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Contributions
#11
Le périurbain est-il condamné à la voiture?
RÉSUMÉ > Décideurs, ingénieurs, aménageurs parlent de « mobilité » et non plus de transport ou de déplacement. Les mots traduisent une autre façon de penser les mouvements dans la ville. L’homme est au cœur de ce changement. De « personne transportée », il devient acteur de sa mobilité. Il peut laisser sa voiture, prendre un bus ou marcher ou même pianoter sur internet. Le temps de la mobilité change aussi. Ce n’est plus un temps perdu mais un temps mis à profit pour envoyer des SMS, travailler, se connecter… Encore faut-il être capable d’utiliser ces nouveaux services. Les mutations des usages et des valeurs de la mobilité ouvrent une voie à une diversité de dispositifs à promouvoir dans les villes mais aussi sur les territoires périurbains. L’agence d’urbanisme de l’agglomération rennaise et ses partenaires ont engagé un programme de cinq séminaires sur les mobilités. Le présent article rend compte du deuxième séminaire, celui du 20 janvier dernier, le premier ayant porté sur les dispositifs de voitures partagées.

     Le périurbain est plébiscité par les ménages. À Rennes comme dans d’autres aires urbaines, ils sont de plus en plus nombreux à s’installer en seconde ou en troisième couronne. Entre 1982 et 2008, la ville de Rennes a gagné 12 000 habitants ; le territoire de l’agglomération hors Rennes en a gagné 80 000 et l’ensemble des communes de l’aire urbaine de Rennes (hors agglomération rennaise), 72 000, soit l’équivalent d’une ville comme Saint-Nazaire. Pour la période plus récente 1999-2007, la croissance démographique de l’agglomération repose essentiellement sur les communes situées en dehors de la ville de Rennes (+ 25 000 habitants) ; les communes de l’aire urbaine en dehors de l’agglomération ont accueilli près de 40 000 habitants supplémentaires. Il s’agit, pour beaucoup, de petites communes qui connaissent un taux d’évolution annuel moyen supérieur à 3 %. Ces communes, situées aux limites de l’agglomération, accueillent surtout des familles avec enfants.
     L’automobile et le pavillon sont les deux faces d’une même médaille. Comme le souligne Laurent Cailly, « l’automobile a constitué une condition permissive de la périurbanisation : sa démocratisation, le développement des infrastructures et l’augmentation des vitesses ont permis d’élargir le marché foncier urbain et ont rendu possible l’installation à la campagne, en lisière d’agglomération ». La voiture a structuré un mode de vie individualisé et une forme urbaine particulière, celle du lotissement.

     La quasi-totalité des ménages sont motorisés et les déplacements automobiles sont ultra-dominants. Dans le périurbain rennais, 92 % des ménages disposent d’au moins une voiture, près de la moitié d’entre eux, de deux voitures.
     En moyenne, on compte plus de 150 voitures pour 100 ménages. La voiture représente 70 à 75 % des déplacements et 80 à 85 % des distances parcourues. Même les parcours de courtes distances sont effectués en voiture. Au-delà d’un kilomètre, la voiture est utilisée dans plus de 75 % des déplacements. Ces déplacements de courtes distances sont généralement associés à des trajets plus longs. Les « périurbains » tendent à organiser leurs parcours en circuit, en boucle. Par exemple, ils déposent les enfants à l’école en allant au travail, font les courses sur le trajet de retour, reprennent les enfants…
     La gestion rationnelle de la mobilité induit une forte programmation à la fois des déplacements et des temps de la journée. Cette exigence d’optimisation et de programmation est un élément fondamental à prendre en considération pour penser l’évolution des dispositifs de mobilité dans les espaces périurbains.

     La voiture permet de mobiliser des ressources urbaines dispersées, pour les achats, les activités sportives, les loisirs, les sociabilités diverses, et de recréer, par un « zapping territorial » selon l’expression de Laurent Cailly, une ville des proximités.
     Plusieurs spécialistes montrent que les périurbains combinent plusieurs polarités relativement hiérarchisées : les petits centres locaux, la commune de résidence le plus souvent, pour l’école, les achats quotidiens et les activités associatives et sportives ; ensuite, des centralités périphériques offrant des ressources plus rares telles que les commerces spécialisés, les équipements sportifs, culturels et scolaires ; enfin, le coeur de l’agglomération qui propose une offre urbaine plus dense et plus diversifiée. Le renforcement des centres locaux et des centralités périphériques en cours dans de nombreuses couronnes périurbaines permet aux habitants de réduire leur pratique du centre d’agglomération.
     Cela signifie que la vie périurbaine est, pour une partie au moins de ses habitants, en cours d’autonomisation, vers ce que l’on peut dénommer l’exurbanisation : le mode de vie de populations qui ne pratiquent plus du tout, ou rarement, les villes-centres.

Hors domicile – travail près de 60 km parcourus chaque jour

     Le périurbain n’est pas homogène et les mobilités qui s’y déploient sont multiples. Les mobilités liées au travail demeurent structurantes. Elles représentent des flux importants concentrés sur des créneaux horaires resserrés et constituent une part importante des kilomètres parcourus en voiture Mais leurs parts dans la mobilité totale a nettement baissé. Les mobilités hors travail deviennent majoritaires en kilomètres parcourus. Pour les habitants de l’agglomération hors Rennes, ces mobilités représentent près de 60 % des kilomètres parcourus chaque jour.
     Si les déplacements domicile-travail restent polarisés par la ville centre et le pôle urbain, les mobilités hors travail des périurbains sont distribuées différemment. Les pratiques d’achat des ménages périurbains rennais sont diverses. Ils fréquentent à la fois des pôles de proximité, des pôles secondaires et des grands pôles commerciaux d’agglomération. Les déplacements liés aux loisirs et sociabilités sont moins polarisés. Les habitants disposent aujourd’hui d’au moins un cinéma et une piscine sur leur bassin de vie. Les logiques de multipolarisation, d’éclatement et de recentrage de proximité prennent une importance décisive dans la vie hors du travail.

Des pratiques différentes au sein même de la famille

     Y compris au sein d’une même famille, les situations sont différenciées. Les enfants dépendent de leurs parents pour se déplacer. Le seul espace où ils circulent de manière autonome est le lotissement ou le village dans lequel ils vivent. Les laisser circuler seuls au-delà est délicat car la voiture occupe beaucoup de place et les espaces sont peu aménagés pour eux.
     Les adolescents sont également confrontés à des problèmes de mobilité. Ils dépendent de transports collectifs qui sont, quand ils existent, souvent peu efficaces et contraignants en termes d’horaires, surtout au-delà de la première couronne. Ils rêvent de liberté, d’autonomie et d’un scooter. Mais ce « scooter nommé désir » est source de tension et d’inquiétude dans les familles car les routes départementales, aménagées pour la voiture à 90 km/h, ne sont pas adaptées aux deux roues. Les chiffres de l’insécurité routière ne rassurent pas. Les deux roues motorisés représentent moins de 1 % des déplacements mais 30 % des victimes d’accidents, le plus souvent des jeunes.
     De nettes différences existent aussi, au sein de la famille, entre homme et femme. Différentes enquêtes montrent que les femmes sont nombreuses à ne pas travailler le mercredi et à se convertir en mamans-taxi, réalisant parfois jusqu’à plus de dix déplacements dans la journée pour 150 kilomètres. À travers les courses, les activités de loisirs et les sociabilités, les mères ont un rapport plus étroit que leurs conjoints à l’espace local et au village périurbain. Les hommes ont, à l’inverse, un quotidien davantage centré sur leur travail et ses espaces. Leurs pratiques du hors travail sont plus libres et plus ouvertes à l’échelle de l’aire urbaine. Pour autant, nombre d’entre eux se rattrapent le week-end où ils prennent de plus en plus part à la mobilité des enfants et aux courses.
     L’appartenance sociale est un autre facteur de différenciation des modes de vie et des mobilités, notamment hors travail. Les périurbains à faible niveau de ressources ont une mobilité hors travail réduite en contrepartie d’un fort investissement dans les activités de la maison et du jardin. Il s’agit souvent de populations modestes qui se sont éloignées vers les bords de l’agglomération compte tenu du renchérissement des prix des logements dans les premières couronnes. À l’inverse, les périurbains aisés ont une mobilité hors travail plus importante et consomment largement les ressources de la ville. Ils vivent à l’échelle de la métropole voire des métropoles. La mobilité est pour eux « une forme d’épanouissement, parfois même de distinction».

À pied, à vélo dans le périurbain rennais

     Est-il utopique de tenter de donner une place plus grande à la marche et au vélo dans les mobilités quotidiennes ? Peut-on imaginer que les centralités de couronnes deviennent des oasis où les modes doux auraient une place prépondérante ? Le cas échéant, que faut-il mettre en place en matière d’aménagement et d’agencement des espaces de proximité ? Le modèle des centresvilles articulant des plateaux piétonniers, des zones 30 et des zones de rencontre est-il pertinent pour les bourgs de couronnes mais aussi pour les centres commerciaux et de loisirs et les sites de gares TER ?
     Les habitants du périurbain marchent peu, pour moins de 20 % de leurs déplacements et utilisent peu le vélo (3 %). Pour les déplacements de courtes distances (15 minutes de déplacement), le constat est différent : la marche représente 46 % des déplacements des périurbains et le vélo, 4,5 %. Dès lors, les marges de progression pour ces modes sont théoriquement importantes puisque 62 % des déplacements des périurbains font moins de quatre kilomètres.
     Néanmoins, les changements de comportement ne sont pas simples à opérer car bon nombre de ces déplacements s’intègrent dans des circuits automobiles fortement programmés et intégrés. Le développement du potentiel de la marche et du vélo suppose le renforcement de certaines centralités, l’articulation d’une politique de mobilité à des politiques sectorielles (services à domicile, dispositifs de gardes d’enfants…) mais aussi des mobilités plus autonomes des jeunes. Ce sujet est revenu à plusieurs reprises dans les interventions des participants au séminaire. Selon l’un d’eux, « il s’agit de passer du vélo rigolo du dimanche à des usages plus quotidiens, pour se rendre à l’école, à des activités. On a développé la conduite accompagnée ! Alors passons aussi du temps avec les enfants pour leur apprendre la rue à pied, à vélo et les rendre plus autonomes ». La mobilité s’apprend ; on ne naît pas mobile, on le devient.

Des initiatives communales pour apaiser les circulations

     L’aménagement et l’agencement des espaces de proximité constituent un autre levier de changement. Ralentir les vitesses, améliorer la lisibilité et sécuriser les itinéraires sont les maillons clés du développement de la marche et du vélo dans le périurbain. De nombreux élus de communes périurbaines ont engagé des opérations d’aménagement visant à apaiser les circulations dans les centres bourgs, à construire de nouvelles mailles de circulations douces. Ce travail est généralement mené dans un dialogue avec les habitants et les commerçants des bourgs. Certains élus mettent en oeuvre des dispositifs de participation larges et ouverts. Néanmoins, le périurbain à pied et à vélo reste pour le moment une « révolution au ralenti.» Quels sont les problèmes rencontrés ? Les élus des communes intervenant lors du séminaire ont insisté sur plusieurs points.
     Les nouveaux aménagements routiers tels que les rétrécissements de chaussées, les chicanes, les zones 30 permettent de ralentir les vitesses, d’améliorer la sécurité et l’urbanité ; toutefois, les effets restent limités sur le développement de la marche et du vélo.
     Les maillages de cheminements piétons et de continuités pour les vélos doivent s’inscrire dans une vision globale du développement de la commune. À La Chapelle-Thouarault, l’aménagement d’un quartier de dix hectares à proximité du bourg a été l’occasion de redéfinir la place et l’usage de la voiture dans les déplacements de proximité. Dans ce nouveau quartier, les voies de desserte ne permettent pas les traversées automobiles. Les stationnements sont organisés en cinq poches en périphérie du quartier. « Si la voiture est un peu loin, on espère que les habitants auront le réflexe de partir à pied et à vélo, d’autant plus que le bourg est à 200 m », espère le maire.
     Lorsqu’ils sont aménagés, les cheminements piétons ne sont pas toujours lisibles par les usagers. « On s’est rendu compte, dit un maire, que les piétons utilisent souvent les mêmes itinéraires qu’en voiture alors qu’ils ont d’autres possibilités, des sentiers piétons aménagés.»
     La mise en oeuvre de circuits de pédibus est souvent souhaitée. Cependant, les initiatives reposant largement sur les bonnes volontés de parents n’aboutissent pas toujours ou restent fragiles. À La Chapelle-Thouarault, « 90 % de oui sur le papier pour le pédibus, mais une opération lancée trois fois a échoué trois fois ». À Guichen, les dispositifs existent mais « il faut chaque année remobiliser les parents pour remettre en place les circuits », souligne le maire.

La voiture n’est pas l’ennemi du périurbain

Pour Yan Le Gal, ingénieur urbaniste à l’agence d’urbanisme de la région nantaise, deux points sont incontournables pour opérer une révolution des mobilités en faveur du vélo et de la marche dans le périurbain.
     Il faut d’abord modifier le fonctionnement des voiries principales, le plus souvent les anciennes routes nationales devenues départementales. Ce sont les liaisons les plus directes entre les communes d’une même agglomération ou d’une intercommunalité. C’est là qu’il faut intervenir si l’on veut développer l’usage quotidien du vélo sur des distances de 4 à 5 km permettant de rejoindre un collège, un lycée ou une gare TER. Les vitesses sur ces voiries principales doivent être limitées à 70 km/h ou à 50 km/h avec la possibilité de tronçons en zones 30 si la vie locale le justifie.
     Par ailleurs, les aménagements de voiries sont souvent longs et coûteux. Aussi, « pour les villages en zone 30, les aménagements doivent au départ être légers (totem et matérialisation au sol) et accompagnés d’une forte communication. » A terme, en fonction des usages, ils pourront être renforcés dans ces quartiers apaisés (sous forme de « plateau » par exemple…).
     Le problème n’est pas la voiture en soi mais ses usages et l’environnement dans lequel elle prend place. Si les usages et l’environnement de la voiture changent, la voiture périurbaine peut cohabiter avec la marche et les deux roues, vers un métissage de modes plus rapides et plus lents. Par ailleurs, l’aménagement d’espaces pour la marche et les deux roues doivent donner plus d’efficacité à ces modes aujourd’hui mineurs.