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Histoire & Patrimoine
#25
Les mines de Pont-Péan, l’envers du décor
RÉSUMÉ > L’activité minière de Pont-Péan relève du roman, avec ses personnages hauts en couleurs, ses prouesses techniques et ses revers de fortune. Des débuts de l’exploitation au 17e siècle jusqu’à l’arrêt de toute activité industrielle, en 1955, c’est une véritable saga que décrit l’auteur, amoureux du site et de son histoire. Un éclairage complet sur un patrimoine à (re)découvrir.

     Pont-Péan, mai 2004. Les voitures se garent une à une sur le parking du nouveau centre culturel, déversant un flot de Rennais venus assister à un concert du harpiste Kirjuhel. Pont-Péan ne leur est pas totalement inconnu : ce sont ces maisons qu’ils ont vu défiler à soixante kilomètres à l’heure lorsqu’ils circulaient entre Rennes et Nantes, avant l’ouverture de la quatre-voies. Mais l’idée ne leur était jamais venue de quitter la grande route pour prendre les chemins de traverse. Pont-Péan n’a pas la réputation séductrice de son voisin paronyme, Pont-Réan, et n’attire pas une foule de promeneurs du dimanche.
    Il aura fallu ce concert pour conduire les visiteurs d’un soir jusqu’au coeur historique du village. Ils ne cachent pas leur étonnement à la découverte d’un décor insolite. Un grand édifice en brique, sorte d’apparition fantastique ouverte à tous les vents. Un château d’eau rouillé, dominant une construction aux allures de blockhaus. Un bâtiment décati, couvert de tôle et flanqué d’un clocher. Et des habitations inattendues, comme surgies d’une cité ouvrière du Nord. Trop occupés à chercher leur direction, ils n’ont pas remarqué l’enseigne estompée qui orne encore une façade et qui leur aurait apporté une clef de lecture : « Hôtel de la mine - Épicerie, mercerie Lelièvre - Prend des penssionnaires (sic) ». Une mine aux portes de Rennes ? Les questions fusent bientôt sur le parking du nouveau centre culturel, l’Espace Beausoleil…

     On attribue la découverte de la mine de Pont-Péan à deux minéralogistes de renom international, Martine de Bertereau, baronne de Beau-Soleil, et son époux Jean du Chastelet, revenus de Hongrie sous le règne de Louis XIII pour reconnaître l’existence des mines, leur richesse et la façon de les exploiter. Munis d’une commission accordée le 31 décembre 1626 par Antoine de Ruzé, grand maître des mines, ils prospectent la Bretagne et s’établissent temporairement à Morlaix, où ils subissent leur première mésaventure. Les superstitions du Moyen Âge sont tenaces et les techniques de la baronne suscitent la défiance. Pour découvrir les mines, elle se sert de « boussoles minérales », certains végétaux utilisés sous la forme de baguette ayant, dit-elle, la propriété d’être attirés par les masses métalliques cachées sous terre. La méthode est employée par tous les prospecteurs d’Europe et du Nouveau Monde, mais en France elle fait naître des soupçons de sorcellerie.
    Profitant de leur absence, René Busnel de la Touche- Grippé, grand prévôt de Bretagne, perquisitionne leur domicile et vide les coffres, sous le prétexte qu’il ne croit pas possible de trouver les choses cachées sous terre sans le secours des démons. Or, argent, pierreries, échantillons, instruments de recherche, inventaire des mines découvertes, tout y passe. Amaury Jascob, procureur du roi à Morlaix, entretient des relations avec Jean du Chastelet. Il parvient à soustraire les papiers concernant les opérations du couple au prévôt, qui porte plainte auprès du Parlement de Bretagne en 1631. Mais le Parlement ne semble pas y avoir donné suite. Face à des magistrats éclairés, le couple se justifie facilement de l’accusation de magie. Il n’est donc pas inquiété, mais le prévôt non plus. La baronne s’en plaint en 1632 dans un opuscule dédié à Antoine de Ruzé. En 1640, elle demande encore justice dans un second ouvrage en forme de supplique, adressé cette fois au cardinal de Richelieu, « La Restitution de Pluton ». Elle y répertorie les mines qu’elle a découvertes en France. Si la liste est longue pour la plupart des provinces, elle se réduit en Bretagne à « une mine d’amétistes proche la Ville de Lanion (sic), comme aussi une mine d’argent ».
    La baronne a pourtant reconnu de nombreux gisements bretons, mais les biens dérobés à Morlaix ne lui ont jamais été restitués. Le procureur se serait-il approprié les papiers à son insu ?
    Et le cardinal ? A-t-il lu l’ouvrage ? S’est-il laissé influencer par les ennemis de la baronne, qui colportent toujours l’accusation de magie ? Toujours est-il qu’en 1641 la baronne est emprisonnée à Vincennes où elle meurt peu après. Son époux, incarcéré à la Bastille, meurt à son tour en 1645.
    Les papiers morlaisiens ne sont pas perdus. Au XVIIIe siècle, un médecin breton, le docteur de la Rüe, remet peu avant sa mort la copie d’un ancien mémoire au minéralogiste Jean-Baptiste Romé de Lisle. Le manuscrit répertorie les mines bretonnes et ne peut être, selon son ami l’historien scientifique Nicolas Gobet, qu’une copie du relevé de la baronne. On y lit « Proche le Pont-Péan, à deux lieues de Rennes, une bonne mine de plomb, contenant beaucoup d’argent, du vitriol, du souffre (sic), du zinc, du mercure, de l’arsenic ».
    L’exploitation minière de Pont-Péan a commencé près d’un demi-siècle avant la réapparition publique de cet inventaire. Mais la connaissance d’un gîte métallifère est encore plus ancienne puisqu’en 1685 une première concession est accordée, pour dix ans, à Yves du Liscoët de Coëtmen, déjà concessionnaire de la mine de Carnoët. Il n’en fait rien et en 1697 la Cour envoie quelques personnes à Pont-Péan, avec mission de juger si la mine mérite attention. Se serait-on servi des manuscrits de la baronne ?

     Quand un riche armateur malouin, Noël Danycan de l’Épine, obtient la concession en 1730, ses associés négocient avec un seigneur voisin qui consent à leur louer son château de Carcé pour loger les directeurs de la mine. La compagnie minière est néophyte et les premiers travaux sont entrepris contre toutes les règles de l’art. Pour extraire la galène argentifère, une grande carrière est ouverte à une quarantaine de mètres de la Seiche, une rivière dont la proximité provoque inondations et éboulements. Il est difficile, en 1730, de trouver en France le personnel qualifié pour exploiter u;agrave; trois reprises des enfants illégitimes dont Noël Danycan avait déclaré être le père, mais dont le nom de la mère lui avait été caché.
    Noël Danycan meurt en 1735 et sa société est bientôt dissoute, mais l’ancienne maîtresse de l’armateur reprend la concession et dirige personnellement l’exploitation pendant une dizaine d’années, secondée par ses enfants. Le château de Carcé accueille alors des hôtes de marque, sollicités pour « épuiser les eaux qui emplissent la mine ». Ces artistes, comme on les nomme à cette époque, sont d’ingénieux spécialistes des arts mécaniques, qui conçoivent et établissent les machines hydrauliques de la mine. Les techniques de pointe qu’ils mettent en oeuvre à Pont-Péan vont servir de référence à la Grande Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Claude-Thomas Dupuy, ancien intendant de la Nouvelle- France, consacre les dernières années de sa vie à la construction de ces machines. Arrivé à Carcé au mois de mai 1738, il y meurt en septembre avant d’avoir pu mettre son invention en place. C’est son élève, Antoine de Genssane, qui achève l’installation de cette pompe qui sera représentée et décrite dans l’Encyclopédie comme l’une « des plus belles de l’Europe pour épuiser les eaux ».
    En 1752, Mme Danycan fait appel à Pierre-Joseph de Rivaz, un Suisse valaisan cité en exemple par Jean- Jacques Rousseau dans sa « Lettre à d’Alembert ». Pierre- Joseph de Rivaz s’engage à assécher la mine, puis à la maintenir en état. La machine hydraulique qu’il met en place sur la Seiche fonctionne d’abord avec succès, mais sa marche est bientôt perturbée par de fortes précipitations, puis par une sécheresse exceptionnelle. Mme Danycan n’a plus les moyens d’assurer seule la poursuite des travaux. Pour réunir des capitaux au sein d’une société en nom collectif, elle s’associe à un neveu de Joseph Pâris-Duverney, le grand financier de Louis XV. Dans l’intérêt de l’État, Joseph Pâris-Duverney estime sa participation financière nécessaire à l’affaire de Pont-Péan et se charge de sa conduite. Mais son nom n’apparaîtra ouvertement qu’en 1755, quand la réussite de l’entreprise lui semblera certaine. Il fait auparavant venir un autre artiste célèbre, Pierre-Joseph Laurent, qui parvient en seize mois à écarter la Seiche de l’exploitation et à installer des machines permettant à la fois de pomper l’eau de la mine et de monter le minerai. En signe de gratitude, Louis XV anoblit l’artiste pour ces machines qui « passent sans contredit pour être les plus parfaites », aux dires des encyclopédistes, et qui vont assurer la fortune de leur concepteur.

     Antoine-Joseph Loriot jouit lui aussi d’une solide réputation d’inventeur et des faveurs du roi. Il commence à travailler à la mine en 1757 et met rapidement au point une machine à laver et trier le minerai, qui est approuvée par l’Académie royale des sciences. Il tente ensuite de moderniser l’ensemble des installations et se heurte à une accumulation de difficultés imprévues qui finissent par entraver la bonne marche de l’entreprise. La division, source de procès, s’installe entre les associés et, las d’avancer des sommes considérables, Joseph Pâris-Duverney finit par obtenir la dissolution de la société. Mme Danycan se risque aussitôt, aux mines de Châtelaudren, à une dernière entreprise qui l’accule à la ruine.
    La mine est rachetée en 1765 par les exploitants de Poullaouen et Huelgoat. Des mineurs venus de Basse- Bretagne fondent alors le village ouvrier de Châteaunoble, qui a depuis fait place à un centre commercial. Ce sont pour la plupart des gens illettrés, ne parlant que le breton, mais qui vont s’organiser en attribuant aux plus instruits d’entre eux les titres de « maire » et de « préfet ». Le « maire » pour accomplir les démarches administratives, le « préfet » pour maintenir les relations avec les familles restées au pays. Pendant plus d’un siècle, la « colonie bretonnante » de Pont-Péan va accueillir de nouveaux arrivants et garder sa langue, ses costumes et ses coutumes.

     La tourmente révolutionnaire ayant mis fin à l’exploitation, la mine est vendue à un négociant rennais, Charles Mondehair. Il meurt en 1802, laissant pour seule héritière sa fille Thérèse qui épouse cinq ans plus tard un autre commerçant, Julien Coüannier. Julien Coüannier multiplie les démarches pour faire valoir ses droits sur la mine abandonnée et obtenir la permission de reprendre les travaux. Il s’associe à la marquise de Bréhan, à qui la mine est concédée par une ordonnance du 21 janvier 1829. Mais la marquise ne relance pas l’activité et les démêlés administratifs s’éternisent. Julien Coüannier doit attendre 1843 pour être enfin autorisé à exploiter sa mine. Il vient alors de s’entendre avec John Hunt, un ingénieur anglais directeur des mines de Sark, qui découvre à Pont-Péan un énorme stock de déchets abandonnés sur le carreau par les anciens exploitants. Les déchets sont riches en argent et leur lavage s’avère aussitôt une source de bénéfices substantiels. Après la mort de Julien Coüannier, en 1847, John Hunt fait appel à ses relations anglo-normandes pour réunir les fonds nécessaires à l’exploitation du soussol. Une première machine à vapeur est commandée en 1852, quand la réouverture de trois anciens puits permet la reprise des travaux souterrains. C’est le prélude d’une longue période de prospérité, durant laquelle Pont-Péan va produire galène, blende et pyrite.
    En 1870, les actionnaires, pensant le gisement épuisé, évoquent une possible liquidation. Mais Charles Eloy, l’ingénieur belge qui dirige alors les travaux, sauve la mine de la fermeture en retrouvant le filon après avoir financé lui-même les recherches. Le risque n’étant pas écarté, il cherche de nouveaux capitaux et parvient à intéresser l’un de ses compatriotes, Gustave Dumont. L’industriel belge ayant convaincu les actionnaires, une nouvelle machine d’extraction est mise en place en 1877. Il en résulte un accroissement inouï de la production qui détermine le sénateur-maire de Rennes Edgar Le Bastard à s’impliquer dans l’affaire. En 1890, l’arrivée de Léon Maudet à la direction marque un nouveau tournant. L’outillage qu’il met en place amplifie encore la production et Pont-Péan devient le premier site extracteur de plomb argentifère de France, fournissant 80 % de la production nationale.
     Le déclin s’amorce en 1898, après le départ de Léon Maudet. Le puits de la République, coiffé de son chevalement Eiffel, atteint alors près de six cents mètres de profondeur. Il est toujours équipé d’une puissante machine d’extraction, mais la machine d’épuisement des eaux, mise en service en 1881, travaille au maximum de ses capacités. Le 2 avril 1904, les pompes ne parviennent pas à juguler un violent afflux d’eau qui submerge puits et galeries. La mine est à nouveau fermée et un millier d’ouvriers sont réduits au chômage.
    L’espoir d’un nouvel âge d’or renaît en 1929 quand une grande cité ouvrière est bâtie sur la lande de Teslé, présage d’une relance imminente de l’activité. Le dénoyage de la mine commence en 1931, mais il est interrompu un an plus tard. C’est la faillite, suivie en 1934 d’un procès qui révèle une énorme escroquerie. Le traitement des déchets métallifères amoncelés sur le carreau se poursuit encore jusqu’à l’épuisement des stocks, en 1955. Pour finir, les sables et les graviers, pauvres en minerai, sont vendus comme matériaux routiers dans la région. 

 

     En 2003, l’ouverture d’un espace culturel près du puits de la République insuffle une seconde vie au carreau de la mine et amène les visiteurs à découvrir les bâtiments qui ont échappé à l’effacement des traces de ce passé industriel. Les nouveaux venus sont toujours surpris d’apprendre qu’avant d’être converti en chapelle, le bâtiment flanqué d’un clocher était le vestiaire des mineurs et que le grand édifice aux allures de château italien abritait les bureaux de la mine. La plupart se demandent alors si ce bâtiment emblématique du passé minier de Pont-Péan, inscrit au titre des monuments historiques en 1985, sera un jour mis en valeur…