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Histoire & Patrimoine
#06
Marie-Joseph Brune (1807-1890), le prêtre bâtisseur
RÉSUMÉ > Ecclésiastique, un temps directeur au grand séminaire de Rennes, Marie-Joseph Brune participe à la formation architecturale des futurs prêtres au moment où démarre, en France, la grande période de reconstruction des églises. Il prône le choix du gothique du 13e siècle, publie un résumé de son cours d’archéologie professé au grand séminaire, réalise un plan-type d’église et se fait architecte en bâtissant églises, chapelles, et en dessinant du mobilier religieux dans tout le département.

     Né à Rennes, rue de l’Horloge, Marie-Joseph Brune, fils de perruquier, aîné de deux frères et d’une sœur, fut bercé dans un milieu attiré par les arts en général. Son frère cadet, Eugène (1813-1882), fut professeur de musique, tandis que le plus jeune, Léon (1816-1862), fut professeur de dessin (la cathédrale de Rennes possède l’une de ses toiles). Lui-même eut l’occasion de donner des conseils en musique, et de s’adonner au dessin et à la peinture.  

     Formé au petit séminaire de Vitré, il fut ordonné prêtre en 1830, avant d’enseigner au collège de cette ville. Son itinéraire nous est mieux connu à partir de 1835, année où il commence la rédaction d’une sorte de journal intime (Notes ou journal d’un prêtre du diocèse de Rennes, 1835-1856). Alors précepteur à Tréguil (près de Montfort-sur-Meu), il est vite nommé vicaire à la paroisse Saint-Germain de Rennes (fin 1835), puis aumônier de la Visitation à Rennes (décembre 1842). L’année suivante, Monseigneur Brossay Saint-Marc le nomme directeur au grand séminaire, poste qu’il occupe jusqu’à son éviction brutale par ce même prélat, en 1852. Dépité, il devient alors aumônier militaire et est fait chanoine titulaire de la métropole en 1857.
     À la lecture de son « journal », on sent naître progressivement sa passion pour l’archéologie. Dès 1835, il se rend à Irodouër visiter la nouvelle église qui vient d’être construite, puis aux Iffs, « l’une des plus jolies paroisses que je connaisse », dit-il. Mais c’est peut-être de la découverte des édifices religieux de la Normandie et notamment de la cathédrale de Coutances, que lui vient la « révélation », du moins sa préférence pour le gothique du 13e siècle: « Après la retraite de 1835, j’allais visiter la magnifique cathédrale de Coutances. Jusqu’ici, je n’avais encore rien vu d’aussi parfait dans ce genre ».
     Au grand séminaire, il enseigne l’archéologie aux futurs prêtres, pendant neuf ans, en prônant la défense et la connaissance du gothique du plus pur 13e siècle, car selon lui ce n’est que dans le cours de ce siècle « que les constructions religieuses atteignent cette légèreté, cette élégance et ces heureuses proportions qui les font préférer à celles de toutes les autres époques ». En 1846, il publie un Résumé de ce cours d’archéologie, dont la renommée a largement dépassé les frontières du département et qui a longtemps fait référence dans le diocèse.

Un lettré devenu féru d’architecture

     Autodidacte, il explique dans l’avant-propos de cet ouvrage, comment il s’est formé à cette science, nouvelle à l’époque: « Les leçons savantes et pleines d’intérêts de M. de Caumont […], nous les avons analysées, résumées et simplifiées, afin d’en donner la substance à nos élèves, et de leur communiquer […] des notions indispensables pour la conservation et la restauration de nos édifices religieux. Pour appuyer les principes sur des exemples particuliers à notre pays, nous avons voulu visiter avec soin tout ce que notre diocèse présente de plus intéressant sous le rapport de l’art religieux ».
     En 1844, il fait partie des 24 membres fondateurs de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, dont il est deux fois le président (en 1850 et en 1860). Membre actif de cette société, ainsi que de l’Association bretonne, il écrit de nombreux articles sur le patrimoine en général, dont Du style à adopter de préférence dans les constructions religieuses qui se font de nos jours en Bretagne (1855) et Projet d’une église paroissiale pour une population de 3 000 à 4 000 âmes (1857), véritable plan-type d’église à réaliser. À la tribune de ces deux sociétés, il intervient avec succès pour la sauvegarde de quelques édifices ou parties d’édifices.
     Il est salué par Arthur de La Borderie qui voyait en lui un « savant archéologue », et dans l’éloge funèbre du chanoine en 1890, le comte de Palys – président de la Société archéologique – parle de l’abbé Brune comme du « fondateur de la science archéologique dans le département ».
     Après s’être formé à l’architecture par les voyages et la lecture, après avoir enseigné les principes fondamentaux de l’histoire de cette discipline, Brune s’est essayé au métier d’architecte, et ce d’autant plus facilement qu’il était doué pour le dessin.
     Quatorze édifices du département lui sont ordinairement attribués, dont six à Rennes, auxquels il faut ajouter le mobilier qu’il a dessiné et les transformations qu’il a dirigées. Il est d’ailleurs probable que peu d’églises du diocèse aient échappé à une intervention de sa part. Malheureusement, le chanoine n’a laissé que peu de traces de ses travaux, la seule oeuvre qu’il ait signée étant le maîtreautel de la cathédrale de Dol.

     Sa première oeuvre est le couvent des carmélites, construit rue de Paris entre 1857 et 1861. Aujourd’hui, seule une partie du cloître et un pignon de la chapelle subsistent à l’intérieur du lycée Saint-Vincent (quelques arcades de la chapelle sont également visibles dans une salle de classe du lycée).
     Jamais complètement achevée, la chapelle qu’il réalise pour le patronage des Cadets de Bretagne, en 1865-1866, est d’un style néo-roman très dépouillé.
     Entre 1864 et 1867, il conçoit – dans son style de prédilection, le néogothique – un couvent pour les carmes déchaux, nouvellement installés rue de Bel-Air (aujourd’hui rue Martenot). Originalité, la tour clocher, inspirée du chevet de Coutances, est reliée au mur du vaisseau central de la chapelle par un escalier logé dans un arc-boutant. L’Église évangélique a récemment acquis cette chapelle et la restaure afin d’en faire (à nouveau) un lieu de culte sous le nom de chapelle du Thabor.
     La clinique Notre-Dame de Lourdes, rue Saint-Hélier, présente encore côté sud, la chapelle que le chanoine dessina pour les soeurs de la Retraite entre 1865 et 1867, et qui fut saluée par les membres de la Société d’archéologie comme une « gracieuse imitation de l’art du 13e siècle ».
     Une de ses plus importantes réalisations, la chapelle du lycée Saint-Martin (1868-1869), s’impose dans le paysage rennais : sa façade ouest, ornée d’un haut relief représentant Saint-Martin partageant son manteau (par le sculpteur Jean-Marie Valentin), ne peut échapper à l’oeil des passants qui circulent rue d’Antrain. À l’intérieur, les chapelles latérales contiennent encore des autels dessinés par Marie-Joseph Brune.
     Enfin l’ancienne chapelle du couvent des récollets, rue de Redon, est le dernier édifice construit par le chanoine (1878-1880). De style roman, elle présente une façade sévère, couronnée d’une statue de Saint-Joseph.
     En plus de ces réalisations architecturales, le chanoine intervient à l’église Saint-Etienne où il fait percer la maîtresse vitre; à l’église Notre-Dame en Saint-Melaine où il dessine (sous le porche) le monument à l’abbé Joseph. Même chose entre Joseph et Meslé, ancien curé de la paroisse; à Saint-Sauveur, où il dessine les autels latéraux et l’autel Notre-Dame des Miracles.
     Toutes ces interventions rennaises, sans oublier l’influence qu’il a pu exercer sur les architectes de son temps – en particulier les frères Mellet et Arthur Regnault – ont amené la municipalité à lui rendre hommage.
     Ainsi, peu après sa mort, le conseil municipal, accordait gratuitement et de façon perpétuelle 2 m2 pour « l’érection d’un monument à la mémoire de cet homme de bien, artiste musicien et architecte distingué, qui s’est fait si bien remarquer par ses ouvrages et son talent ». Ce monument, financé par une souscription publique, dirigée par le Journal de Rennes, a été réalisé au cimetière du Nord. Il représente le chanoine avec, à ses pieds, les attributs de l’architecte, du peintre et du musicien.
     En 2003, la municipalité a fait procéder à une restauration de ce gisant et a décidé, sans limitation de durée, un entretien annuel de celui-ci par ses services. Déjà, en 1972, elle avait donné le nom du chanoine à une rue de Rennes, dans le quartier de Maurepas. La mémoire de ce personnage, atypique et attachant, qui a marqué la ville par ses réalisations architecturales, ses dessins de mobilier et par ses écrits, est ainsi conservée. Le service « Métropole d’art et d’histoire » évoque régulièrement, lors de ses visites guidées, au cimetière du Nord ou autour des lieux de culte, l’héritage de ce prêtre érudit.