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Contributions
#21
RÉSUMÉ > Suite de notre rubrique de flânerie subjective à travers les rues de Rennes. En se baladant, nez au vent, Gilles Cervera capte les détails. Des détails qui n’en sont peut-être pas…

Balzac cite le cas de « très vieux ouvriers de la rue Saint-Denis qui n’ont jamais franchi la Seine ; la rive gauche ne les intéressait pas : sur la rive droite, ils avaient leur travail, leurs habitudes, leurs amis. » À Villejean dans les années 80 (1980 pas 1880 !) des enfants de Villejean n’avaient pas mis les pieds à Rennes. Ils étaient de Villejean. Le Val abolit ces frontières-là. Heureusement. À la Découverte, à Saint-Malo, certains enfants ne sont jamais allés à la mer. Balzac, c’est le nom du quartier plus rude de Saint-Brieuc. Depuis ses tours, les mieux placés voient la mer. Déplacements et déclassements. Voilà ce que la ville veut dire : se déplacer, changer de places. En deux minutes et demi, croire qu’on change de classe sociale. Billet retour presque garanti.

C’est un grand jour quand on met le plus grand nombre de camions sur un pont en construction. Voilà. On attend. Épreuve de la tare ! Un deux trois, suspense, six, huit, douze camions de tant de tonnes, je multiplie par le nombre de bennes, je rajoute une pelletée de gravillons et ? Les joints tiennent, le pilier ne frémit pas, les niveaux sont à niveau. Sûr que c’est bien plus compliqué d’un point de vue mathématique mais cette matinée du 21 septembre 2012 comptera comme un grand jour pour ce pont Vaclav-Havel que nous, poids plume, piétons ou véhicules légers, enjamberont bientôt sans nous soucier, pour habiter outre Vilaine, à Baud-Chardonnet !

Un quartier où les pavillons sont de pierre et les toits d’ardoise, le lotissement des Mottais date de l’entre deux-guerres. Ici, impossible de traverser la rue pour un piéton légaliste, à moins qu’obsessionnel. Certes, le piéton peut traverser derechef et le coeur léger la rue Edmond-Rostand, en amont et en aval. Mais s’il doit traverser la rue Baudelaire dans les clous… eh bien des clous ! Rien, nada, ni bande blanche ni la moindre trace du moindre indice. Pas grave, rassurons les techniciens de la ville, le carrefour est plutôt convivial et nul n’y pousse ses cylindres à fond ! Carrefour impossible pour le piéton à cheval sur le code, c’est tout !

Rien ne semble différencier, ni en hauteur, ni en nombre de cariatides les immeubles haussmanniens des boulevards parisiens. Ainsi vont les modes, urbaines et architecturales aussi. Aujourd’hui, à Rennes, noir c’est noir ! Le TNB a commencé par prendre la soutane à moins que le hijab. Le théâtre a à voir avec le sacré, n’est ce pas. Puis les Archives départementales ont viré au noir. Odile Decq a suivi pour le Frac tout y incluant une flamme rouge. Depuis quelques années, ici ou là, le noir gagne. Regardons-le à plusieurs fois. Le noir n’est au fond jamais si noir. La lumière s’y agrippe mieux. Le ciel, le couloir des rues l’imprègnent. Le noir ne l’est donc jamais totalement. Et si c’était pour Rennes une manière de prendre des couleurs!

Est-ce un retour en enfance ? Cette irrépressible envie de faire un tour de manège qui nous rappelle le pompon qu’on n’attrape jamais, trop petit mon ami et le tour échappe ! Et aussi ce tour de manège des enfants que retiennent par le regard leurs parents puis qui deviennent des parents qui emmènent leurs enfants et puis après qui sont des grands parents qui regardent, éblouis, le sourire de leurs petits enfants. Tournez manèges, tourne le temps ! Génération après génération. Au Thabor, place de la mairie, à Maurepas ou ici, la curieuse qui soulève, à Sainte- Anne, la robe du carrousel !

La ville est un théâtre. Ses avant-cours, ses arrière- scènes. Côté jardin ou sous les cintres. Il y a cette imbrication des toits, des créneaux, des décors kitch et des façades soudain qui viennent à l’improviste, tombent bien ou tombent mal. Ferment le décor ou le magnifient. Sauf que le décor ici tient un tout petit plus longtemps qu’une représentation. Alors les spectateurs de la ville vont et viennent, ils sont ses acteurs, ils sont ses souffleurs, la ville est une scénographie sans fin. Vue de l’avenue Janvier, l’austère Sécu a une de ces gueules !

Ne serait-il pas déplacé, comme saugrenu, un chouya disproportionné ce camion qui roule comme il peut sous le tunnel des arbres aux confins des prairies ? Prairie Saint-Martin. Nous sommes en mode démolition. C’est la fin de l’été et le joggeur s’écarte, attendez, rangez vous des voitures, trois vieilles dames sortent des fourrés, des paniers à la main, « pas de mûres cette année !», voilà ce qu’elles déclarent au micro des prairies. Et le camion, énorme, saurien, approche, arrive, passe, charivari de poussières, le joggeur file en courant et le gros cul a tellement de mal à négocier le coude des allées vraiment pas faites pour lui. C’était la séquence cherchez l’intrus !