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Histoire & Patrimoine
#23
Les Chouinard, l’architecture en famille
RÉSUMÉ > Le nom de Chouinard est étroitement associé à l’architecture du pays de Rennes, notamment à Bruz « la martyre », dont l’église, mais aussi bon nombre d’habitations, ont été reconstruites par Louis Chouinard (1907-1995), le deuxième du nom. Cependant, c’est son père (1879-1939) qui fut le créateur du cabinet d’architecture Chouinard dans l’entre-deux-guerres. Une troisième génération est toujours en activité.

     La famille Chouinard a marqué Rennes et ses alentours, en construisant, rénovant ou agrandissant des centaines de bâtiments. On lui doit notamment: la chapelle de la Sainte Famille (Rennes), le bloc hôpital de Pontchaillou, le nouveau bâtiment de Ouest-France (Chantepie), la plupart des Foyers de Jeunes Travailleurs, sans oublier de nombreux immeubles d’habitations, ainsi que des maisons individuelles, dont la fameuse maison Crespel…
    Le premier architecte de la famille, Louis (1879-1939), est né à Rennes. À dix-huit ans, il travaille dans le cabinet de l’architecte Henri Mellet, l’un des Rennais les plus productifs dans l’architecture privée que ce soit dans le domaine religieux ou civil. En 1911, il entre comme dessinateur chez l’entrepreneur Urbain Huchet, là aussi, l’un des plus prolifiques à Rennes. Dans les années 20, il fonde son propre cabinet d’architecture au 34 rue Duhamel, dans une maison construite en 1909 par Huchet, sur laquelle le jeune Louis a d’ailleurs travaillé.  

     En 1925, son fils Louis (1907-1995) entre à l’école d’architecture de Bretagne, alors dirigée par l’architecte Georges Lefort1, son premier mentor. Trois ans plus tard, il est admis à Paris, où il poursuit ses études dans l’atelier Guadet et Paulin, puis Héraud. Après un intermède militaire, qui le conduit en Syrie (1931-1933) et dans de nombreuses villes du bassin méditerranéen – il en restera marqué jusqu’à la fin de sa vie –, il reprend ses études parisiennes dans le cabinet d’Urbain Cassan, son second mentor. Diplômé en 1936, il reçoit une médaille d’argent pour son projet de Cité paroissiale, publié dans la revue de la SADG. Il intègre alors le cabinet de son père qui se retire progressivement et avec qui il travaillait déjà depuis plusieurs années. Ensemble, ils ont notamment aménagé la librairie Riou-Reuzé (1934) à l’angle des rues Saint-Guillaume et de la Monnaie à Rennes, facilement reconnaissable grâce à son hermine blanche au-dessus de la porte d’entrée.
     En 1944, il transfère son cabinet rue Dupont-des- Loges, puis, en 1953, dans un immeuble qu’il construit avenue Janvier.

     Le 8 mai 1944, la commune de Bruz est anéantie lors d’un tragique bombardement, et un mois plus tard (le 9 juin) un nouveau bombardement, sur Rennes, détruit une partie du Champ de Mars et les locaux du patronage de la Tour d’Auvergne.
     Louis Chouinard est choisi en 1948 pour reconstruire le patronage dont la chapelle de la Sainte Famille. Sur une parcelle étroite, l’architecte propose une façade constituée de quatre piliers en béton qui enserrent des vitraux de dalles de verre enchâssées dans du béton, oeuvre du maître verrier Loire, de Chartres. L’ensemble est couronné par une croix monumentale. La porte présente une sculpture de ferronnerie qui évoque des épisodes de la vie du Christ (par la maison Brand de Rennes). La statue de la Sainte-Famille qui surmonte cette porte et celles du choeur (Jeanne d’Arc et le curé d’Ars) sont de Francis Pellerin. Ce choeur en hémicycle est éclairé par les vitraux de Loire et présente une peinture de la Sainte Famille par Adelyne Neveux.
     À l’église de Bruz, l’architecte propose une nef rythmée par des arcs brisés en béton très pur analogues à ceux de la Sainte Famille. On y retrouve également l’omniprésence du béton et de la pierre du Rohuët, une pierre schisteuse pourpre veinée de vert qui provient de la commune du Verger. Quelques artistes, déjà mentionnés, sont du chantier: Loire pour les vitraux ou Brand pour la ferronnerie, et d’autres nouveaux, comme l’ébéniste d’art Georges Rual. L’édifice est consacré le 30 mars 1954, il fait corps avec son presbytère accolé – véritable cité paroissiale – qui n’est pas sans rappeler les plans de son diplôme d’architecte. Il a reçu le label patrimoine du 20e siècle, comme le rappelle une plaque près de l’entrée.

     Dans le domaine de la maison individuelle, sa plus belle réussite est sans conteste la maison qu’il dessine pour son ami Yves Crespel, expert-géomètre près la ville de Rennes et petit-fils de l’architecte qui avait reconstruit l’église de Bruz au 19e siècle. Erigée entre 1949 et 1954 à l’intersection des rues Saint-Martin et Antrain, elle utilise à nouveau le schiste du Rohuët (sa pierre de prédilection, presque une marque de fabrique) au rez-de-chaussée, alors que le premier étage est entièrement en pierre blanche. Le toit terrasse, largement débordant sur le nu du mur, affirme le modernisme de la demeure qui possède deux entrées à chaque extrémité: l’une, de service (rue Saint-Martin), l’autre (rue d’Antrain) est une sorte de péristyle, presque une véranda, surmontée d’une terrasse. Même les volets roulants – nouveaux pour l’époque – insufflent du rythme à la façade sur rue.

     À côté de ces réalisations majeures, il est l’auteur de nombreux immeubles de qualité, comme celui du 49 avenue Janvier à Rennes (1953-1955), un édifice de cinq étages, étroit, dont la verticalité s’impose et où l’on retrouve, sur une ossature béton, un parement de schiste du Rohuët, alternant avec la pierre blanche. C’est dans cet immeuble que l’architecte installe son agence.
     Chouinard touche à tous les domaines. C’est lui qui construit la plupart des Foyers de jeunes travailleurs de la fin des années 50 au début des années 70: Gros Malhon, Patton et Villejean à Rennes, mais aussi ceux de Dinan, Redon et Fougères. À Saint-Gilles, il construit un foyer pour personnes âgées (1969-1972), longue barre (50 chambres) orientée est/ouest sur trois niveaux avec balcons. Pour la Compagnie Générale des Eaux, il dessine un immeuble de bureaux rue Kléber (Rennes) ; pour le journal Ouest-France, une nouvelle usine à Chantepie (1965-1973); à Pacé, c’est un centre commercial qui sort de terre. En 1958, succédant à Yves Lemoine comme architecte du centre hospitalier, il réalise à Rennes le blochôpital de Pontchaillou (1959-1972), l’École d’infirmières, le Centre régional de transfusion sanguine (1975- 1980) et la nouvelle maternité de l’Hôtel Dieu (1973- 1977).
     Côté rénovation, il achève l’église romano-byzantine de Maxent de l’architecte Arthur Regnault, avec un sobre mais esthétique clocher à jour à trois cloches. En parallèle, il est nommé, en 1951, professeur à l’École régionale d’architecture et il assumera les fonctions de vice-président du conseil régional de l’Ordre des architectes de Bretagne entre 1966 et 1976.
     La carrière de Louis Chouinard a été bien remplie. Commencée dans l’entre-deux-guerres avec son père, elle a pris une tout autre ampleur avec la « reconstruction ». Outre les créations qui font aujourd’hui références (église de Bruz, chapelle de la Sainte Famille ou maison Crespel), il marque l’architecture privée et hospitalière du pays de Rennes, par le nombre et la variété de ses réalisations, sans oublier son enseignement à travers lequel il forme de jeunes architectes, dont deux de ses fils : Hervé, aujourd’hui architecte émérite des Monuments historiques, et Étienne encore en activité…