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Contributions
#15
RÉSUMÉ > L’Ouest a échoué dans la course aux initiatives d’excellence. Son projet multi sites en réseau correspondait bien à son histoire, mais n’a pas été compris à Paris. Il faut transformer cet échec en ambition collective à l’échelle de l’Armorique, cet ensemble réunissant les Pays de la Loire et la Bretagne.

     L’Ouest ne figurera pas dans le paysage des Initiatives d’excellence (Idex), labellisées par le gouvernement dans le cadre des investissements d’avenir. Le projet « IC West » déposé par les universités et les grandes écoles de Bretagne et des Pays de la Loire n’a pas été retenu. Un échec est un échec, il serait absurde de le masquer. Il doit être l’occasion d’un rebond collectif et d’un débat qui ne se limite pas à analyser l’échec d’un dossier construit dans l’urgence pour répondre à un cahier des charges précis, mais explore à fond les futurs possibles de l’enseignement supérieur et de la recherche dans nos régions.

     L’Ouest pouvait-il gagner? Il ne se battait pas à armes égales. On lui a infligé une course à handicap quand d’autres accéléraient sur terrain plat. Le gouvernement s’est enfermé dans le dogme de la concentration des forces et du site unique ce qui fermait la porte au projet en réseau proposé par les universités armoricaines.
     L’histoire universitaire de l’Ouest était difficilement compatible avec un tel schéma. En-dehors de Rennes, nos universités sont jeunes et leurs moyens limités. L’Ouest souffre également d’un niveau insuffisant de la recherche publique et privée. Le tissu des PME, dominant dans l’économie, n’investit pas assez dans la recherche et développement. Les organismes nationaux de recherche sont trop faiblement présents ce qui rend difficile la conquête de leadership nationaux en-dehors de la thématique maritime marquée par la forte implantation d’IFREMER. Pour autant la recherche est de grande qualité, en progrès continu comme en témoignent les récentes évaluations de l’AERES3, et souvent reconnue au niveau international.
     Enfin, la structuration régionale et interrégionale était trop récente pour déboucher sur un projet suffisamment crédible dans sa capacité à se transformer rapidement en un collectif homogène, capable de faire des choix et de déployer une stratégie unique impliquant l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) n’ont été créés dans nos deux régions qu’en 2007 et 2008; la réflexion interrégionale n’a débuté avec le lancement de l’appel à projet Idex en 2010.
     Le travail et les progrès réalisés par les universitaires et les chercheurs dans ces délais sont pourtant considérables et représentent une promesse d’avenir. De cet échec annoncé peut naître une nouvelle ambition collective qui permette à l’Ouest de recoller au peloton de tête dans les prochaines années. Il nous faut pour cela réunir trois conditions : une autre politique nationale, une clarification de nos choix d’organisation territoriale, et une mobilisation forte dans chacune des régions.

     Si on n’y prenait garde, Nicolas Sarkozy pourrait faire passer sa politique universitaire comme la grande réussite de son mandat. Rien n’est plus faux. L’autonomie des universités reste une bonne idée, mais ses conditions de mise en oeuvre sont catastrophiques. Confrontées à des transferts de charges non compensées et à une absence de soutien à la structuration de leurs nouvelles missions, de nombreuses universités se retrouvent en déficit. Les investissements d’avenir accentuent les inégalités territoriales et leur poids budgétaire conduit le gouvernement à réduire les dotations récurrentes : on déshabille Pierre pour habiller Paul. Enfin, l’essentiel de l’effort budgétaire hors investissements d’avenir est représenté par la montée en puissance du crédit impôt recherche qui bénéficie aux entreprises et non aux établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche.
     Il devient urgent de revenir à une conception républicaine de l’université qui vise simultanément trois missions: l’accès d’une majorité de jeunes et d’adultes à une formation supérieure initiale et continue ouverte à tous, le rayonnement international de pôles d’excellence fondés sur la qualité et la liberté de la recherche, la construction de territoires innovants et créatifs qui contribuent à un développement durable et solidaire (valorisation, culture, diffusion scientifique …)
     Pour atteindre cet objectif l’État doit assumer ses responsabilités dans un domaine qui est de compétence nationale et doit le rester. La première urgence est de renforcer les universités, en donnant à chacune d’entre elles les moyens de remplir ses missions fondamentales avant de penser à récompenser la performance et l’innovation. C’est à cette condition que chaque université tirera le meilleur parti de l’autonomie.
     La politique nationale ne doit pas figer le paysage de l’excellence après la clôture des appels à projet des investissements d’avenir. Ce paysage doit rester ouvert et vivant. Les excellents peuvent se figer et décliner, et les émergents d’aujourd’hui s’avérer demain les meilleurs. La prime à la dynamique et au progrès doit équilibrer voire remplacer la rémunération de l’excellence établie. Si elles veulent préparer l’avenir les politiques nationales doivent aussi pouvoir accompagner les projets le plus prometteurs.
     Notre pays gagnerait enfin à faire le pari d’une dynamique de progrès dans tous les territoires. Il ne s’agit pas d’aider tous les projets de la même manière mais de reconnaître que former des jeunes au niveau licence ou accompagner des PME peut être aussi utile à la France que gagner des places dans le classement de Shanghai. Cette valorisation des dynamiques locales peut déboucher sur une contractualisation souple, évolutive et différenciée suivant les universités et les régions.

Un nouveau pacte entre université et territoire

     Ces deux dernières pistes constituent des axes privilégiés de coopération entre l’État et les collectivités locales, en premier lieu les régions. Un nouveau paysage est en train d’émerger. Les universités autonomes ont vocation à nouer des relations contractuelles à la fois avec l’État et avec les collectivités locales. Si la recherche doit rester principalement une compétence nationale, l’offre de formation est nécessairement co-pilotée par l’Université, l’État et la Région (qui a par exemple une compétence pleine et entière pour l’apprentissage). L’innovation et la diffusion de la science ont vocation à devenir des compétences régionales, l’animation des sites, la vie culturelle et l’accueil des étudiants, mobilisant quant eux les compétences des villes et des agglomérations.
     Cette contractualisation adaptée aux réalités diverses de notre pays est difficilement compatible avec la multiplication des appels à projet uniformes et centralisés impulsés par les Investissements d’Avenir. La contractualisation peut devenir l’occasion d’un nouveau pacte entre l’université et son territoire. Menée dans le respect de l’autonomie et de la stratégie choisie par les établissements elle contribuera à faire des universités des acteurs à part entière de l’animation et du développement des villes et des régions.

     À quelle échelle territoriale faut-il construire ce pacte? Cette question est déterminante pour l’avenir. Pour nommer une réalité nouvelle je propose de recycler une dénomination aussi ancienne que notre histoire: l’Armorique. Autour de Nantes et Rennes émerge progressivement une réalité nouvelle, économique, humaine, sociale qui organise un espace de vie et de solidarité dans lequel les aires urbaines se rejoignent et les échanges se multiplient. Nombre d’acteurs économiques et sociaux défendent aujourd’hui cette échelle pour construire l’avenir. Quand le « Club des trente » se veut armoricain, quand les conseils économiques et sociaux de Bretagne et des Pays de la Loire promeuvent les coopérations interrégionales, quand les chercheurs eux-mêmes donnent naissance à Biogenouest, à la Cancéropole Grand Ouest, ou à un laboratoire d’excellence commun autour de la mer, ils ne défendent pas une logique institutionnelle de fusion entre les régions mais réclament la reconnaissance d’une réalité qui existe déjà dans la société à défaut de trouver une traduction institutionnelle. L’Armorique s’impose pour nommer cette réalité nouvelle construite par les femmes et les hommes, unis par des valeurs, des échanges, des projets, et qui dépasse l’histoire de chacun de nos territoires.
     Renvoyés aux marges de la France par les choix d’infrastructures réalisés par l’État, délaissés par les investissements d’avenir, nos territoires n’ont d’autre choix que de s’unir pour répondre ensemble aux besoins de leurs populations et exister ensemble sur la scène nationale, européenne et mondiale. Le potentiel de recherche de la Bretagne et des Pays de la Loire rassemblés est inférieur à celui de la seule ville de Grenoble. Oublier cette réalité et poursuivre les chimères du rayonnement solitaire de telle ville ou de telle région relèverait d’un acte suicidaire.
     Construire l’espace armoricain reste pour autant un choix difficile. Il est naturel en Pays de la Loire où depuis deux ans tous les acteurs universitaires et territoriaux défendent le choix stratégique d’une structuration de l’enseignement supérieur et de la recherche à cette échelle et proposent la création d’une université armoricaine en réseau. En Bretagne, cette perspective se heurte à la force de l’identité régionale. Les acteurs préfèrent avancer pas à pas sur des pistes de progrès partagé plutôt que de s’aventurer dans une direction nouvelle qui leur paraît parfois hasardeuse. Cette différence d’approche explique en partie l’échec de l’Idex. Pour donner du sens à ce projet en réseau il fallait pouvoir se projeter dans l’avenir, décrire le futur commun à construire, et en présenter le mode d’emploi de manière convaincante. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », le contraire est également vrai et le jury a bien perçu les ambigüités qui fragilisaient notre projet.
     Je crois néanmoins toujours au projet d’université armoricaine en réseau. Le modèle existe: c’est celui de l’université du Québec qui concilie une identité et une stratégie communes, avec une très grande autonomie de chacun de ses établissements constitutifs. Cette formule est la bonne pour proposer au plus grand nombre une offre de formation complète et coordonnée, structurer de manière cohérente la recherche et tirer enseignement et recherche vers l’excellence et le rayonnement international, accompagner le développement des territoires au plus près du terrain et dans le respect de leur diversité.

Un modèle original à mettre en oeuvre

     Un tel choix supposerait une réelle volonté de mise en commun des compétences et des plateformes de recherche, une organisation très performante des échanges numériques et de la mobilité des étudiants et des enseignants- chercheurs. Il s’agit là d’un choix original, qui échappe aux modèles que l’on veut aujourd’hui nous imposer, mais correspond à nos besoins et à notre identité.
     Cette idée doit faire son chemin. Cela prendra du temps et nous en manquons car nous devons agir sans attendre pour rebondir après l’échec de l’Initiative d’excellence. Parmi les scénarios possibles trois seraient inacceptables. Ne rien faire conduirait à une lente mais certaine décadence de nos pôles universitaires. Une échappée solitaire de Nantes et de Rennes, qui n’est pas souhaitée par les deux agglomérations, mettrait à mal la cohésion territoriale de l’Ouest, priverait les deux capitales d’une partie de notre potentiel, et remettrait en cause les outils interrégionaux déjà existants dans le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur. Prolonger les coopérations uniquement sur les quatre pôles d’excellence dégagés dans le cadre de l’Idex (biothérapies, matériaux, mer, numérique) reviendrait à ignorer l’excellence reconnue dans bien d’autres domaines, et à isoler le développement de la recherche, contribuant ainsi à démanteler les universités et fragiliser leurs missions de formation et de développement territorial.
     Il reste donc à trouver un chemin pour construire pas à pas un renforcement des coopérations interrégionales en abordant de manière cohérente toutes les missions des universités et en prévoyant des étapes successives d’intégration. Ce chemin pourrait démarrer par la création d’une « conférence armoricaine » qui rassemblerait les universités, les principales écoles, les organismes de recherche pour mener une réflexion stratégique et construire des choix collectifs en lien avec l’État, les collectivités locales et les représentants du monde économique et social. Cette stratégie arrêtée, la création d’un PRES unique à l’échelle des deux régions permettrait de mener à bien de premières intégrations, autour de la carte des formations, des pôles d’excellence à développer en commun, des écoles doctorales, et de l’insertion dans les réseaux européens et internationaux. C’est à l’issue de ce processus que pourrait être envisagée la création d’une université armoricaine en réseau.

Agir en Pays de la Loire, ici et maintenant

     Cette perspective n’exonère pas chacune de nos deux régions d’agir sans délais pour renforcer ses dynamiques propres en s’appuyant notamment sur les réussites des investissements d’avenir. Avoir obtenu deux des huit IRT n’est pas un mince succès.
     Dans le débat qui va se poursuivre dans l’Ouest comme au niveau national, les acteurs ligériens devront faire preuve de solidarité et de cohérence. Le choix collectif d’une stratégie régionale s’appuie sur une intégration déjà forte des réseaux de recherche et des cartes de formation. Les établissements de la région, et en premier lieu les universités, ont vocation à se rapprocher plus fortement. Pour tous l’université de Nantes a vocation à animer l’équipe Pays de la Loire, pour conforter les choix collectifs, valoriser les atouts de chacun des sites de notre région, et mener à la tête de cette équipe les échanges avec les universités bretonnes, en premier lieu avec Rennes.
     Pour pallier nos faiblesses nous devons explorer une stratégie de réussite et de progrès alternative aux investissements d’avenir autour de cinq chantiers prioritaires: l’augmentation du nombre d’étudiants à l’université, pour lequel notre région est en retard sur la moyenne nationale; le renforcement de l’attractivité et de la créativité des agglomérations; la visibilité et le rayonnement des pôles d’excellence en renforçant les partenariats interrégionaux en premier lieu avec la Bretagne ; le basculement du tissu des PME dans une dynamique collective d’innovation; et une meilleure mobilisation des ressources européennes et des réseaux internationaux. Le consensus autour de cette stratégie est total dans les Pays de la Loire: région, agglomérations, chambres consulaires, universités, écoles et centres de recherche y parlent d’une seule et même voix. La mobilisation est réelle, la région a notamment confirmé le doublement de son budget consacré à ces chantiers au cours du mandat.
     La page des investissements d’avenir sera bientôt tournée. Il ne s’agit plus de répondre à un cahier des charges imposé par d’autres mais d’écrire notre cahier des charges, notre vision de l’avenir à bâtir. À nous de dépasser les schémas et les frontières héritées du passé, de construire une nouvelle vision pour un nouvel espace armoricain. Cette mutation n’est pas seulement universitaire, elle est aussi sociale, culturelle et citoyenne. C’est l’ensemble de la société que nous devons mobiliser pour écrire cette page nouvelle de notre histoire.