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Histoire & Patrimoine
#33
RÉSUMÉ > Découvrir l’histoire de la ville à travers une photographie d’archive. C’est l’objectif de cette rubrique proposée par l’historien David Bensoussan. Comme en écho à notre dossier sur le cinéma, ce cliché du photographe rennais Charles Barmay renvoie aux années soixante. L’enfant aux affiches, tel pourrait être son titre, reflète une ambiance de rue disparue, à une époque où le cinéma occupait une place de choix dans la civilisation des loisirs en train de naître.

     Observateur attentif du quotidien des Rennais dans les années 1960, Charles Barmay nous a laissé de très nombreux témoignages photographiques de cette période qu’il donne à voir à travers des scènes de rue, souvent minimalistes dans leur objet mais toujours riches de signification.
    Pris en juillet 1961, ce cliché s’affirme dans sa simplicité apparente. Un jeune garçon, portant gilet et culottes courtes, regarde fixement l’objectif du photographe, planté devant deux affiches de cinéma qui recouvrent un mur à l’angle d’une rue de la ville. Si la prise de vue ne nous donne guère d’informations sur l’endroit où elle a pu être prise, elle en reflète à la fois la tranquillité, propre à une journée d’été, et sa spécificité urbaine.
    Au loin, sur la partie gauche de la photographie, se dessine, en effet, la façade d’un bâtiment tandis que du même côté mais tout proche, un grand panneau d’affichage marque l’espace. On y devine la présence de plusieurs affiches, certaines déchirées ou lacérées, un peu à la manière des artistes affichistes de l’époque qui en font le moyen d’une archéologie de la rue où la Rennes en juillet 1961 L’enfant aux affiches société de consommation impose ses signes et ses normes. Juste derrière l’enfant, les deux affiches de cinéma rappellent la place que celui-ci occupe alors dans la société française, vecteur privilégié d’un divertissement symbolique d’une civilisation des loisirs en train de s’esquisser.
    La première, dans la partie supérieure, quoique coupée par l’objectif, témoigne de la reparution de La Belle Équipe, oeuvre réalisée par Julien Duvivier en 1936, dans l’atmosphère si particulière du Front Populaire faite d’espoir et d’enthousiasme. Si le nom de Jean Gabin, qui en est l’acteur principal, n’est pas lisible, on y perçoit ceux de Charles Vanel et de Charpin qui y tiennent des rôles importants. La seconde affiche, juste dans le dos de l’enfant, annonce une oeuvre cinématographique récente qui sort sur les écrans rennais, au cinéma Le Club domicilié rue d’Antrain, à la place de l’actuel cinéma L’Arvor. Il s’agit du film Les Fortiches, réalisé en 1960 par Georges Combret, avec Jean Richard et Darry Cowl dont on remarque les visages caricaturés. Leur apparence comique contraste avec le regard sérieux et observateur de l’enfant dont le visage semble se fondre dans l’affiche en se superposant à celui des deux acteurs.
     Quoiqu’occupant une place réduite dans cet univers urbain, l’enfant est pourtant la figure centrale de la photographie, fixant et organisant l’espace. Sa position statique est accentuée par ses deux jambes légèrement écartées et par l’équilibre que lui confèrent les objets qu’il porte dans chaque main. Un lot de cannes, sans doute instruments de pêche, activité d’été que l’on peut pratiquer sur la Vilaine, dans la main droite et un sac transparent, dont le contenu nous reste pourtant inaccessible, dans la main gauche. Le regard de l’enfant, grave et interrogateur, sert ici de miroir à notre propre regard pour appréhender la réalité urbaine de la capitale bretonne en ce tout début des années 1960.