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Dossier
#07
Précarité énergétique : Au-delà de l’inconfort des causes multiples
RÉSUMÉ > La ville durable n’est pas simplement une ville moins gourmande en carbone et plus respectueuse de l’environnement ; elle interroge notre sens de la justice et de la solidarité. Dans un monde où les énergies seront devenues plus rares et plus chères, se posera avec force la question de l’accès et du partage de ces ressources. Ce qui nous invite déjà à considérer avec plus d’attention les ménages en situation de précarité énergétique.

     Dans son rapport, le groupe de travail « précarité énergétique » du Plan Bâtiment Grenelle définit une personne en situation de précarité énergétique comme « une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources et de ses conditions d’habitat ».

     La « précarité énergétique » touche en France 3,4 millions de ménages : 13 % des ménages consacrent plus de 10 % de leur revenu disponible à l’achat d’énergie à usage domestique . 87 % des ménages en situation de précarité énergétique occupent un logement dans le parc privé, 72 % habitent en maison individuelle, 62 % sont propriétaires occupants et 55 % ont plus de 60 ans. Rennes et la Bretagne n’échappent pas à cette réalité. Plusieurs facteurs concourent à la précarité énergétique : la faiblesse des revenus du ménage, la mauvaise qualité thermique du logement et le coût des énergies. 

     Si la définition de la précarité énergétique proposée plus haut est essentielle, elle ne permet pas aux professionnels  d’accompagner pleinement les ménages. D’autres facteurs participent à la construction des situations de précarité énergétique. Pour saisir cette forme de précarité, il faut replacer la personne dans une trajectoire résidentielle, identifier ses ressources, mais aussi interroger le rapport que celle-ci entretient avec son habitat. Il est important de ne jamais dissocier la personne de l’environnement social et technique qui constitue son « écosystème ». Dans cette perspective, au cours de réunions organisées à Rennes et à Nantes, nous avons construit deux outils pour permettre aux professionnels des Pact de Bretagne et de Pays de la Loire de mieux identifier les situations auxquelles ils doivent faire face.
     Nous avons identifié quatre ressources principales mobilisées pour habiter un logement :
     - L’habitant dispose d’un logement qui constitue en soit une ressource technique de qualité thermique variable.
     - Il dispose aussi de ressources économiques et financières sous forme de revenus réguliers ou de capitaux pour pourvoir au bon fonctionnement de son logement ou envisager des travaux d’amélioration de celui-ci.
     - L’habitant mobilise aussi son corps, son énergie, ses « ressources physiques » pour pourvoir au quotidien : « faire son bois » par exemple. L’affaiblissement des ressources physiques, la maladie ou le handicap impose des transformations de l’habitat et des manières d’habiter.
     - Il dispose enfin de « ressources humaines » : son entourage, ses proches, conjoints, enfants, parents, voisins… qui peuvent, par exemple, « donner un coup de main » pour « retaper » une maison ou tirer le signal d’alarme auprès des services compétents pour « signaler » une situation de précarité. Par analogie avec le Diagnostic de performance énergétique (DPE), nous pouvons imaginer une étiquette en forme de double pyramide qui associe ces différentes dimensions.
     Les situations de précarité apparaissent lorsque les ressources sont insuffisantes sur plusieurs versants de cette pyramide. L’important est de pouvoir compenser la diminution de l’une de ces ressources par l’apport d’autres ressources. Par exemple, une bonne condition physique et la présence de proches entreprenants permettent d’envisager de recourir à l’auto-construction pour améliorer la performance thermique de son logement.
     Mais dans un certain nombre de circonstances, l’ensemble de ces indicateurs « passent au rouge ». Les situations de changement et de rupture exposent particulièrement les personnes aux revenus modestes. Le départ du foyer familial et l’éloignement géographique, la perte d’emploi, la séparation conjugale, la maladie ou le handicap, le décès de l’un des membres du couple… rompent les fragiles équilibres. Les situations de soudaine dépendance font apparaître, en milieu urbain comme en milieu rural, des situations de dénuement et de précarité énergétique jusqu’alors peu visibles. Les tensions extrêmes des marchés immobiliers tendent à rendre plus « durables » des situations de précarité énergétique qui ont pour origine ces changements ou ces ruptures. Les personnes aux revenus modestes sont alors captives d’un logement de médiocre qualité.

     Mais ces ruptures ne suffisent pas à comprendre certaines situations rencontrées par les professionnels des Pact de Bretagne et de Pays de la Loire. Paradoxalement, la précarité énergétique n’est pas toujours synonyme d’inconfort ou d’insuffisance de chauffage. Il faut parfois en rechercher les causes plus en profondeur. La qualité du logement n’est pas toujours en cause. Certains usages participent à la dégradation du logement ou des équipements. Ces situations de rupture se doublent parfois de troubles ou de pannes de la capacité de la personne à habiter. Nous avons construit un deuxième outil en forme de radar pour les identifier.

     Attachement compulsif aux lieux et aux objets
     Habiter, c’est déposer une somme d’habitudes dans un espace ou dans un lieu qui devient ainsi familier. Mais il faut aussi savoir se défaire de ses habitudes. Ce jeu qui consiste à créer de la rupture dans un monde d’habitudes peut se gripper. On stocke, on entasse, on s’attache aux lieux et aux objets. Tout changement est vécu de manière angoissante, tout déménagement est un déracinement ou une amputation de soi. Il est alors difficile d’envisager des travaux de rénovation ou plus simplement d’amélioration du logement.

     Incompréhension des modes de fonctionnement
     L’habitant ne parvient pas toujours à lire, à décoder et à comprendre son environnement technique. Le mode d’emploi des objets et des équipements semble parfois lui échapper (il chauffe en laissant les fenêtres ouvertes, par exemple). Ces usages qui peuvent conduire à des sur-consommations sont jugés bien peu raisonnables par les professionnels.

     Dégradation de l’image de soi
     Le logement est aussi le lieu de la mise en scène de soi. Il est par définition le chez-soi qui permet de donner à voir à travers l’aménagement, l’agencement et la décoration intérieure de son logement quelque chose de soi. Par ses travaux domestiques de mise en ordre et d’entretien, l’habitant construit son chez-soi et gère dans le même temps son image. Cet acte fondateur du logis qui consiste à mettre de la distance, à établir de la frontière entre le dedans et le dehors, entre le monde des hommes et le monde des animaux, semble parfois altéré.

     Fermeture sur soi
     La construction du chez-soi et la maîtrise de son image posent la question du rapport à l’autre. L’habitant établit des frontières pour marquer la limite entre le dedans et le dehors. Il filtre les entrées dans son intérieur. Certains habitants cherchent à effacer la frontière pour faire de leur maison une « auberge espagnole ». D’autres tentent, au contraire, de contrôler, de réduire, de durcir, les points de passage qui mènent à leur intérieur. Ils bouchent les ventilations, ferment fenêtres et volets… Leur logement prend alors la forme d’un blockhaus. Les conditions de ventilation du logement se dégradent laissant apparaître des désordres.

     Déni de responsabilité
     En cas de panne ou de dysfonctionnement (apparition de moisissures, présence d’humidité, consommations jugées excessives…) se pose la question de la responsabilité : qui de l’homme ou de la technique a fait preuve de défaillance ? La responsabilité est très souvent partagée, mais les professionnels du Pact observent parfois de la part de certains utilisateurs un déni de responsabilité. La faute est alors systématiquement rejetée sur la technique et sur le bailleur lorsque l’occupant est locataire. L’occupant « braconne » parfois la technique, créant des dysfonctionnements et des désordres plus importants.

     En croisant ces différentes variables, nous voyons apparaître des profils contrastés comme l’illustre le graphique de la page 23. L’avancée en âge, l’isolement social conduisent progressivement à un repli sur soi dans un logement ancien, sans confort, de très médiocre qualité parfois insalubre. L’absence de moyens financiers ou la qualité du bâti ne suffisent pas à expliquer cette situation de précarité. Un « bas de laine » qui permettrait la réalisation de travaux d’amélioration de l’habitat sommeille parfois sous le matelas. Mais lorsque le logement n’est qu’un refuge pour la nuit ou pour l’hiver, sa modestie ou sa mauvaise qualité n’apparaissent que lorsque l’âge piège les personnes à leur domicile. Le logement ne permet pas alors de compenser un corps déficient.
     C’est bien sur le logement et auprès de la personne qu’il faut agir pour réduire la précarité énergétique et construire une ville plus durable.