<
>
Contributions
#19
Les prairies Saint-Martin : un cas d’école
RÉSUMÉ > Enclave urbaine, friche industrielle, jardins familiaux, prairie humide, zone inondable, bords de canal… le site emblématique des Prairies Saint-Martin concentre bon nombre de questions urbaines et environnementales. Si la ville a choisi le projet qui sera mis en œuvre (voir Place Publique n°18), auparavant le site fut pendant trente ans un sujet de réflexion et d’imagination pour nombre d’étudiants en urbanisme et en architecture. Nous nous penchons ici sur une quinzaine de mémoires rédigés au sein de l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne, entre 1981 et 2011.

     Entrer dans le projet par l’histoire du site. C’est ce qu’a fait en 1998, l’étudiant Gwenaël Hamel en abordant la géographie des Prairies Saint-Martin par la création du canal d’Ille-et Rance et son histoire. « À partir de 1688, les blocus maritimes répétés des anglais, empêchant tout approvisionnement par mer des principaux ports, obligèrent les autorités royales à envisager une organisation des voies navigables internes et la construction des canaux destinés à relier ces grands ports entre eux. » Il faut attendre la décision de Napoléon, en 1803, pour que le canal d’Ille-et-Rance concrétise la liaison Manche-Océan. « Vers la fin du 19e siècle, après la construction du canal d’Ille-et-Rance, dont le tracé quitte l’Ille au niveau du vannage de la Trublet, les Prairies Saint-Martin se sont retrouvées enclavées entre deux cours d’eau, constituant une île ».

     En 1983, Pierre Sabarthès écrit: « Les prairies hésitent encore entre un état de ville et un état de nature: elles ne demandent qu’un coup de pouce pour basculer d’un côté ou de l’autre ». En 1988, Jean Lemoine décrit « une succession de « sans-espaces » avec une dominante majeure : « abandon et désuétude pour des lieux dont l’évolution est pratiquement figé depuis quarante ans ». Quatre entités composent ce « lieu replié sur lui-même », note Hélène Gahery, en 2005. Citons les jardins familiaux, la prairie humide, le secteur habité Henri Monnerais et la zone industrielle de Trublet. L’unique voie d’accès routier est l’impasse construite sur le chemin de halage. Deux passerelles permettent aux piétons de rejoindre le site depuis la rue d’Antrain et la rue de la Motte-Brûlon.
     C’est en 1929, rappelle Gwenaël Hamel, que l’Office public départemental des habitations se porte acquéreur de la majeure partie des terrains situés entre l’Ille et un bras secondaire. « Ils sont loués comme jardins familiaux, la construction d’habitation n’étant pas autorisée ». Au fil du temps, les 125 parcelles s’affirment comme « un second chez soi », constate Hélène Gahery, « avec pour caractéristiques principales les nombreuses portes des jardins composées de tôles métalliques, de planches de bois et autres matériaux de récupération ».
     En 1983, Pierre Sabarthès mentionne la présence habituelle des nomades sur la prairie humide: « Tout le monde s’accorde à dire que le secteur est tout à fait malsain et qu’il faut les envoyer dans un autre quartier ». En 1988, Jean Lemoine évoque le secteur habité Henri- Monnerais, administrativement « un lotissement défectueux ». Il commente: « Hétéroclite, il procède non pas d’une démission des habitants, mais d’une utilisation quotidienne en marge des réseaux urbains et des règles urbaines classiques ».
     Quant à la zone industrielle de Trublet, elle s’implante, au cours des années 60, sur le site du moulin: « En s’installant, elle a comblé les fossés et a rompu la communication du bras principal avec l’Ille en amont, en créant un bras mort », explique Gwenaël Hamel. La cheminée de la tannerie est le dernier symbole industriel d’un site désaffecté que décrit Pierre Sabarthès : « L’impression est très exactement celle d’une ancienne usine « squattée » par des petits métiers ».

     Le décor ainsi brossé, l’ensemble des étudiants s’accorde pour penser le projet d’aménagemen en termes de désenclavement. Seules les méthodes pour y parvenir diffèrent considérablement et s’inscrivent dans l’air du temps.
     En 1988, Jean Lemoine s’interroge sur le rôle que peut jouer une voie tracée à travers le site des Prairies Saint-Martin. Rappelons-le, depuis 1967 « le principe d’une pénétrante à travers les prairies » est acquis. Le tout-voiture est alors la culture dominante: « Avec le développement de la circulation automobile des dernières décennies et l’engorgement des voies qui s’ensuit, il était logique de chercher à compléter la trame des voies et à éviter les ruptures de cheminement. » L’étudiant mentionne les trois tracés proposés en vingt ans. « Ceux-ci ont en commun de proposer un axe qui ne peut être vécu que comme une rupture par sa largeur : 4 voies totalisant une quinzaine de mètres et sa mise en oeuvre sur levée pour une grande partie. » Seule alternative pour cet étudiant : « une voie de type secondaire en privilégiant d’abord les relations dans le quartier tout en permettant une circulation de transit ». Il explique la nécessité d’y adjoindre une ligne de bus. Signal fort de l’aménagement qu’il préconise: « un giratoire à l’entrée de la Motte-Brûlon ».
     Un autre projet conforte le lobbying automobile, celui de Joël Ollivier, présenté en 1991. Il étudie l’implantation sur le site un musée de l’automobile: « un temple aux portes de la ville ». « Voiture plaisir », « voiture extension de chez soi », il affirme: « le fait d’exposer des voitures, est-il très différent de montrer des toiles ou des sculptures ? ». Le projet qu’il défend, en raison de la future pénétrante, est « entièrement dédié à l’automobile ». C’est une vitrine pour 200 automobiles, dotée d’un parking de 1 000 places, « visible de la rocade pendant 15 à 20 secondes ».

     Respirons… d’autres étudiants se sont montrés plus clairvoyants dans leur approche, en s’inscrivant dans les prémices du développement durable. En 1981, Jean-Luc Barbier dresse un inventaire végétal et s’intéresse à la biodiversité de cet îlot. Il n’a qu’un maître-mot : « place aux jardins et espaces partagés ». Il souhaite confier la gestion et l’entretien de la couverture végétale du site aux habitants. Trente ans plus tard, le jardin partagé n’est plus une utopie. En 1983, Pierre Sabarthès est affirmatif: « Il faut renoncer à la pénétrante et inclure la pratique de l’eau dans la ville avec un relais nautique et des équipements de connaissance de l’écologie aquatique et une base pour la pratique du canoë-kayak et l’aviron ». Il y adjoint la Maison verte des jardiniers et un terrain de jeux. Le principe de la trame verte et bleue commence à faire des adeptes. En 1983, Gérard Drouet imagine un lieu de mouillage pour la plaisance en canaux et rivières offrant toutes les commodités et services aux plaisanciers. En 1983, Alain Huet affirme lui aussi que la voie d’eau à Rennes, « peut-être considérée comme un moyen de continuité urbaine, un moyen privilégié de pénétration au coeur de la ville, un fil conducteur de la composition urbaine ».
     Deux décennies plus tard, le Grenelle de l’environnement lancé en 2007 fait loi. En 2009, reprenant l’idée du désenclavement et soulignant la valeur « nature » du site, Marie Blanchot conjugue culture et écologie par un projet de centre dédié. Elle dessine un bâtiment passerelle, « un trait d’union » entre les rives de Plaisance et des Prairies Saint-Martin. « Le long de cet axe s’inscrit le programme en commençant par le restaurant qui permet la transition entre la Zac et les prairies ». Une passerelle enjambe le canal, avec sur l’autre rive un hangar à bateaux, puis une salle d’exposition, une salle pédagogique et une bibliothèque. Ce projet en bois avec toiture végétalisée vise à asseoir sur les berges du canal une dynamique de quartier qui réconcilie les Rennais avec leur cours d’eau.

     Un autre thème récurrent est celui du renouvellement urbain. En 1998, Gwenael Hamel aborde la requalification de la zone industrielle de Trublet. Alors que nombre d’acteurs rennais s’interrogent sur l’absence de salle de concert digne de ce nom, l’étudiant propose d’aménager dans ces friches industrielles un équipement culturel grandiose: une salle de spectacle de 2 000 places, un cabaret de 200 places, 10 studios de répétition musicale, 4 locaux de répétition danse, sans oublier des salles de cours, de formation…
     En 2006, Alexandre Clément dédie le site aux personnes à mobilité réduite. Il privilégie l’intégration sociale par un projet de logements et de services qui se glissent dans les infrastructures existantes, sur le site de Trublet. Si le projet est circonscrit dans le périmètre de l’ancienne zone industrielle, d’autres étudiants n’hésitent pas à transformer les Prairies en zone d’habitation, sans aucune subtilité d’aménagement.

     Le projet d’Aurélie Claustres, présenté en 2010, questionne « les écosystèmes présents et le paysage naturel afin d’en tirer un bénéfice économique et social ». Pour offrir aux habitants « la jouissance du lieu », elle choisit d’implanter sur pilotis « un lotissement à la verticale » avec une circulation elle aussi verticale et un principe de plateaux espacés à aménager, « des terrains pour habiter les uns au-dessus des autres ». Maisons individuelles, collectifs, résidences d’étudiants, résidences de personnes âgées, locaux d’activités partagées… l’étudiante propose des statuts différents selon les niveaux, au nombre de quinze, dans les six ensembles qu’elles édifient. Des constructions autonomes en terme énergétique, avec un pompage de l’eau à la source, le recyclage des eaux usés, des éoliennes et des panneaux solaires. Ces six lotissements en hauteur sont accrochés à la rue d’Antrain par une passerelle pensée comme « un espace de partage ». Développement durable oblige, un seul leitmotiv pour ce projet : « laisser peu d’empreinte au sol pour le laisser se régénérer ». On parle désormais de trame brune.
     En dernier lieu, on pourrait retenir d’autres idées d’aménagement qui forcent la sympathie. Citons l’installation d’un marché couvert sur les prairies ou encore l’implantation d’une piscine ludique aux bassins bornés de colonnes d’eau colorée. Ce « centre de détente aquatique » largement ouvert sur les prairies est signé Florie Gaignard et Marie Guillard. Un projet pour rappeler que les Rennais ont bien connu la canicule estivale, avec le site des Prairies Saint-Martin pour leur apporter un peu de fraîcheur. C’était seulement en 2006!