<
>
Contributions
#35
RÉSUMÉ > Notre rubrique de flânerie subjective se poursuit au fil des rues. L’oeil exercé de Gilles Cervera capte des détails surprenants et poétiques au détour des façades et des immeubles. Psychothérapeute de profession, il débusque ici les facéties des rues et des villes, à travers ces clichés décalés et sensibles qui livrent à leur manière un singulier récit urbain.

     Les enfants prenaient un bout de calcaire et traçaient au sol une marelle. Ou de houille sur certains trottoirs de Moselle ou de schiste en Centre-Bretagne ou en Corse. La marelle est intégrée aujourd’hui par les paysagistes de l’urbain. Le Mail appelle le passant à sauter le pas, cloche-pied pourquoi pas, depuis la Croix de la Mission jusqu’aux Blanchisseries de Saint-Cyr. La ville est investie du sol au plafond. Tout fait signe depuis les cimes de cheminées graffées jusqu’à l’horizontale des pas. La rue est un espace où danser, glisser, sauter, pique-niquer, rouler, marcher, parler, jouer, écrire à même le ciel ! La rue n’aura quitté ses multiples qu’un temps très court de pompidolisme automobile.

     Il reste des ouvriers mais le mot sort peu la tête, se montre moins. La réalité est devenue euphémique, bien que les ouvriers aient toujours continué d’oeuvrer. Demeure l’enseigne. Nous sommes nombreux à nous souvenir de ce mot d’ouvrier. Leurs mains qui nous serraient fort la main, ou de sous les casquettes nous souriaient un peu, pudiquement. Louis Guilloux a décrit cela hier, Mordillat aujourd’hui ou Annie Ernaux aussi. L’enseigne nous enseigne. Beaucoup d’ouvrières dans l’industrie, l’agroalimentaire, la production, les travaux publics, les bureaux à nettoyer ou l’université pour entretenir ses portes et fenêtres. Entend-on bien l’expression de main-d’oeuvre ? Main d’abord et oeuvre après ?

     Le panneau est un bon vieux dalot de ciment qui pèse son poids et les cinq fiches qui l’arriment au granit tiennent bon. Le panneau porte haut, pas trop gêné par la ribambelle des itinéraires verts ou autres P de couleurs qui le doublent à droite. Notons au passage que la direction n’a pas changé. La flèche indique le bon côté. Les designers étaient précis pour les conducteurs paumés. D’avant le trottoir connecté ou la ville French Tech. Google Car avancera et se dirigera toute seule en oubliant le surlignement rouge de son département.

     Il y avait un pignon. Il était pointu. Son ombre est quasi pompéienne et seulement la bâche de plastique témoigne encore. Une forme s’est vidée. Une autre prendra forme. Des appartements, des alignements, la ville s’hausmannise. L’habitat densifié dit qu’il y a une ville dont les vides deviennent des pleins.Tellement de villes viendront après la ville.

     C’est à Pacé. Il s’agit rien de moins, faisant écho à la marelle publique du Mail, d’un panneau de basket privé sur une hampe publique d’un réverbère municipal. Triple avantage : l’enfant peut jouer en nocturne, merci Chopin ! Mais l’enfant – appelons-le Tony P. –, reste aussi visible depuis la fenêtre de la maison de ses parents ou sous l’oeil du voisinage s’il fait équipe. Ultime gain : la rue est partagée, convivialisme assuré !

     L’étiquette est ici marque d’obligeance, courtoisie urbaine. Plutôt la main du maître que la patte du chien qui a commis le libelle. On a un peu honte de pointer ce détail qui pue, cette ville salie, cette attache grossière. On se voudrait plus léger, on attend l’été, on espère l’espadrille. Sauf qu’on ne devra pas trop longtemps regarder la voûte étoilée, quelquefois étiolée d’un cri, mince, on allait glisser. C’est la ville hélas, aussi !

     Ripolin n’est plus ni son mur à Saint-Aubin. Est advenu le rouet qui n’est pas mal non plus. Deviendra- t-il iconique ? Ses adeptes rue d’Antrain suivrontils, malgré son effacement, le fléchage ? Élégance, Distinction sont écrits à la plume. Au-dessus, c’est un appareil photo d’avant le numérique ! Le commerce fixait ses pixels dans le torchis des joints. C’est bien que la réclame soit visible depuis une maison de retraite ! Good-bye Lenin !