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Initiatives urbaines
#32
RÉSUMÉ > Marc Dumont est professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’Université Lille 1 - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.

     Les espaces en friche n’ont pas disparu de certaines grandes villes, notamment dans le Nord ou en région parisienne. Des zones, fascinantes, qui restent cependant difficilement urbanisables du fait de leur importante pollution. Qu’à cela ne tienne, si des écoquartiers choisissent de se construire sur ce genre de terrain en faisant l’économie d’une complète dépollution, les ingénieux concepteurs de cette ferme verticale dans les Yvelines à Saint-Cyr-l’École ont eu, eux, une belle idée. Leur projet des Fermes de Gally, soutenu par Veolia et l’association Sol Paysage, consiste à mettre en oeuvre sur environ 4 hectares une production maraîchère entièrement… hors-sol, incluant des jardins partagés hors-sol eux aussi, et une petite ferme pédagogique. En lieu et place de la terre polluée, on trouve un substrat composé de la taille des haies des nombreuses communes périurbaines alentour. À la clé, un vrai petit projet d’économie circulaire et de circuit court.
    D’une tout autre ampleur, la fameuse grande friche des anciennes usines Renault à Billancourt s’apprête à accueillir un projet enfin consensuel. Conçu par le prestigieux architecte japonais Shigeru Ban, lauréat du prix Pritzker 2014, le village musical qui va être réalisé sur l’Île Séguin est une cité musicale départementale, mais de grande ampleur. Il se composera d’un auditorium de 1 000 places, d’une très grande salle de spectacle, de locaux pour la Maîtrise des Hauts-de-Seine, de studios de répétition et d’enregistrement et, bien entendu, de quelques espaces commerciaux et de restauration. Symbole de l’opération, l’auditorium sera réalisé comme une coque en bois, à la pointe de l’Île, avec une voile de 1 000 m² équipée de panneaux photovoltaïques, de quoi faire envoler dans les airs (de musique) un site à la lourde histoire industrielle ! L’ensemble prend place dans l’aménagement général de l’île dont la maîtrise d’ouvrage est pilotée par la société d’économie mixte Val de Seine Aménagement.

     Une petite touche d’autosatisfaction bien française ? On y succombe, après le premier marché remporté par Bouygues pour construire les deux tunnels de métro à Hong Kong, à travers ses filiales Dragages Hong Kong et Bouygues Travaux Publics. Le contrat de près de 500 millions d’euros vise à construire deux tunnels Est/Ouest faisant partie des grands projets d’infrastructure en cours dans la ville et qui assureront la liaison entre des sites touristiques et le quartier d’affaires. Tous deux relieront les stations « Exhibition » et « Admiralty », avec des ouvrages importants de ventilation. Le savoir-faire du champion tricolore est reconnu pour sa capacité à mener des travaux souterrains au fil de projets techniquement complexes, en s’adaptant aux géologies les plus variées. La ligne Shatin to Central Link, longue de 17 km, est destinée à améliorer l’ensemble du réseau ferroviaire de Hong Kong en reliant différentes lignes existantes, permettant de réduire de 40 % le temps de trajet entre le centre et ces quartiers périphériques.
    Autre succès international, celui de la RATP qui prend pied sur le marché des promenades touristiques dans les bus à impériale, à New York. La compagnie des transports publics parisiens exploite en effet depuis mai dernier une quinzaine de bus avec deux itinéraires à Manhattan. Baptisé Open Loop, ce service emploie désormais une soixantaine de salariés et vise une fréquentation de 200 000 personnes par an. Une RATP décidément très présente sur ce créneau puisqu’elle vient aussi de faire l’acquisition… des bus touristiques londoniens ! Désormais, The Original London Sightseeing Tour est propriété de la filiale RATP Dev, et bénéfice à son tour d’un savoir-faire que la compagnie a expérimenté à Paris. Cette fois, à Londres, c’est un marché de 90 bus, et près de un million de voyageurs… Cocorico !

     Ces mois-ci, on peut mentionner le projet des célèbres et toujours originaux architectes suédois du groupe BIG, retenus pour la réalisation d’un nouveau musée (privé) d’horlogerie en Suisse. Le cabinet de ces jeunes architectes est connu pour de multiples réalisations, ainsi que pour leur ouvrage « Yes is more », manifeste architectural tout en bandes dessinées. A l’issue d’un concours international, BIG a convaincu le jury avec son projet tout en spirale, qui n’est pas sans rappeler la forme circulaire des montres. Ce nouveau bâtiment de 2 500 mètres carrés viendra offrir une spectaculaire extension au musée déjà existant de la maison Audemars Piguet, créée il y a plus de deux siècles. Il va permettre d’exposer près de 2000 modèles de montres, mises en scène au milieu des ateliers et des espaces d’archives.
    Quant aux cabinets Dutch Docklands et Waterstudio, ils viennent de concevoir un hôtel flottant sur l’eau en verre et en forme de cristal de glace : l’hôtel Kristall. Située au beau milieu des fjords, la structure permettra de contempler les aurores boréales en toute tranquillité. Ce complexe 5 étoiles accueillera près de 90 chambres de luxe, des spas, des salles de conférences, forcément très reposantes dans un tel environnement éloigné des villes et de leurs lumières nocturnes. À 300 € la nuit, on pourra de même ajouter qu’il s’agira d’un luxe urbain, nécessitant un déplacement en bateau pour s’y rendre.

     Depuis début septembre, à Quimper, le bus est gratuit le samedi matin ! La communauté d’agglomération quimpéroise vient de lancer cette expérimentation pour tenter de donner un second souffle à son centre-ville. Cette mesure fait suite au dernier changement de municipalité et à l’abandon plutôt radical de projet de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) qui s’est ensuivi et qui devait desservir toute la rive de l’Odet, économisant du même coup 40 millions d’euros. L’initiative s’accompagne d’une série d’autres mesures, comme la gratuité des parkings publics entre 17 h 30 et 18 h 30, la diminution de l’abonnement aux parcs relais situés en périphérie et le maintient du tarif social. La gratuité totale de la journée n’est cependant pas envisagée, car elle aurait tendance à inciter à un moindre respect du matériel. Grand succès en tout cas, puisque sur le QUB (Quimper Bus/Keolis) qui gère l’ensemble des huit communes de l’agglomération, le nombre de billets vendu à l’unité aurait doublé depuis.
    Autre démarche, toujours dans la veine des expérimentations incitant à se déplacer autrement qu’en voiture : Grenoble vient de lancer une offre de microvoiture électrique en autopartage sur le territoire de l’agglomération, la Métro. 27 stations ont été implantées avec 120 points de recharge pour permettre aux futurs usagers des « i-Road » et « Coms » de circuler en ville. L’innovation est, du moins en apparence, pleine d’avantages : les usagers ne sont pas tenus de rapporter les véhicules au point de départ, ils bénéficient également d’un tarif préférentiel s’ils sont déjà abonnés au service de vélo en libre-service ou de TER sur le département. Le coût est, il est vrai, plutôt très compétitif : 3 € pour le premier quart d’heure, 2 € pour le second, et 1 € pour les suivants. Reste à se familiariser avec le nom du nouveau service : « Cité Lib by Ha:mo ». Ha:Mo signifiant Harmonious mobility !

     Mais à qui appartiennent les villes ? Un peu brutale, la question prend tout son sens à l’heure où l’on réfléchit à la relance d’une citoyenneté urbaine. Impossible, donc, de ne pas être interpellé par le cas de cette grande rue chic de Londres, qui vient d’être rachetée par la Norvège. Le fonds souverain norvégien Norges Bank Investment Management vient en effet de racheter pas loin de 14 hectares du quartier de Mayfair, dont la célèbre Savile Row, pour un montant de plus de 400 millions d’euros. L’acquisition a été faite auprès de l’Église d’Angleterre, encore détentrice d’un important patrimoine immobilier dans la métropole londonienne. Et dans le périmètre de l’acquisition se trouve donc Savile Row, la célèbre rue où se donnent rendez-vous tous les tailleurs de luxe de Londres. Près de 90 concurrents étaient cependant en lice et le fonds a donc fait alliance avec le Crown Estate, le principal portefeuille immobilier de la couronne britannique. Ce petit quartier est constitué de 43 propriétés, dont de nombreuses galeries d’art et de grandes enseignes de luxe (Burberry, Chopard, Vivienne Westwood…). Le fonds d’investissement n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Il a déjà investi à New York, Boston, San Francisco et Zurich.
    C’est en revanche un scénario inverse qui se joue en Sicile : faute de trouver des acquéreurs, un petit village met en vente ses maisons abandonnées pour 1 euro symbolique. La petite commune de Gangi, aux pieds du volcan Etna, connaît en effet un phénomène important de dépeuplement, doublé de la chute des prix de l’immobilier en Italie (moins de 10 % cette année). La démarche a été lancée par les pouvoirs publics locaux, et cible directement les acquéreurs étrangers. En contrepartie, ces derniers – sans doute des Européens du Nord en quête de soleil –, devront s’engager à rénover les vieilles propriétés très dégradées dans un délai de 5 ans, le coût des rénovations pouvant atteindre 30 000 €. Alors, vivre à Londres ou au soleil ?

     Géniale, cette idée d’une petite association helvétique ! Pumpipumpe, un nom facile à retenir pour se rendre sur le site internet dédié, permet de récupérer des autocollants pour des objets dont chacun dispose chez soi mais jamais au complet. Le jour où il vous manque une tondeuse à gazon, un ouvre-boîte, une pompe à vélo, un livre, une machine à café, voire un vélo, vous pourrez, grâce à ces autocollants, contacter votre voisin et lui emprunter quelques heures le bien convoité. L’initiative est soutenue par la ville de Berne qui invite donc les résidents à placer ces stickers sur leur boîte à lettres, avec des pictogrammes qui indiquent les objets dont ils disposent et qu’ils peuvent prêter à leurs voisins.

     Strasbourg rejoint le club des villes qui ont désormais recours au chauffage issu du recyclage des eaux usées (génération de biogaz). L’équivalent de 5 000 logements basse consommation y seront donc bientôt chauffés grâce au procédé de la méthanisation, à partir des eaux usées. Le procédé existe déjà, mais il s’agit cette fois de créer un biométhane de haute qualité en retirant le gaz carbonique des stations d’épuration puis en l’injectant dans le réseau de gaz naturel urbain. Le gaz issu habituellement du traitement des eaux usées dans les usines d’épuration contient encore beaucoup de gaz carbonique, il s’agit donc d’achever la chaîne de production en le purifiant complètement. Toujours dans ce domaine de la transition énergétique, mentionnons aussi une petite école très écologique, à Bali. Imaginée par deux enseignants, cette « Green School » associe une construction écologique à des enseignements sur le développement durable. Le bâtiment a été entièrement réalisé en bambou - matériau pratique permettant une construction rapide - selon des plans assurant une bonne circulation de l’air dans les classes, il dispose de panneaux solaires et d’une centrale hydraulique lui assurant une autonomie énergétique complète.