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Dossier
#30
RÉSUMÉ > Les villes de l’arrière voient arriver les blessés évacués du front. Rennes n’échappe pas à la règle et nombre de ses bâtiments publics sont rapidement transformés en lieux de soins. Se dessine ainsi une véritable cartographie sanitaire de guerre, avec ses spécialités médicales et ses unités de rééducation.

     Dès les premières semaines du conflit, l’arrivée de nombreux blessés évacués des zones de combats plonge Rennes dans la réalité brutale de la guerre. Un mois à peine après le déclenchement des hostilités, le 12 septembre 1914, on recense déjà 3 675 soldats hospitalisés dans différents établissements de la capitale bretonne1. Belligérants de toutes nationalités, y compris des prisonniers allemands et aussi des soldats américains à partir de l’été 1917, ils vont occuper les installations hospitalières civiles et militaires de la ville (Hôtel-Dieu, Pontchaillou, Ambroise-Paré…), ainsi que des bâtiments publics réquisitionnés pour l’occasion, toujours visibles un siècle plus tard. C’est le cas par exemple du lycée de l’avenue de la gare (aujourd’hui lycée Émile Zola, avenue Janvier), qui se transforme en hôpital complémentaire (HC) n°1 dès 1914. Le grand hall du lycée Saint-Vincent, rue de Paris, accueille également les lits des blessés, tout comme la salle des fêtes du Cercle Paul Bert, également située rue de Paris, l’école des Beaux-arts, rue Hoche, ou encore les élégants bâtiments de la faculté de droit, situés à l’époque place Saint-Melaine (voir photos pages suivantes).

     Se dessine ainsi une singulière géographie urbaine des gueules cassées et des mutilés. On imagine sans peine les déambulations des convalescents dans les allées du Thabor ou les rues commerçantes du centre, à proximité immédiate de leurs lieux de soins. Progressivement, en fonction de la nature et de la gravité des blessures subies au feu, les techniques médicales vont s’améliorer et se spécialiser. Blessures physiques, évidemment, nécessitant amputations et chirurgie réparatrice, mais aussi traumatismes psychologiques, une dimension jusque-là peu prise en compte sur les théâtres d’opérations. Ainsi, Rennes va-t-elle abriter le centre neurologique de la 10e région militaire2. Rattaché à partir de 1915 à l’hôpital complémentaire n°4 (lycée Saint-Vincent), il accueille « les soldats présentant des troubles psychiatriques sans blessure organique ». Pour soigner ces pathologies mystérieuses, les médecins ont recours à l’électrothérapie et à la mécanothérapie. Place Hoche, l’HC n°5 abrité dans la faculté des Lettres (actuellement faculté de Sciences économiques), devient en novembre 2015 le centre régional de stomatologie, puis en janvier 1916, un centre de prothèses maxillofaciales, ces tentatives spectaculaires pour rendre visage humain aux célèbres « gueules cassées » défigurées par la mitraille et les éclats d’obus.

     Il convient également de mentionner, dans cette cartographie de la souffrance, le rôle joué par l’École des mutilés de guerre, créée en 1916 dans les locaux de l'école rue Jean-Macé, puis installée dans l'hospice Saint-Melaine près du Thabor en 1919. Elle dispense des cours d’enseignement général et organise des ateliers professionnels destinés à assurer la reconversion des mutilés. Les métiers enseignés reflètent les préoccupations du temps dans une France encore rurale et marquée par le travail manuel : on y forme des galochiers, des relieurs, des vanniers, des menuisiers (voir photos pages 63 et 64), mais on y prépare aussi aux métiers de l’industrie et des services (dessinateur industriel, sténodactylographe, cheminot…). L’école, qui sera placée sous le contrôle du comité départemental de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre en juin 1919, sera rebaptisée en 1922 du nom du maire de Rennes durant la guerre, Jean Janvier. Elle s’installera dans ses locaux actuels, rue Édouard-Vaillant, en 1937, et poursuit aujourd’hui encore ses missions de formation sous le nom d’École de reconversion professionnelle (ERP) Jean Janvier.
    La rééducation aux travaux agricoles est, quant à elle, assurée à partir de juin 1917 dans un centre spécialisé situé au sein de l’École nationale d’agriculture, rue de Saint-Brieuc. Des concours agricoles sont même organisés en novembre 1917 et juin 1918. Des mutilés équipés de prothèses spécialement conçues pour les travaux des champs y réalisent des démonstrations de labours et des exercices de fauchage. Il s’agit, là encore, de montrer qu’une nouvelle vie est possible après l’horreur des tranchées. Mais rares seront les mutilés qui retrouveront une activité professionnelle normale après la guerre.