<
>
Contributions
#30
RÉSUMÉ > C’est à un exercice de flânerie subjective que se livre ici notre collaborateur Gilles Cervera. Au gré de ses déambulations rennaises, il traque le détail insolite, le graffiti insolent, et débusque la poésie urbaine là où on ne l’attend pas. Psychothérapeute, il sait faire parler la ville en dévoilant les non-dits dissimulés dans ses replis et ses recoins.

     Vivre ici. En ville. C’est y travailler. Y trouver des chantiers. Puis filer d’une ville à l’autre. Enfouir des gaines. Dormir à la va-vite. Les chantiers sont lointains. Les ouvriers se déplacent. Les enfants disent de leurs pères qu’ils ont construit le métro de Montpellier ou fait le Pont de Millau. Certains sont dans l’économie noire, d’autres dans les zones grises. Cette précarité dort au dos des villes. Main-d’oeuvre des dessus et des dessousde- table. Les couleurs des gaines sont des codes. Le travailleur au noir ou au blanc paye de ses jours et de ses nuits. Le géographe Jean Viard plaide pour une métropole où l’on vote, vit et travaille. C’est rarement le cas. L’électeur vote en général pour son dortoir.

     Ici ou là, de ces surprises ! Non parce qu’il s’agit de la mienne, de Vespa, mais pour cette appropriation. Voilà que le mur se la joue perso ! L’idée de poser une chaise devant chez soi n’est plus si fréquente, même dans le Midi. À Rennes, on est plutôt côté cour, ou jardin. Comment laisser aux villes leurs espaces communs ? Souvent vides, le plus souvent inoccupés, vacants. Les trottoirs sont nets, hormis les conteneurs un ou deux jours par semaine. L’envahissement est redouté, on renvoie au privé ce qui montre la vie des gens. Comme leur balcon où l’on aperçoit le vivant, une plante en jachère, un frigo de trop, un vélo, un objet en instance. Peu de traces. À Béziers, un arrêté vient d’être pris pour empêcher le linge aux fenêtres !

     Service voiturier avenue Janvier ! L’homme qui reçoit a le sourire. Comment fait-il, ce maître des cérémonies, toujours impec, toujours courtois, recevant « vue sur mer ou sur campagne » ? À l’avenue Janvier, son tropisme poétique ! Comment fait-il ? On pose la question alors qu’on tient la réponse. Le serveur, majordome à ses heures, chef de brigade, se défonce au radis ! Ses clients sont des radis, des gros, des maigres, très rougeauds ou portés pâles, cheveux ras ou fanes en pétard. Il passe son temps à être aimable car son jardin secret est planté d’un seul et si joli légume, modeste et si bon au beurre ou salé davantage !

     Il n’est pas loin. Portrait large qui pâlit doucement. Les lunettes rondes et l’oeil malicieux. Paisible donc. La ville est gandhienne. Si c’était vrai. Si c’était possible. Ne retenons que le discours non-violent. Ne retenons dans l’iconographie des murs que celle qui dit la permanence du rêve universel. Tout sépare et beaucoup réunit. Le mahatma a été assassiné, son portrait boulevard Franklin-Roosevelt a, semble-t-il, échappé à la commande publique.

     Lunettes noires pas si loin des yeux ronds de Gandhi. Ici, où sont les yeux ? La ville ne peut échapper à sa violence. La mondialisation embrouille les repères. Alep ou Homs sont nos banlieues et certains de nos enfants veulent vérifier que le game n’en est pas un. Jouer au méchant est mieux que l’être. Le figurer ne préfigure rien. La barbe ne fait pas le djihadiste. Rennes est ni plus douce ni plus violente, ni moins sans doute. Comment ne pas regarder certains murs en face ? Le peintre de rue nous saisit comme d’autres dans les églises ont peint a fresco des histoires saintes.

     Le Capitaine marche. La haie n’est pas d’honneur. Il est destitué, pas encore réhabilité. Rennes est regardée par le pays tout entier. Le procès doit avoir lieu au calme, loin des huées. Il y en aura. L’antisémitisme entre aussi dans l’ADN de Rennes. Et son antidote. Victor et Ilena Basch, fêtés récemment au lycée éponyme. Beau moment de mémoire. Comme avenue Janvier ce beau panneau pédagogique, à lire d’entre les barreaux. Le Capitaine marche donc à Rennes vers sa réhabilitation. Il devra encore attendre. Que tant de haine se taise sans se dissoudre et que son honneur soit recouvré. La ville marche au-dessus de ses trous de mémoire.

     Émergeant de minuscules codes vernaculaires, le chacun chez soi véhicule de l’inventivité. Nombre de mes voisins détestent depuis peu que leur rue soit gratuite, dans une vieille alternance des jours pairs ou impairs moins respectée. Le paiement est le dernier discriminant. Évitant les voitures ventouses, boutant les étudiants, repoussant ceux ou celles qui s’approchent d’un arrêt de bus pour filer vers le centre en transport en commun. Du nationalisme des rues, des octrois de ville mais plus que tout, pitié pour les brouettes !