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Contributions
#39
RÉSUMÉ > Notre rubrique de flânerie subjective se poursuit au fil des rues. L’œil exercé de Gilles Cervera capte des détails surprenants et poétiques au détour des rues, sur des vitrines ou au ras du bitume. Psychothérapeute de profession, il analyse les dits et non-dits des murs et des villes, à travers ces clichés décalés et sensibles qui livrent à leur manière un singulier récit urbain.

     Photo extraite du livre intitulé Fabrik que le Suisse Jakob Tuggener consacre à l’épopée industrielle. Dont cette machine incroyable, où l’on imagine Gabin, casquette enfoncée, foncer vers son drame, penché sur la bête humaine. Rennes a eu dans les yeux plein d’escarbilles, sa gare est une chance. Un choix d’audace vieux de cent cinquante ans. La LGV se profile, le faisceau des courbes entièrement redessiné entre Le Mans et Rennes. Où s’arrêtera-t-on dans cette volonté de gagner du temps ? Comment vivre encore plus vite ? Se rejoindre encore plus rapidement ? Nier le parcours, oublier la distance ? Quel est donc ce besoin depuis la Points de détails roue sans rayon à rétrécir la géographie ? 

     De fait, il y en a partout. Des petites, des longilignes, des tarabiscotées, de ciment, à quatre ou six branches, de granit ou de bois, monstres ou témoins de missions passées. Elles sont datées, elles coiffent la ville, ont parachevé pas mal d’espaces privés, au-dessus du lit ou des portes, des menhirs parfois. Les croix sont nombreuses, celle de la confluence est la plus monumentale. Marqueurs de territoires, traces de conquêtes, preuves de foi. Sans doute ces symboles à chaque croisement, ont-ils dit de la nuit des temps ce qui nous enjoint, nous oblige, nous enferme, crispe, restreint ou agace. Comment faire avec cette croix de la mission qui est si moche, noire et dorée, alors que le mail est un promenoir de plus en plus couru ?  

     Tout fait signe, même ce qui empêche les signes. Il y a du droit négatif, le plus fréquent. Sens interdit, route barrée, interdit de fumer voire de vapoter, accès interdit au public. Et, en train de naître, du droit positif. Au Thabor, pelouse autorisée ! Vue au musée de Valence, refait à neuf, une autorisation à toucher, à photographier, à parler. Ça fait du bien, non ?  

     L’impasse du droit. L’impasse du réel. L’aporie absolue. Pourquoi exclure en enfermant puisqu’on sait que, ce faisant, on déshumanise et on fracasse ? On le fait, on le sait. Nous sommes tous responsables de cela. On remplit les prisons. Celle de Nîmes, l’été dernier, a été sommée de remplacer les armoires retournées en guise de sommier par des lits de camp. Sommée par référé de… justice ! L’OIP ayant saisi le Conseil d’État et quatre prisonniers la Cour européenne de Justice qui délibérera en 2017 ! Des couvertures ont été distribuées suite au référé et des berlingots de Javel, aussi, distribués tellement ça pue. L’injustice est à notre porte. À Vezin-le-Coquet.  

     Précaution, et pas mince : ce n’est pour une fois pas un point de détail qui nous stoppe. Mais un surgissement, une preuve que sous la ville circule une ville. Des piétons souterrains, des câbleurs, des égoutiers, des hydrauliciens, bref des citadins d’au-dessous qui, lorsqu’ils reviennent à la surface, apparaissent comme une apparition. Droit à l’image autorisé ! Merci l’apparu.  

     D’un œil de chat, il regarde de biais le CHGR et la volée d’oiseaux au-dessus de la Vilaine. Le chat lorgne au carrefour des boulevards Laennec et de Vitré. Il n’attend rien de la transformation imminente, dit-on, de la Folie-Guillemot. Sinon des souris en moins en perspective. Triste pour le chat assis sur sa couronne, chat d’Ellipse ou d'éclipse.  

     Sur la lande déserte, le sanctuaire ne l’est pas. Témoignant des passants qui passent, nombreux, qui posent leurs présents, offrent leur offrande, beaucoup de mots et d’ex-voto. Cette foi devant la mer semble depuis toujours s’imposer. Une crédulité faite aussi de naufrages et de naufragés. La Varde au loin pique au large. Le havre de Rothéneuf est comme son nom l’indique un havre. Et entre les deux, un culte a lieu au-dessus des rochers que l’abbé Fouré a soustraits à l’espace public. Chacun son culte. La chapelle est un abri, deux chaises en paille, au sec sous le grain.