposé par la designer est un garage à vélo fabriqué à partir de canettes métalliques et de bouteilles en polyéthylène recyclable pour un bac à fleurs additionnel. Concept Urbain, une société tourangelle intéressée par l’objet, vient de signer avec elle un partenariat visant à le développer en ville. Voilà une idée ingénieuse permettant d’offrir un débouché direct aux recycleurs ! Dans la même veine, citons cet étonnant « arbre à vent », censé produire de l’énergie en ville. Les « feuilles » de cet arbre, créé par son inventeur, Jérôme Michaud-Larivière, sont en réalité des mini-éoliennes capables de produire de l’électricité avec leurs mini-turbines ! Le créateur a depuis monté sa propre entreprise et la commercialisation des premiers arbres électroniques vient de débuter à Pleumeur-Bodou, dans les Côtes d’Armor.