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Dossier
#15
L’école des beaux arts
à l’heure européenne
RÉSUMÉ > Derrière ses vieux murs, l’institution de la rue Hoche bouge. Elle devient École européenne supérieur d’art de Bretagne. Réunie avec Brest, Quimper et Lorient, elle acquière une dimension nouvelle. Forte de près de 1000 étudiants, elle peut engager le dialogue avec la Finlande ou l’Écosse. Point commun entre ces régions d’Europe, selon le directeur Philippe Hardy, elles ont quelque chose à dire sur les territoires de l’extrême.

     Ne dites plus École des beaux-arts de Rennes. Ne dites plus École régionale des beaux-arts. Dites École européenne supérieure d’art de Bretagne (EESAB). Désormais, elle regroupe quatre sites: Brest, Quimper, Lorient et Rennes autour d’une direction générale unique dévolue à Philippe Hardy. Tour d’horizon avec lui du nouvel âge de l’École.

     L’École compte 350 étudiants à Rennes pour un cursus de 5 ans dans trois domaines possibles : l’art, la communication, le design. À noter deux spécialités: l’édition de livres d’artistes et le design graphique sur support numérique. Les autres sites de Quimper, Brest et Lorient comptent 200 étudiants chacun. « Au total on approche les 1 000 étudiants, cela veut dire que l’on commence à nous regarder avec considération ». Les écoles européennes tournent toutes autour de ce chiffre de 1 000.

     Les écoles sont toutes municipales « à trois exceptions près. À la fin du 19e siècle, il y eut des moments très violents où les villes exigèrent que les écoles ne fassent pas partie du système universitaire. Tous les professeurs sont donc des employés de la Ville avec un financement qui est à 85 % municipal. Le reste, c’est l’État et, désormais avec l’EESAB, la Région. »

     Cela découle des accords de Bologne de 1994, instituant un diplôme unique en Europe. « Il faut dire que vingt ans après, la Bretagne et la première et sans doute la dernière région à réaliser l’union souhaitée, ce qui est la preuve que nous avons toujours ici une volonté de rassembler nos forces. Il y a 59 écoles en France dont les effectifs vont de 150 à 200 étudiants, ce qui est ridicule à l’échelon européen. Ici, nous ne partons pas de rien: il y avait depuis quinze ans une association entre nos quatre écoles, avec notamment un recrutement aux Halles Martenot et des voyages d’études en commun. Le force du regroupement réside aussi dans la spécificité des sites : par exemple le design maritime développé à Brest ou la formation en céramique contemporaine que nous allons créer à Quimper. Le regroupement permet aussi aux professeurs de réfléchir et travailler ensemble. Cela nous permet de manifester notre identité. »

L’identité d’un « territoire extrême »

     « Ce qui nous caractérise, c’est peut-être la notion de territoires extrêmes. Je suis Breton et Rennais, je me sens très bien avec mes origines bretonnes. Il ne s’agit pas de revendiquer une altérité, mais de savoir d’où l’on vient. Je me suis rendu à Glasgow qui est une très bonne école et se trouve en Ecosse, un pays assez proche de la Bretagne. Je reviens d’Helsinki qui a le même caractère « extrême » que nous. On va ouvrir des collaborations ensemble. Le fait de retrouver ses racines est une condition de l’ouverture. L’ouverture nous la pratiquons au sein même de notre conseil d’administration de l’école, où entrent des personnalités d’autres pays par exemple un représentant de la Rickjfeld Academy d’Amsterdam, ou encore Christian Besson, de Genève. »

     « La base de notre pédagogie, c’est la maïeutique. Les étudiants qui arrivent ne savent pas trop pourquoi ils sont là. Mais ils ont quelque chose en eux. Ils sont capables de sortir cette chose si on les y aide. Ici, l’on apprend qui l’on est. C’est pourquoi, en partant, après cinq années, ils trouvent du travail, les statistiques le prouvent. Concrètement, la première année, ils acquièrent les fondamentaux: ils se confrontent à l’art, à la bibliothèque, font des voyages. À partir de là, ils déterminent leur propre voie de recherche. Plus tard, ils ont six mois obligatoires en Erasmus. Ils mettent en place un travail personnel. C’est assez lourd. Avec une évaluation tous les deux mois et des expositions en interne. »

Les relations avec les autres universités

     Les relations avec les autres universités « À Rennes, nous avons des relations avec les filières scientifiques davantage qu’avec Rennes 2, finalement. Nous avons développé des choses intéressantes pour les Tombées de la Nuit avec l’École supérieure de chimie, avec l’École supérieure d’ingénieurs. Personnellement, je travaille beaucoup avec les entreprises. Nous avons une convention avec Yves Rocher, une autre avec la Chambre de commerce et d’industrie. Il faut que nous travaillions ensemble. Révolu le temps des esprits romantiques avec des artistes solitaires…

    Même si nous sommes connus comme établissement d’études supérieures, j’ai tenu à garder les cours publics. Nous souhaitons aussi être davantage présents dans les quartiers. Et puis je voudrais que les étudiants deviennent aussi des artisans. Dans les années 80, on a travaillé sur le matériau « concept » et l’on a abandonné le rapport au savoir-faire, le rapport à la matière. Aujourd’hui, les étudiants le réclament, ils veulent apprendre à faire des choses. Je voudrais que l’EESAB deviennent une école expérimentale pour le rapprochement avec les métiers d’art. C’est important pour l’avenir, nous manquons de spécialistes.

     « Revenu à Rennes en fin de carrière, je retrouve les mêmes caractéristiques : Rennes est une ville sérieuse, une ville où l’on travaille, une ville où l’on expérimente. Mais, on ne fait pas de clinquant. Il y a comme une fausse humilité. On refuse de se faire valoir. Il faut dire aussi que Rennes est prise en sandwiches entre Paris et la Bretagne: les artistes préfèrent s’installer du côté de Quimper. Dommage pour Rennes, où il y a des artistes intéressant mais où la plupart sont absorbé par l’attractivité de Paris. »